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Analyse : Les leçons de la crise ukrainienne (décembre 2004)


L'UKRAINE N'EST PAS UN "CORDON SANITAIRE" ENTRE LA RUSSIE ET L'OCCIDENT
lundi 13 décembre 2004

Il est prématuré d'analyser les conséquences des événements dramatiques qui se déroulent en Ukraine. La collision provoquée par l'élection présidentielle, la confrontation entre le pouvoir et l'opposition ne sont pas encore achevées. Selon toute évidence, conformément au verdict de la Cour suprême de l'Ukraine, le second tour de l'élection présidentielle (un précédent juridique assez inhabituel dans la pratique mondiale) sera de nouveau organisé. Une réforme du système politique prévoyant le transfert d'une partie des pouvoirs du Président au gouvernement et au Parlement, ainsi que la modification de la législation électorale, auront lieu.

Cependant, il est déjà clair que ce qui s'est produit et se produit actuellement en Ukraine exercera une influence profonde non seulement sur l'avenir de ce pays, mais aussi sur la situation politique en Russie, sur les rapports russo-ukrainiens, sur les rapports entre la Russie et l'Union européenne et, plus largement, sur les relations entre la Russie et l'Occident. On peut affirmer, sans exagération, que la crise en Ukraine et la manière dont elle sera finalement réglée détermineront, à bien des égards, l'image de la future Europe.

Une politique reposant sur des mythes

Force est de reconnaître que les événements d'Ukraine ont déjà eu des effets très négatifs sur les rapports entre la Russie et les pays de l'Union européenne, entre la Russie et les Etats-Unis. La classe au pouvoir en Russie a accueilli très douloureusement le soutien direct, et efficace, apporté par l'Occident à Viktor Youchtchenko, dans lequel elle a vu une stratégie antirusse. Il convient de noter que la Russie, comme l'Occident, ont commis plusieurs erreurs graves durant cette crise. La principale réside en ceci : l'Ukraine a été considérée non pas comme le terrain d'une éventuelle coopération politique, mais comme le champ d'une bataille décisive où se décide une question stratégique : l'Ukraine restera-t-elle avec la Russie, ou bien se tournera-t-elle irrémédiablement vers l'Occident ?

Cette approche de l'élection en Ukraine vue comme un "Stalingrad politique" entre la Russie et l'Occident était contre-productive dès le début. Ajoutons qu'elle est plutôt le produit de mythes politiques qu'une évaluation judicieuse de la situation réelle. Plusieurs mythes ont eu des conséquences particulièrement pernicieuses.

"Viktor Iouchtchenko est un candidat totalement pro-occidental. Sa victoire signifiera pour la Russie la perte irrévocable de l'Ukraine, qui se tournera vers l'Occident, et un préjudice culturel irréparable. La civilisation russe perdra ses racines qui plongent dans la Russie de Kiev". Autre mythe, tout aussi nuisible : "Viktor Iouchtchenko est l'incarnation de la démocratie en Ukraine, sa victoire est la seule qui signifie la victoire des forces démocratiques ; c'est pourquoi l'Occident doit soutenir ce candidat par tous les moyens imaginables". Pourtant, faire de Viktor Iouchtchenko l'incarnation de la démocratie est, pour le moins, naïf. Son équipe compte cinq anciens vice-Premiers ministres et neuf anciens ministres. Il est évident que la nomenclature, qui a déjà fait partie des structures du pouvoir et goûté pleinement à ses fruits, veut reprendre le pouvoir et accéder aux sommets de l'administration et du commandement. Enfin, il convient de rappeler un autre mythe de la politique réelle : "Viktor Ianoukovitch étant un candidat purement pro-russe, sa victoire permettra de mettre fin à l'orientation de l'Ukraine vers l'Occident et de garantir la réalisation des plans de Moscou, visant à créer un espace économique unique des Etats de la CEI (Communauté des Etats Indépendants), et assurera à la langue russe le statut de deuxième langue officielle en Ukraine".

En réalité, Viktor Ianoukovitch traduisait non pas les intérêts de la Russie, mais ceux des groupes financiers et industriels de Donetsk. Sa candidature à la présidence a été proposée par le Président actuel, Léonide Koutchma, mais nullement comme un successeur fort. L'Ukraine ne manque pas d'hommes politiques bien plus forts et plus charismatiques, qui auraient pu être des concurrents bien plus sérieux pour Viktor Iouchtchenko. Mais le Léonide Koutchma avait besoin non pas de la victoire de Viktor Ianoukovitch, mais du soutien du puissant clan de Donetsk dans sa lutte contre l'opposition de Youchtchenko pour la réforme constitutionnelle.

La victoire de Viktor Ianoukovitch ne garantissait nullement des privilèges pour la Russie. Au contraire, il fallait s'attendre à l'apparition de certains problèmes. Premièrement, de même que le Président George Bush, après avoir remporté l'élection, a demandé à ses compatriotes ayant voté Kerry de le soutenir dans la mise en oeuvre de ses projets, Viktor Ianoukovitch aurait également été contraint de commencer par aller au-devant de ses opposants (avant tout, l'Ouest et le Sud de l'Ukraine), pour les persuader qu'il défendait les intérêts de son pays, et non pas ceux de Moscou. En second lieu, les groupes financiers et industriels de Donetsk occupent une position très rigide à l'égard de l'accès du capital russe sur le marché ukrainien.

La Russie ne devrait pas non plus considérer la victoire de Viktor Iouchtchenko comme une tragédie et la perte de l'Ukraine. Certes, les positions de Viktor Iouchtchenko sont plus fortes dans les régions occidentales de l'Ukraine, où la Russie bénéficie des sympathies d'une partie bien moindre de l'électorat. Mais, en cas de victoire, tout comme Viktor Ianoukovitch, Viktor Iouchtchenko sera contraint d'aller au-devant des électeurs de l'Ukraine de l'Est. De plus, Viktor Iouchtchenko défend des positions économiques plus libérales, ce qui pourrait faciliter la présence des entrepreneurs russes dans l'économie ukrainienne (de même que celle des entrepreneurs ukrainiens dans l'économie russe).

Globalement, les appréhensions de la Russie à l'égard de la candidature de Viktor Iouchtchenko paraissent quelque peu étranges, si l'on se souvient que celui-ci a déjà été chef du gouvernement ukrainien, qu'il a déjà traité avec la Russie, et que cela n'avait rien de tragique.

Est-ce vraiment une révolution ?

De nombreux analystes sont enclins à considérer ce qui se produit actuellement en Ukraine comme une révolution. C'est, probablement, une exagération. Mais c'est un fait que des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue, à Kiev et dans d'autres villes. Les partisans de Viktor Iouchtchenko sont les plus visibles et les mieux organisés. Bien que l'élection présidentielle ait pratiquement divisé en deux la société ukrainienne, cette ligne de partage correspond à des coordonnées géographiques précises. La première question à laquelle il faut répondre est : pourquoi la lutte routinière entre les clans au sein de l'élite au pouvoir s'est-elle transformée en troubles populaires qui ont divisé la nation ? Il est probable que la cause principale de la protestation ouverte des masses n'a rien à voir avec les sympathies pour un candidat ou un autre. Il s'agit du refus de tolérer plus longtemps un régime oligarchique corrompu, simulacre de démocratie, ainsi que de la certitude de la majorité des Ukrainiens que les résultats de l'élection ont été truqués. Il faut avouer que les enjeux de l'élection ukrainienne étaient de taille, car aussi bien la Russie que l'Occident ont essayé d'influer sur leur issue. Un puissant groupe de politologues russes a été envoyé pour soutenir Viktor Yanoukovitch.

Il s'est avéré que les méthodes les plus efficaces des techniciens de la politique russes ne prennent pas en considération des facteurs tels que la société et l'opinion publique. Ces méthodes fonctionnent encore en Russie, mais plus en Ukraine. Ce qui a fait que dans la lutte politique en Ukraine, la Russie s'est trouvée d'emblée impliquée dans le conflit, ce qui l'a pratiquement privée de la possibilité de jouer un rôle plus avantageux - celui de médiateur.

L'âpreté de l'opposition politique en Ukraine a mis en évidence une autre particularité importante de la situation. L'indépendance de l'Ukraine postsoviétique n'a pas donné naissance à une nation politique unie. Les contradictions et les différences entre les régions sont tellement évidentes et graves que les experts sont de plus en plus nombreux à estimer que l'existence de l'Ukraine en tant qu'Etat unitaire est privée de perspective historique. L'unique moyen de conserver l'intégrité du pays est de créer une Fédération. Cela nécessite à la fois de la volonté politique de la part des dirigeants ukrainiens, une stabilité politique intérieure et un soutien extérieur.

Alexandre Konovalov, président de l'Institut d'analyses stratégiques (Moscou)

Ria - Novosti/ 10 décembre 2004

Quelles leçons peut-on tirer des événements d'Ukraine ? Premièrement, l'Ukraine actuelle a un système politique et une structure sociale complexes. Il est possible d'exercer une influence positive sur elle, mais en comprenant parfaitement et en respectant ses traits nationaux spécifiques. En second lieu, pour la Russie, l'Ukraine est un pays ami. Mais cette réalité peut être remise en cause, non pas par les résultats des élections ou les "intrigues" de l'Occident, mais par la politique irréfléchie de la Russie, qui ne place pas au-dessus de tout les intérêts bien clairs de l'Etat. Troisièmement, la Russie et l'Ukraine devraient élaborer une stratégie commune d'intégration dans les structures européennes. Il est plus raisonnable de considérer l'Ukraine non pas comme un "cordon sanitaire" entre la Russie et l'Occident, mais comme un pont reliant celle-ci à l'Europe. Il est évident que les experts russes de la politique ont essuyé une défaite foudroyante en Ukraine, mais l'Occident ne doit pas essayer de profiter de cet échec. Au contraire, il faut essayer de conserver le rôle de médiateur de la Russie dans le règlement de la crise ukrainienne.

La réponse à la question cruciale de savoir si l'Ukraine restera un pays ami de la Russie, ou si elle sera la ligne d'un nouveau partage de l'Europe dépend des actions judicieuses de la Russie, de l'Occident et de l'Ukraine.



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