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Reconstruction du vieux pont de Mostar : symbole ou illusion ? (2004)


mercredi 4 août 2004, par Fabrice Pozzoli-Montenay

Le 23 juillet 2004, le « Vieux pont » de Mostar a été inauguré en grande pompe : discours, personnalités internationales, feux d'artifices se sont succédés pour célébrer sa reconstruction. L'événement a été présenté comme un symbole de l'amélioration de la situation en Bosnie-Herzégovine. L'ouvrage avait été détruit en 1993 au cours des violents combats entre milices croates et forces gouvernementales bosniaques. Mais le Vieux Pont représente peut-être plus le symbole de la division inter-ethnique de la Bosnie qu'une illusoire vie commune.

Avant la guerre, la population de Mostar comptait 33 % de Croates, 35 % de Bosniaques et 19 % de Serbes, selon le dernier recensement yougoslave. Durant le conflit, le siège de Mostar est resté largement ignoré des médias internationaux, focalisés sur Sarajevo. Pourtant, la lutte a été féroce dans la ville et aux alentours. Après avoir repoussé ensemble les attaques serbes en 1992, les forces croates et musulmanes se sont déchirées pendant onze mois en 1993. Les ultra-nationalistes croates de la région d'Herceg-Bosna étaient à ce moment convaincus de la défaite des Musulmans, et pensaient partager la Bosnie-Herzégovine avec leurs ennemis serbes. Mais la résistance des troupes gouvernementales fut désespérée et inouïe. Alors que le ravitaillement était régulièrement coupé, que l'Etat-major bosniaque donne la priorité à la défense du nord et du centre du pays, les forces musulmanes tiennent et repoussent toutes les attaques. La ligne de front va couper la ville en deux, le long des berges abruptes de la Neretva. Dans la partie Est, la population musulmane va terriblement souffrir du siège : manque de nourriture, pénurie de médicaments, absence d'électricité et de gaz, la vie quotidienne est bien pire que dans la capitale. Dans la partie croate (ouest), le ravitaillement est assuré depuis la côte dalmate. Les rares convois humanitaires de l'Onu destiné aux Musulmans sont systématiquement dépouillé de 50% de leur contenu aux check-points croates, au nom d'un « équilibre entre les parties ». Les combats se calmeront progressivement, et les deux armées finiront par coopérer contre les Serbes en 1995 sous la pression internationale.

Les berges abruptes de la Neretva

La violence des combats et les souffrances endurées ont marqué les esprits. Douze ans après, les gens n'ont pas oublié ou pardonné, et la ville reste divisée selon l'ancienne ligne de front. Une purification ethnique de fait a eu lieu, les milliers de Serbes et de Bosniaques ayant été chassés de chez eux par les troupes croates de Bosnie et refoulés dans l'autre partie de la ville. De même, les derniers habitants croates de l'Est ont récupéré des appartements vides sur la rive occidentale et y sont restés. Les habitants serbes sont partis vers Nevesinje, en Republika Serpska.

Depuis, les deux communautés vivent en s'ignorant : Musulmans et Croates envoient leurs enfants dans des écoles différentes, regardent leurs propres chaînes de télévision et ont leur propre équipe de football. Les tensions restent fortes, et les rares téméraires qui se hasardent sur « l'autre rive » sont encore trop souvent la cible d'agressions provoquées par des groupes de jeunes nationalistes. La mixité entre Serbes, Croates et Musulmans n'est plus qu'un souvenir, un passé que la nouvelle génération n'a pas connu.

Les bonnes intentions de la communauté internationale

Cette séparation de fait est combattue par les fonctionnaires de la communauté internationale. L'inauguration du pont « un symbole d'espoir pour l'avenir, qui je le crois fermement verra la Bosnie-Herzégovine devenir un membre à part entière de l'Union européenne », a déclaré Chris Patten, le commissaire européen aux Affaires extérieures.

Le Haut Représentant, Paddy Ashdown, a donné l'ordre en mars de mettre un terme à la ségrégation politique de la ville en zones bosniaques et croates. Mais ses directives, bien qu'ayant valeur de loi, ne sont pas appliquées par les partis nationalistes au pouvoir, la Communauté démocratique croate (HDZ) et le Parti musulman de l'Action démocratique (SDA). Le désaccord tourne essentiellement autour d'un système compliqué de « poids ethnique », qui veut s'assurer qu'aucune communauté ne peut voter avec plus de poids que les autres. Il faudrait une majorité des deux tiers pour que le conseil puisse gouverner. Sur les 35 conseillers, pas plus de 15 pourront venir du même parti. La communauté serbe de Mostar, une force marginalisée et rétrécie depuis le conflit bosniaque aurait droit à quatre partis alors qu'un seul sera réservé pour les autres. Une situation qui ne convient pas aux politiciens locaux. Seuls les dirigeants musulmans nationaux poussent à une réunification de la ville. « L'ouverture du Vieux Pont ouvre une nouvelle page de l'histoire bosniaque », a déclaré le Premier ministre Adnan Terzic. La réouverture du pont est une « victoire pour la paix et pour la Bosnie en tant que société multiethnique et multiculturelle », a souligné pour sa part Sulejman Tihic, qui dirige la présidence multiethnique de Bosnie.

Mauvaise volonté croate

Mais actuellement, la volonté de réunification est beaucoup plus marquée chez les Musulmans que chez les Croates. « Les Croates représentent 60 % du corps électoral, ils n'ont que 42 % de sièges au conseil », se plaint Josip Merdzo, dirigeant local du HDZ. La partie croate de la ville est fière de son développement économique et ne voit pas d'intérêt à se rapprocher de leurs anciens adversaires. Par contre, la partie bosniaque a perdu l'essentiel de ses industries et ne vit que grâce au tourisme et à l'aide internationale.

La réunification de Mostar est l'une des nombreuses conditions sine qua non pour permettre à la Bosnie-Herzégovine de s'inclure aux institutions et pactes menant directement à l'intégration européenne du pays. La situation de la ville témoigne clairement du décalage total qui existe entre le discours officiel optimiste des institutions internationales, et une réalité quotidienne qui n'est pas sans rappeler la situation au Kosovo.



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