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"Le dimanche français pourrait déboucher sur un rejet " par Petr JANYSKA


samedi 28 mai 2005

Petr Janyska est ancien ambassadeur tchèque en France. (Paru en tcheque dans le quotidien Pravo, samedi le 28 mai 2005, à la veille du référendum en France, traduit ensuite en francais).

Dimanche, le référendum français pourrait se solder par un « non ». Nombreux en sont les indices. Encore récemment, on aurait écrit que le « non » passerait de justesse, mais aujourd'hui rien n'est plus certain. En témoigne la dynamique des dernières semaines : dans tous les sondages le « non » grimpe jusqu'à 55 %. Certaines sources confidentielles (et d'autant plus fiables) vont jusqu' à 58 % ».

En France, le traité constitutionnel est largement considéré comme un enfant de la droite au pouvoir. C'est elle qui l'avait élaboré depuis deux ans et demi à la Convention et à la Conférence intergouvernementale, son représentant présidait d'ailleurs la Convention (V. Giscard d'Estaing). Le référendum a été annoncé par le Président Chirac qui, conformément à la conception gaulliste, y a engagé tout son poids personnel.

Ceci explique que l'on trouve les partisans les plus fervents du traité constitutionnel chez les gaullistes, électeurs de l'UMP, parti gouvernemental (81 %) et chez l'UDF, parti du centre droit lancé jadis par Giscard. Par contre, la gauche est scindée : moins de la moitié des socialistes, autant chez les verts et seulement 35 % des ouvriers y seraient favorables. Si dimanche le traité est refusé, il le sera surtout par la gauche, le problème étant celui de l'électorat socialiste. Voici une situation différente par rapport aux décennies précédentes, où l'intégration se voyait refusée traditionnellement par les gaullistes, et aux antipodes de celle de Maastricht : la force motrice d'alors, c'étaient les socialistes (76 % pour) et l'UDF centriste, tandis que les gaullistes s'y opposaient (70 % contre). A l'époque, le président était F. Mitterrand, l'intégration s'identifiait à sa personne.

Les raisons du refus ? Principalement deux : la première, minoritaire, est mise en avant par ceux qui refusent l'intégration comme telle et qui voteront toujours contre. En France, on les appelle souverainistes, leur crainte principale étant la dépossession de souveraineté nationale. La seconde, plus importante, qui entrera en jeu dimanche prochain, est celle des partisans de l'intégration, pour la plupart appartenant à la gauche, mais qui trouvent, cette fois-ci, que les dernières années de l'intégration et la constitution proposée entraînent l'Europe dans une mauvaise direction, vers un libéralisme exagéré, vers la perte des acquis sociaux. Ils entendent par leur « non » sanctionner leur gouvernement, surtout le premier ministre, et même le président, le caractère binaire du vote référendaire les y incitant.

Leur motivation relève de la situation intérieure, non du texte de la constitution. Ils sont mécontents de leur propre existence, des dix pour cent de chômage chronique, des délocalisations vers des pays moins chers situés à l'Est, ils craignent le dépérissement du modèle français, notamment des services publics. Par leur « non », ils croient arrêter les tendances en marche, ils croient que leur « non » se transformera en un « oui » à une autre économie, une autre société, qu'il changera l'orientation de l'Europe. Il est étonnant que 69 % des Français pensent qu'en cas de victoire du « non » le traité pourra être renégocié. C'est ce que leur a fait croire notamment L. Fabius, ancien premier ministre socialiste, jadis libéral, qui s'est opposé avec quelques autres à la direction de son parti pour mener une campagne de refus. Non pas pour rejeter l'intégration, dit-il, mais pour la perfectionner. Il a su mettre de son côté la moitié de l'électorat socialiste et semé le trouble dans maints esprits.

Et derrière tout cela ? L'élargissement mal digéré sans doute, qui fut loin d'être présenté avec ferveur comme quelque chose de positif dans ce pays (ce qui vaut également pour ses voisins) ; la conviction des électeurs que l'Europe prend un chemin trop libéral que l'élargissement n'a fait qu'accentuer ; l'image longtemps déformée de Bruxelles en tant que source des mesures imposées ; de même que de fortes attentes quant au rôle de l'Etat et du service public. Pour la plupart, la voix du « non » sera la voix de la protestation, du mécontentement cumulé. Toute la stratégie des chefs de la gauche relève de leur capacité à convaincre leurs électeurs que dimanche, l'enjeu n'est pas de se prononcer sur le gouvernement et les députés, mais bien sur l'avenir de l'Europe. Rude mission, car la gauche manifeste une forte prédilection pour des attitudes et des votes radicalisés. Il y a trois ans, cette propension a été fatale à L.Jospin, qui n'a même pas passé le premier tour. Les partisans du « non » actuel s'organisent en circuits parallèles, par l'intermédiaire des sites Internet, ils créent de nouvelles formations au-delà des partis politiques traditionnels, ils sont actifs et inventifs.

Si le « non » l'emporte en France, on peut s'attendre à un séisme à droite comme à gauche. Le Premier ministre pourrait ne pas y survivre. Le président et le gouvernement, aussi bien que le choix du candidat de la droite à la présidence, en seront affectés, les gaullistes de même. Mais avant tout, il frappera la gauche et les socialistes. D'après certains, il pourrait même entraîner la scission du PS et son isolement international. En jeu, probablement, le caractère réformiste social-démocrate ou bien extrêmement radical de ce parti qui pendant quinze ans a été le moteur de l'intégration en Europe.

Jusqu'ici, on ne parlait guère de ce qui pourrait arriver après un « non » hypothétique français. Personne ne voulait jouer les Cassandre ; aucun plan B n'existe, nous dit-on. Si le traité est ratifié par quatre cinquièmes des pays et refusé par un ou plusieurs, les chefs d'Etat se réuniront pour consultations. L'évolution dépendra de l'attitude de chaque gouvernement national. Les documents européens ne connaissent aucun arrêt de la ratification ni de renégociation quelconque ; au Danemark et en Irlande, où les référendums s'étaient soldés par un refus dans le passé, ce sont les gouvernements locaux qui ont décidé de réitéré le vote, autour du même texte que précédemment.

Le Premier ministre Raffarin, aussi bien que J. Delors, affirment qu'en cas de victoire du « non » il n'y aurait pas de solution immédiate en France et que si un nouveau traité était négocié d'ici une dizaine d'années, il ne comprendrait sûrement pas autant d'éléments favorables pour la France que celui-ci. Il serait alors paradoxal qu'il soit refusé dimanche par les électeurs français.

Un « non » français marquerait pour des années l'orientation de l'Europe, et prochainement les référendums dans d'autres pays (le 1er juin aux Pays-Bas, et que se passerait-il en Grande-Bretagne ?). Il aurait un impact sur l'évolution de chaque pays de l'Union. Chacun d'eux. Le climat général en serait modifié, certaines choses ne seraient plus comme avant. Il aurait une retombée sur les relations avec Berlin qui a approuvé le traité sans problèmes, puisque Berlin et Paris ont formé, pendant des années, la charpente de l'intégration. Il ne serait pas à exclure, non plus, des tentatives d'intégration en groupes restreints.

Petr Janyska (ancien ambassadeur tchèque en France, l'auteur présente sa vision personnelle).



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