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La formation de l'acteur à Prague, Brno et Bratislava : trois méthodes (2005)
dimanche 20 mars 2005, par Danièle Monmarte
Les élèves-acteurs souhaitent profiter des enseignements prodigués en Europe centrale, notamment dans le cadre de protocoles d'accords. Ce compte rendu de trois méthodes spécifiques tente de répondre à leurs demandes et complète mon étude « Prague, Brno, Bratislava : des facultés interdisciplinaires de théâtre », publiée par CNRS Editions dans « Les Nouvelles Formations de l'interprète. Théâtre, danse, cirque, marionnettes » (ouvrage collectif dirigé par Anne-Marie Gourdon) ainsi que mes articles sur la République tchèque et la Slovaquie à paraître dans le prochain numéro de « UBU/Scènes d'Europe » consacré à « La Formation des comédiens en Europe centrale et orientale ».
A la VSMU (Vysoka skola muzickych umeni), l'Ecole supérieure des arts du spectacle de Bratislava, Emília Vasaryova, l'une des actrices les plus réputées d'Europe centrale, s'attache à utiliser « une méthode rationnelle » éveillant en l'élève-acteur « un état d'ouverture irrationnelle » afin de pouvoir commencer à exister sur la scène. Pour découvrir ce secret, elle propose de passer : « du conscient à l'inconscient, de l'inconscient au conscient, du général à l'individuel, du propositionnel au propre ». Elle préconise le silence, la concentration, car le corps de l'acteur doit évoluer et se mouvoir sous l'influence des impulsions spirituelles. Elle aime en premier étudier le monologue d'Hamlet avec ses élèves, les faire réfléchir sur la fantaisie, la représentation, la création, la créativité, pendant une semaine. Puis elle organise des rencontres avec les écrivains au cours du premier semestre pour inciter à la lecture, rechercher l'éducation par la lecture. Les semestres suivants servent à reconnaître les principes et les procédés qui se manifestent dans l'œuvre théâtrale.
A la DIFA JAMU (Divadelni fakulta akademie múzických uměni), Faculté d'art dramatique de l'Académie Janacek des arts du spectacle de Brno, l'art de l'acteur est proposé par ateliers. L'un d'eux est confié à Oxana Smilkova, docteur en philosophie et plasticienne qui a fait des mises en scène à Londres (1994-1996) et vit depuis 1996 en République tchèque. Cette ancienne actrice du Théâtre national de Kiev a étudié la mise en scène avec A. Gontcharov au GITIS de Moscou. Sa méthode permet à l'élève de créer sa personnalité en lui inculquant le sens de la responsabilité et l'aidant à être vrai, inspiré et calme sur la scène, afin qu'il puisse vivre naturellement dans les circonstances non naturelles de la représentation théâtrale. Cela signifie le libérer de ses contractions musculaires, d'une exaltation inutile, d'un jeu excessif. On lui redit les principes fondamentaux de l'éducation organique de l'homme qu'il doit ensuite retrouver lui-même, et on l'invite dès les premiers cours à chercher en son for intérieur quelle serait sa réaction devant une situation donnée. La voie vers le ressenti et l'émotion réside dans le procédé, l'action, et la parole requiert tout le corps, c'est-à-dire l'organisme psychosomatique. Les exercices reposent sur une entière prise de conscience, un choix actif de l'objectif à atteindre, le développement de l'imagination à travers tout le corps…Un atelier, animé aussi par Lukas Rieger, qui s'inspire de Stanislavski, Grotowski, Suzuki, Tairov, Meyerhold, Efros, Mikhail Tchekhov et Peter Brook.
A la DAMU (Divadelni fakulta akademie muzickych umeni), Faculté d'art dramatique de l'Académie des arts du spectacle de Prague, on forme des artistes pour le théâtre, la radio, le cinéma et la télévision, en liaison avec la FAMU (Filmova a televizni fakulta), Faculté du cinéma et de la télévision. Ils sont suivis par petits groupes d'une dizaine d'étudiants. Eva Salzmannova, actrice au Théâtre de la Balustrade et au Théâtre national de Prague, estime qu'il y a deux sortes d'élèves-acteurs. D'une part, ceux qui d'après leurs dispositions physiques et psychiques ne peuvent déclamer d'emblée un texte imposé, qui ne correspond pas forcément à leur personnalité. Il faut les orienter d'une façon paradoxale à chercher qui ils sont, leur apprendre à se comporter de façon naturelle sur scène. D'autre part, « les amoureux des rôles », ceux qui peuvent camper des personnages déterminés, c'est-à-dire avoir la capacité de devenir un autre, tant sur le plan physique que psychique. Elle propose pour le premier semestre « Qui suis-je ? » (mes qualités, mes défauts, moi et la politique, moi et le théâtre, enfance, parents, amour, mort…). Le but est de définir un matériau théâtral, le développer sans tomber dans une thérapie, avoir un maximum d'authenticité pour porter à la scène ses qualités, ses sentiments (bonheur, inquiétude…). Les élèves préparent en une semaine qui un texte, un poème, qui un discours, qui un monologue à présenter au groupe. Ils s'avèrent très créatifs, réalisent des séquences entières - avec le sens de la métaphore et de l'organisation de l'espace. Une semaine avant la fin du premier semestre, les étudiants sont prêts pour l'examen, cela devient un « cabaret-collage ». Un tel exercice permet aux élèves de mieux se connaître, se sentir responsables, bref de former un ensemble.
Ces trois pédagogies ne sont pas exclusives, elles sont pratiquées aux côtés d'autres tout aussi performantes. Elles ont cependant le mérite d'aborder et d'inscrire l'art de l'acteur dans une perspective claire.
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