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Russie : Les partis libéraux ont-ils un avenir ? (décembre 2004)


vendredi 17 décembre 2004

Une année s'est écoulée depuis les élections législatives en Russie, au cours desquelles les partis libéraux "Iabloko" et "Union des forces de droite" (SPS) ont essuyé un échec. Ne pouvant pas franchir la barre des 5 %, ils se sont retrouvés exclus de la Douma (chambre basse du Parlement russe) où, durant près de dix ans, les libéraux qui bénéficiaient de la protection du président Boris Eltsine ont joué un rôle très important en exerçant leur influence sur la politique russe.

Perdant la tribune parlementaire, les libéraux russes ont perdu leur appui stratégique. A présent, les partis libéraux n'ont pratiquement pas la possibilité d'influer sur la législation, leurs représentants sont invités de plus en plus rarement à intervenir devant les Russes sur les principales chaînes de télévision. Si, auparavant, le Kremlin et le gouvernement prenaient en considération les initiatives des partis libéraux, à présent, ils n'entretiennent presque pas de contacts avec leurs leaders. Cependant, ceux qui étaient, le week-end dernier, à l'hôtel "Cosmos" de Moscou où les libéraux russes ont convoqué le Congrès civil russe "La Russie est pour la démocratie, contre la dictature", ont pu constater que ces leaders avaient gardé le moral. Plus de mille délégués des partis libéraux "Iabloko" (de Grigori Iavlinski), "Notre choix" (d'Irina Khakamada), du Groupe d'Helsinki de Moscou, ainsi que les observateurs de l'Union des forces de droite ont démontré qu'ils étaient déterminés à retrouver leurs positions perdues, au moins, à revenir au parlement.

Il est vrai, les positions des libéraux russes sont aujourd'hui plus mauvaises qu'il y a un an, lorsqu'ils étaient représentés à la Douma, sans parler de l'époque où le président Eltsine accordait sa protection aux hommes politiques libéraux.

"Aujourd'hui, nous perdons tout ce que nous avons acquis dans les années 90", affirme Viktor Cheïnis, vétéran du mouvement démocratique, un des auteurs du projet de la Constitution russe actuellement en vigueur. "Une élimination de la concurrence politique et du pluripartisme a lieu dans le pays", lit-on dans la résolution finale du Congrès civil russe.

Les libéraux perçoivent comme une triste ironie le fait que la majorité écrasante de la population, à laquelle sont adressés leurs appels, ne prête pas l'oreille à leurs avertissements et, même si elle leur accorde son attention, elle se détourne d'eux peu après avec indifférence, car la plupart des Russes ne voient pas de danger dans ce qui se produit.

Il y a une autre raison pour laquelle les libéraux russes ne sont pas entendus. Les noms des hommes politiques libéraux russes sont rattachés à la première étape des réformes libérales engagées dans le pays dans les années 90. L'époque où les libéraux Boris Nemtsov et Anatoli Tchoubaïs, tour à tour vice-premiers ministres du gouvernement russe, ont occupé, de même que leurs compagnons du camp libéral, d'autres postes de responsabilité a été celle de la chute vertigineuse de la production et du niveau de vie en Russie, de l'extension massive de la pauvreté, de l'accroissement de la mortalité qui a dépassé les naissances d'un million de personnes par an. C'était l'époque où l'Etat n'appliquait aucune politique sociale. La crise financière de 1998, lorsque de nombreux Russes ont perdu leurs économies pour la deuxième fois après 1991 (lorsque la libéralisation des prix a entraîné l'hyperinflation) a également eu lieu alors que les libéraux dirigeaient le pays. Quant à la privatisation des biens d'Etat soviétiques "à la Tchoubaïs" (il a dirigé le Comité des biens d'Etat et déterminé la stratégie de la privatisation), elle est qualifiée de "pillarde" non seulement en Russie, mais aussi, souvent, en Occident.

Mais même ces circonstances ne rendent pas désespérés les perspectives des idées libérales et leurs partisans en Russie. Comme il ressort des sondages d'opinion indépendants, dans la société russe, il y a une catégorie stable (environ 10 à 15 %) de gens qui votent constamment pour les libéraux dans les moments de malheur et de joie.

La faiblesse des libéraux russes provient du fait que les voix de leurs partisans sont souvent éparpillées. C'était le cas aux dernières élections législatives, lorsque deux partis libéraux - "Iabloko" et "Union des forces de droite" - ont lutté pour le même électorat et, en fin de compte, ont essuyé un échec, l'un et l'autre. Les libéraux russes parlent depuis plus de cinq ans de leur union, mais ils ne trouvent pas de solution acceptable pour tous : l'aversion personnelle de leurs leaders, les ambitions politiques et les offenses mutuelles sont trop fortes.

Néanmoins, la stratégie commune des actions est déjà claire. L'essentiel est d'attaquer le pouvoir "autoritaire", selon les libéraux, en s'appuyant sur toutes les couches de la société qui peuvent être mécontentes de ce pouvoir. "Le mécontentement grandit parmi les personnes perdants, les jeunes commencent à comprendre qu'ils ne pourront pas faire carrière en Russie. La crise du pouvoir est inévitable", a dit Irina Khakamada, leader du parti "Notre choix", ancienne vice-présidente de la Douma où elle a représenté l'Union des forces de droite.

Mais, avant de diriger la protestation sociale des "perdants", les libéraux doivent gagner la confiance de ceux qu'ils ont dédaignés en se trouvant au sommet du pouvoir. Autrement dit, il leur faut reconnaître les erreurs du passé et, dans un sens, se repentir.

"En 1991, effectivement, les gens ont été trompés, lorsqu'ils ont perdu toutes leurs économies à cause de l'inflation", reconnaît Irina Khakamada. "Cependant, le gouvernement libéral n'avait pas l'intention de rembourser les dettes. Il n'avait aucune politique sociale", poursuit-elle.

Pour l'instant, on ne sait pas si des aveux de ce genre permettront d'édifier la confiance entre les masses populaires et les libéraux russes qui ont déterminé la politique du gouvernement dans les années 1990. Une partie des libéraux russes - par exemple, Boris Nemtsov - espère que l' "expérience ukrainienne" sera possible au bout d'un certain temps en Russie et l'opposition libérale avec la rue pour alliée se fraiera un chemin pour revenir au Kremlin.

En plus de la rue, les libéraux russes ont un autre allié très important : les démocraties occidentales. Leurs liens avec l'Occident ont toujours été forts. L'influence des démocraties occidentales est considérée comme l'un des facteurs principaux des réformes libérales et démocratiques russes à la fin des années 80 et au début des années 90. De l'avis des libéraux russes, la pression conséquente exercée par l'Occident sur la Russie doit les aider, sinon à reprendre le pouvoir, au moins à prévenir le glissement du pays vers l'autoritarisme.

Cependant, personne ne nourrit de grandes illusions à ce sujet. La victoire remportée par le républicain George Bush-fils à l'élection présidentielle de novembre aux États-Unis a été considérée par la majorité des libéraux russes comme leur propre défaite. Ils sont au courant des bons rapports personnels entre George Bush et Vladimir Poutine, de l'intérêt de Washington dans le soutien de la Russie à la coalition antiterroriste et du besoin de matières énergétiques russes qu'éprouvent les Etats-Unis. De toute évidence, tout cela est aujourd'hui plus important pour les Etats-Unis que le soutien aux partis libéraux en Russie. L'Union européenne dont l'intérêt réside dans les livraisons régulières de pétrole et de gaz russes garanties par l'Etat russe est trop absorbée aujourd'hui par ses problèmes intérieurs qui découlent de son élargissement, c'est pourquoi elle n'a pas le temps de suivre attentivement les problèmes de la démocratie russe, bien que Bruxelles y soit bien plus sensible que Washington. Bref, à sa surprise et à celle du monde environnant, le libéralisme russe - cosmopolite qui considère d'une manière hautaine les particularités nationales de la Russie et qui porte l'Occident aux nues - s'est retrouvé face à la nécessité de construire son édifice sur le fondement national, il est resté en tête-à-tête avec des masses démunies et un pouvoir dur, sans soutien substantiel des alliés occidentaux.

Certes, ces conditions ne sont pas favorables. Mais d'autres conditions ne seront probablement pas réunies encore longtemps en Russie.

L'avenir du libéralisme russe est entre ses mains.

Youri Filippov, commentateur politique de RIA-Novosti/16 décembre 2004.



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