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Ukraine : premières divergences de vue entre Iouchtchenko et Timochenko à propos de politique extérieure (mai 2005)


mardi 31 mai 2005

Les divergences politiques en Ukraine n'augurent rien de bon ni pour la Russie, ni pour l'Occident, estime Angela Charlton, dans un éditorial écrit pour l'agence de presse russe RIA Novosti.

L'Ukraine est enfin devenue "mature" après dix ans de crise identitaire et d'hésitations entre l'Est et l'Ouest.

Les Ukrainiens ne se demandent plus ce qui est plus avantageux pour eux : l'alignement sur Moscou ou sur Washington. À présent, ils se posent une autre question : ont-ils besoin, en général, du reste du monde ?

Le week-end dernier, les divergences à ce sujet ont failli entraîner un scandale : dans un moment de colère, le président Viktor Iouchtchenko, "internationaliste", a proposé à la première ministre Ioulia Timochenko, nationaliste, de démissionner. Ensuite, ils n'ont cessé de déclarer qu'ils formaient une équipe unie, mais comme tout l'indique, rares sont ceux qui en ont été persuadés.

La nouvelle crise identitaire ukrainienne a apporté au pays la certitude qu'il a acquise après la "révolution des électeurs" en décembre dernier. En outre, elle a apporté un résultat que les diplomates essayaient vainement d'obtenir : la Russie et l'Occident se sont trouvés du même côté de la barricade, du moins, temporairement. Malgré la concurrence, les investisseurs européens et russes sont unis par le même désir d'accéder au marché ukrainien, mais la politique populiste de Ioulia Timochenko fait peur aux uns et aux autres.

La Russie a des raisons évidentes et directes de s'inquiéter. Les firmes russes ne veulent pas perdre, à cause de la campagne excessivement zélée de "reprivatisation", leurs biens importants acquis en Ukraine. Les économies des deux pays sont si étroitement liées que les moindres changements dans ce domaine en Ukraine toucheront immanquablement la Russie. Un conflit a eu lieu samedi 21 mai à la réunion avec les représentants des compagnies de pétrole et de gaz russes sur le prolongement de la réglementation des prix du combustible dans le pays introduite pendant les semailles. Les compagnies russes qui ont accepté le délai initial d'établissement des prix réglementés, mais pas son prolongement à l'initiative de Ioulia Timochenko, ont réduit les fournitures en signe de protestation.

La riposte infligée par Viktor Iouchtchenko à la première ministre a inspiré de nouveaux espoirs aux observateurs russes et bénéficié d'appréciations très positives de son activité de ces dernières années de la part des médias russes. En attendant, les investisseurs occidentaux se tiennent à l'écart et nombre d'entre eux "soutiennent", semble-t-il, les Russes, en attendant les signes d'un compromis qui leur indiqueraient qu'on peut déboucher sans crainte dans l'arène ukrainienne.

Le gouvernement américain qui a présenté les événements en Ukraine comme un exemple de changement démocratique de régime, processus que le président George Bush vise à étendre au monde entier, observe aussi attentivement ce qui se produit. Si la stagnation et l'étatisme s'instaurent dans l'économie de la nouvelle Ukraine, comme sous l'ancien régime, George Bush devra chercher un nouveau modèle d'affiches publicitaires. De plus, cela compromettra les mouvements démocratiques dans d'autres pays de l'ex-URSS, surtout en Russie.

Le problème de Viktor Iouchtchenko est que la politique économique de Ioulia Timochenko est plus appréciée par les Ukrainiens que sa propre politique. Puisque les élections législatives auront lieu dans 10 mois dans le pays, ce n'est pas petit détail. A l'automne dernier, Viktor Iouchtchenko a bénéficié du soutien de l'Occident grâce à ses promesses de mettre de l'ordre dans le pays, d'intensifier le processus de privatisation et d'adopter les normes et les valeurs européennes, ayant en vue l'adhésion possible à l'UE et à l'OTAN. Quant à Ioulia Timochenko, elle réagit aux humeurs des ouvriers et des paysans ukrainiens qui déclarent qu'ils en ont assez de l'ingérence étrangère.

On peut comprendre les Ukrainiens. Plusieurs siècles de domination des étrangers (pour l'essentiel, des Russes) ont été suivis de dix années de "souveraineté" postsoviétique qui ont mis l'Ukraine dans une situation désespérée et sous la dépendance de l'aide occidentale et de la politique russe. Mais, quoi qu'en dise Ioulia Timochenko, l'Ukraine n'est pas capable de s'en tirer seule.

Les observateurs russes tracent des parallèles entre la situation actuelle en Ukraine et les événements qui ont eu lieu en Russie dans les années 1990, lorsque Boris Eltsine et les conseillers américains de son gouvernement ont engagé les réformes impopulaires et sont entrés en confrontation avec l'opposition nationaliste qui a exploité le mécontentement des électeurs. Cela a eu pour conséquence plusieurs années de bouleversements : les événements sanglants près de la Maison Blanche (siège du gouvernement) en 1993, l'inflation galopante, les transactions truquées lors de la privatisation et l'aliénation absolue du président vis-à-vis de ses concitoyens.

Au départ, Viktor Iouchtchenko était mieux loti que Boris Eltsine. L'Ukraine a déjà réalisé les réformes postcommunistes les plus douloureuses, c'est pourquoi elle sait autrement que par oui-dire ce que sont l'inflation et la privatisation caricaturale. L'étude minutieuse des erreurs commises par la Russie ces dix dernières années peut permettre à Viktor Iouchtchenko de mettre en évidence et d'éliminer les menaces surgies, sans être pris au dépourvu, et d'éviter au pays le même sort. Cependant, une question se pose : Viktor Iouchtchenko n'est-il pas trop absorbé par la future adhésion de l'Ukraine à l'Europe unie pour se guider sur l'expérience de son voisin de l'Est ?

En plus des élections législatives, un autre cauchemar hante Viktor Iouchtchenko : la réforme constitutionnelle. Conformément à l'accord conclu au cours de la crise de décembre, il s'est engagé à abandonner de nombreuses prérogatives dont est investi aujourd'hui le président, en faveur du premier ministre. Cette perspective commence à irriter même les représentants de l'UE qui ont soutenu cet accord. Ils préfèrent certainement que Viktor Iouchtchenko soit au gouvernail, et non pas Ioulia Timochenko, parce qu'elle est moins prévisible et qu'elle leur est moins redevable.

La brouille de samedi a probablement effrayé Ioulia Timochenko, ce qui peut l'amener à accepter des compromis temporaires en vue de garder son poste. Cela faciliterait les choses pour Viktor Iouchtchenko qui s'est trouvé entre le marteau et l'enclume : entre sa propre première ministre et les pays étrangers.

Angela Charlton, en exclusivité pour RIA Novosti/Paris, 26 mai 2005.



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