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1989 : la sortie du communisme engendre une nouvelle Europe centrale


dimanche 6 février 2005

En l'espace d'une année, la carte politique de l'Europe de l'Est s'est radicalement transformée. Les partis communistes ont échoué à freiner la "dérive démocratique" qui sapait leur pouvoir depuis des années déjà. Les mécanismes de la répression de masse contre les populations se sont grippés. En s'effondrant, ce pilier du système communiste entraîne les autres. Les régimes communistes, que l'on croyait inébranlables, implosent les uns après les autres. Certains partis communistes, abandonnent leur ancien sigle pour se baptiser social-démocrates ou socialistes dans l'espoir de conserver le pouvoir. D'autres, dans un esprit de compromis avec une opposition de plus en plus revendicatrice et avec la certitude de se maintenir néanmoins au pouvoir, cèdent une partie de leurs prérogatives absolutistes. D'autres, devant une opposition résolue et volontaire abandonnent le pouvoir sans résistance. Les armées et les polices nationales, ainsi que les troupes soviétiques stationnées dans les pays de l'Est, n'interviennent pas durant la vague démocratique déferlante qui emporte par pans entiers le système communiste est-européen. Constitué entre 1946 et 1948 de par la volonté de Moscou, le bloc de l'Est a cessé d'exister en décembre 1989.

Quelles images la mémoire occidentale a-t-elle retenue de la sortie du communisme ? Certainement, la fuite des Allemands de l'Est à travers la frontière hungaro-autrichienne, l'ouverture du Mur de Berlin et la ville en liesse, les premières scènes de la "révolution de velours" à Prague, Ceausescu fuyant en hélicoptère devant la foule criant sa volonté d'en finir avec un régime honni. Des noms de personnages restent aussi gravés dans la mémoire collective : ceux de Walesa, de Havel, voire de Geremek ou d'Iliescu. Mais les causes profondes de cet effondrement et la chronologie des événements se sont estompées des mémoires. Le spectaculaire s'est substitué à la compréhension de ce tournant inattendu de l'histoire. Pour la jeunesse d'aujourd'hui, qui voyage librement de part et d'autre de l'Europe, la sortie du communisme est reléguée dans les pages de manuels d'histoire au même titre que la guerre de Troie.

Si la mémoire collective garde l'image d'un effondrement du communisme aussi soudain qu'imprévu, en réalité, il a été graduel et multiforme sur fond de perestroïka gorbatchévienne. Ce processus complexe et inédit comporte autant de situations particulières que de dénominateurs communs, nombre d'étrangetés et d'épisodes imprévisibles. En projetant un regard d'ensemble sur l'année 1989, on constate que la désoviétisation des pays de l'Est s'est effectuée selon un style propre à chacun des pays communistes. Là où l'opposition avait déjà une sorte de statut, aussi précaire fut-il, à l'instar de la Pologne et de la Hongrie, la sortie du communisme s'est accomplie progressivement et pacifiquement sur la base de multiples compromis de part et d'autre. Au contraire, dans les pays où les opposants n'avaient aucun droit de cité, des événements imprévisibles (fuite des Allemands de l'Est, répression de la commémoration du 17 novembre par les étudiants à Prague) ont déclenché un processus de dislocation accélérée du pouvoir communiste, préparant sa liquidation définitive. La Roumanie et la Bulgarie se distinguent par la quasi-inexistence d'oppositions un tant soit peu organisées et par une sortie confuse et ambiguë du système de parti unique. La Pologne a été le banc d'essai de l'expérience gorbatchévienne d'instiller une dose de "société civile" dans le système de parti unique. En effet, l'état de guerre proclamé en décembre 1981 n'avait ni détruit, ni même marginalisé l'opposition, notamment le syndicat Solidarité. Aux yeux des Soviétiques, le pouvoir communiste polonais semblait solide. Les conditions politiques étaient réunies pour expérimenter une forme de "perestroïka", un nouveau modèle plus souple de gestion politico-économique communiste. Dès le printemps 1988, le POUP (parti communiste) envoie des signaux à Solidarnosc en proposant de réunir une "Table ronde" avec l'opposition. Solidarnosc, après avoir évalué la situation, donne son accord dès que le POUP a cédé sur deux revendications non négociables : la légalisation du syndicat et la présence dans sa délégation d'Adam Michnik et de Jacek Kuron, leaders reconnus de l'opposition. Les négociations de la "Table ronde" se déroulent du 6 février au 5 avril 1989. En résumé, l'accord final stipule la relégalisation immédiate de Solidarité, la mise en place d'un système parlementaire bicaméral, de substantielles réformes économiques. Les deux tours des élections législatives "semi-démocratiques" en juin se soldent par une débâcle électorale pour le POUP qui garde pourtant l'essentiel du pouvoir. L'expérience gorbatchévienne va-t-elle réussir en Pologne ? Le pays vit-il encore sous un système communiste ? Telles sont les questions fondamentales qui se posaient à l'époque.

En parallèle, l'évolution de la situation en Hongrie est marquée du sceau du réformisme du PSOH (parti communiste). Dans l'esprit des dirigeants, les réformes politiques consistent à établir un "État de droit socialiste". La création en septembre 1987, du "Forum démocratique", rassemblant une large partie de l'opposition est accueillie avec bienveillance par les autorités. En mars 1989, se tient le premier congrès du "Forum", suivi par celui de l'Alliance des démocrates libres, récemment créée. En réponse à une aide économique occidentale, Budapest démantèle quelques kilomètres du "rideau de fer" à sa frontière avec l'Autriche. La portée de cet événement sera considérable. Pour l'heure il passe inaperçu.

En août, quelques dizaines de citoyens de la RDA en vacances en Hongrie traversent sans encombres la brèche ouverte dans le rideau fer, bientôt suivi par des milliers d'autres, que la Hongrie laisse partir librement en Autriche. C'est à ce moment que la situation dans les pays de l'Est bascule. La secousse tellurique qui ébranle le communisme montre alors l'obsolescence de la tentative gorbatchévienne de "réformer" un système irréformable. La seule réponse à la crise finale de ce système ne peut être que la démocratie. C'est ce que réclament les centaines de milliers de manifestants qui défilent dans les villes de l'Allemagne de l'Est. L'appareil d'Etat se liquéfie, les changements effectués à la tête du parti communiste et du gouvernement ne calment guère les manifestants dont le nombre augmente tout au long du mois d'octobre. Le 9 novembre, la RDA annonce l'ouverture de la frontière interallemande, le Mur de Berlin tombe. La réunification de l'Allemagne est en marche.

À Prague, le 17 novembre, une manifestation de 30.000 étudiants est brutalement réprimée par la police. Le lendemain, des dizaines de milliers de personnes descendent dans la rue sans que la police n'intervienne. Le 19, dans les sous-sols d'un théâtre de Prague, plusieurs personnalités dissidentes se réunissent autour de Vaclav Havel et fondent le Forum civique qui impulse la "Révolution de velours". La Tchécoslovaquie "normalisée" après l'occupation soviétique s'ébroue. La province rejoint Prague. Le parti communiste répond en promettant des réformes, mais la décomposition du pouvoir est déjà avancée. Le Forum civique ne lâche pas la pression. Le 10 décembre, le Président Gustav Husak démissionne. Quelques jours plus tard, Vaclav Havel est élu par le Parlement président de la République tchécoslovaque, le terme de "socialiste" ayant disparu.

Au cours de ce même mois de décembre, Ceausescu se fait huer par la foule convoquée pour soutenir sa politique. Un Conseil du Front de salut national prend le pouvoir. Le rôle dirigeant du parti communiste est aboli. Mais, cette "révolution" garde encore ses secrets. S'agissait-il d'un coup d'État fomenté par une partie de l'appareil politico-militaire ? D'un mouvement populaire dont la puissance a surpris ses propres initiateurs, "des réformistes" de l'appareil du parti et de l'Etat ?

Ainsi, l'année 1989 s'est-elle terminée, dans les pays de l'Est, par la sortie du communisme, sans violence, sans révolution sanglante, sans vengeance à l'encontre des anciens thuriféraires du pouvoir ou des membres de la police politique. L'abolition du rôle dirigeant du Parti communiste, inscrit dans les constitutions socialistes modifiées pour instaurer la souveraineté du peuple, a permis le passage sans heurt au pluralisme politique, à la légitimité des nouvelles représentations parlementaires issues d'élections enfin libres.

À partir de 1990, plus de 700.000 soldats soviétiques stationnés en RDA, en Tchécoslovaquie et en Hongrie quittent progressivement ces pays. Le Pacte de Varsovie est dissous. Le 3 octobre 1990, l'Allemagne est réunifiée. La page des conséquences de la Seconde Guerre mondiale est enfin tournée, les pays de l'Est, séparés violemment de la partie occidentale du continent durant cinquante ans, s'apprêtent à "marcher vers l'Europe". Une nouvelle histoire commence.

Ilios Yannakakis, professeur d'histoire à l'Université Lille III

Article rédigé pour le numéro spécial de la Lettre du COLISEE (numéro 50, daté de décembre 2004) : "15 ans d'évolution de l'Europe centrale et orientale depuis la chute du Mur de Berlin".



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