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Géorgie : entraves à l'arrivée du gaz et de l'électricité russes. Quels enjeux géostratégiques ? (janvier 2006)


jeudi 26 janvier 2006, par Mirian Méloua

Affaires d'État, coups de main de services secrets, actes de séparatistes, de mercenaires ou de droits communs ? Au plus fort du froid hivernal, les sabotages perpétrés le 22 janvier 2006 sur les gazoducs d'Ossétie du Nord et sur une ligne haute tension en Karatchaï-Tcherkessie, les difficultés rencontrées dans les solutions de secours partiel ont privé de gaz la totalité des populations géorgiennes de province et plus de la moitié de celle de Tbilissi. Le 25 janvier au soir, les délais de réparation n'étaient pas connus.

LES FAITS.

Dimanche 22 janvier 2006

À vingt minutes d'intervalle, deux explosions éclatent en République d'Ossétie du Nord (Fédération de Russie) sur les deux gazoducs "North Caucasus - Trans Caucasus" (à 30 kilomètres de Vladikavkaz) et "Mozdok - Tbilissi" qui approvisionnent la Géorgie et l'Arménie à partir du territoire russe. La compagnie TbilGazi estime que la distribution pourrait être rétablie le 28 janvier.

Les services du Procureur Général de la Fédération de Russie déclarent avoir engagé une instruction pour "déprédation volontaire de biens". Des explosifs d'une puissance de 7 à 800 grammes de TNT auraient été utilisés. Les dégâts seront évalués à 1 million de dollars.

Le président géorgien, Mikheil Saakachvili, déclare à la télévision géorgienne, à l'agence Reuters et à la BBC qu'il s'agit "d'un sabotage de la Géorgie initié par la Fédération de Russie". Il affirme avoir reçu "différentes menaces de politiciens et d'officiels russes mécontents de voir les oléoducs et les gazoducs (pipelines) échapper à la Russie en Géorgie".

Le ministre géorgien de l'Intérieur, Vano Mérabichvili (1), confirme qu'un troisième sabotage a eu lieu sur la ligne électrique approvisionnant la Géorgie, dans la République de Karatchaï - Tcherkessie, entre les villages de Karatchaesk et Outchetine.

Le représentant de la compagnie russe Gazprom en Géorgie déclare qu'un approvisionnement de secours pourrait être mis en place en provenance d'Azerbaïdjan, par le gazoduc restauré en 2005. Il permettrait de recevoir 4 à 5 millions de m3 par jour contre les 7 millions de m3 nécessaires à la consommation quotidienne de la Géorgie (dont 3 millions pour Tbilissi).

Le ministère russe des Affaires étrangères qualifie les déclarations géorgiennes "d'hystériques" et les explique "par la nécessité d'identifier un ennemi extérieur face aux difficultés de la vie quotidienne en Géorgie qui ne s'améliorent pas avec le temps".

Lundi 23 janvier 2006.

La Fédération de Russie accroit ses livraisons de gaz à l'Azerbaïdjan afin que celui-ci puisse renvoyer 3 millions de m3 par jour à la Géorgie. Tbilissi est approvisionné, à l'inverse des provinces géorgiennes.

L'ambassadeur de la Fédération de Russie à Tbilissi, Vladimir Tchkhikchvili, déclare son étonnement devant les déclarations des officiels géorgiens et rappelle que les investisseurs russes aident la Géorgie dans le domaine de l'énergie. Par exemple la VneshTorgBank russe a financé deux turbines à gaz pour 40 millions de dollars (site de Gardabani). Il ajoute qu'une coopération plus étroite entre les gardes-frontières russes et géorgiens permettrait un meilleur contrôle entre Nord et Sud Caucase, comme c'est le cas pour les gorges de Pankissi où le nombre de terroristes internationaux a diminué (2).

Suite à la visite du président arménien, Robert Kotcharian, à Moscou, les médias annoncent que l'Arménie serait disposée à ce que la Fédération de Russie acquière 45 % du futur gazoduc Iran - Arménie, à la condition que le gaz russe lui soit vendu moins cher (au 1er janvier 2006, il est passé de 54 à 110 dollars les 1000 m3).

Le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, demande aux services de sécurité russes (FSB) d'élever le niveau de protection du transport d'énergie dans le Caucase Nord et au ministère russe de l'Intérieur d'appuyer l'enquête des services du Procureur Général.

Le ministre géorgien de l'Intérieur demande à la Fédération de Russie l'extradition de deux citoyens russes identifiés comme appartenant aux services secrets russes (GRU) et qui auraient perpétré des actes de sabotage en 2004 sur les lignes haute tension de Géorgie : le 14 septembre sur la ligne Kartlie-2 dans le district de Khachuri, le 20 septembre sur la ligne Iméréthie près de Gori, le 9 octobre sur les lignes Kartlie-2 et Liakhvi près de Gori, le 10 octobre sur la ligne Kartlie-2 dans le district de Satchkere (3).

Mardi 25 janvier 2006.

La compagnie locale KavkazTransGaz, en charge des tronçons gazoducs détruits, déclare que les températures basses (- 24 degrés) et l'encaissement des lieux ne permettront pas une remise en service avant le lundi 30 janvier.

Le ministre géorgien de l'Énergie, Nika Guilaouri (4), annonce que, suite à une panne de station de compression à la frontière russo - azerbaïdjanaise, le volume de gaz russe diffusé depuis l'Azerbaïdjan vers la Géorgie sera ramené de 3 à 2,5 millions de m3 par jour.

Mercredi 25 janvier 2006.

Après des entretiens à Téhéran avec son homologue iranien, le ministre géorgien de l'Energie s'entretient à Bakou avec son homologue azerbaïdjanais.

Les milieux officiels arméniens démentent avoir accepté une participation russe de 45 % dans le gazoduc Iran - Arménie afin d'obtenir du gaz russe moins cher.

Le ministre géorgien des Affaires étrangères, Guéla Béjouachvili (5), s'entretient téléphoniquement avec son homologue iranien afin d'étudier comment l'Iran pourrait livrer du gaz à la Géorgie.

Le 25 janvier au soir,
-  les délais de réparation des gazoducs situés en Ossétie du Nord restaient indéterminés,
-  l'approvisionnement de secours en provenance d'Azerbaïdjan était tombé à moins de 2 millions de m3 de gaz par jour,
-  les provinces géorgiennes étaient totalement privées de gaz (la région de Koutaïssi à l'Ouest du pays souffrant également de coupure d'électricité), l'agglomération de Tbilissi recevait 40% de sa consommation nominale de gaz.
-  les écoles et la plupart des administrations avaient été fermées.

À QUI PROFITENT LES INCIDENTS ÉNERGÉTIQUES EN GÉORGIE ?

L'ouverture de l'oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan n'a pas fait sourire Moscou. Celle du gazoduc Bakou - Tbilissi - Erzeroum (6) ne la fera pas sourire beaucoup plus. Elles contrarient la stratégie de Vladimir Poutine, qui serait de faire retrouver à la Fédération de Russie un meilleur rang mondial grâce à l'approvisionnement énergétique : les États-Unis, l'Union Européenne, la Chine et l'Inde en sont dépendants. Certains groupes d'intérêts économiques russes, comme Gazprom, en seraient les relais. Afin de reconquérir "l'Etranger proche russe", après les augmentations de tarifs du 1er janvier 2006 (prix doublé pour l'Arménie et pour la Géorgie, prix quadruplé pour d'autres pays comme l'Ukraine), ils s'engageraient volontiers dans le rachat d'entreprises étrangères afin de contrôler la distribution de leurs produits. La proposition en a été faite au gouvernement géorgien, dans le cadre des privatisations en cours.

Autre hypothèse évoquée, la nostalgie de l'empire russe et de sa grandeur : les tenants de ce passé existeraient aussi bien à la Douma que dans l'administration, ils auraient la volonté de faire payer au prix fort l'indépendance prise par certains pays. Les liens entre hommes de l'appareil, mercenaires et droits communs seraient ténus, les coups de main officiellement officieux seraient plus fréquents qu'il n'y paraît ! Roman ou science fiction, certains milieux géorgiens ne manquent pas d'avancer l'argument lors des tensions avec la Russie.

Pour certains autres observateurs, Tbilissi aurait de plus en plus de mal à masquer les difficultés de la vie quotidienne en Géorgie et plus particulièrement dans les provinces qui se dépeuplent. L'épouvantail de l'ennemi extérieur serait agité afin de faire oublier une situation intérieure moins flamboyante que les ambitions affichées ! Roman ou science fiction, certains milieux russes ne manquent pas d'avancer l'argument lors des tensions avec la Géorgie.

Enfin, cette région du monde accueillerait aussi des opérations de droit commun habillées de raison d'État ! Corruption, chantage et prélèvements arbitraires coexisteraient au quotidien tant en Fédération de Russie qu'en Géorgie. Les zones de non-droit auraient vu resurgir des traditions séculaires, un peu oubliées sous le régime soviétique.

Quels que soient les auteurs des sabotages et leurs donneurs d'ordre, ces difficultés supplémentaires dans la vie quotidienne encouragent les Géorgiens à émigrer. Malgré une certaine forme de "chasse au Caucasien", la Fédération de Russie en a accueilli plusieurs centaines de milliers et a contribué pour partie à la perte par la Géorgie de 20 % de sa population. Les Nations-Unies s'en sont récemment inquiétées.

La question énergétique est fondamentale pour la Géorgie, mais aussi pour les pays européens : l'analyse n'a pas échappé à Mikheïl Saakachvili. Le 24 janvier il propose au premier ministre suédois, Göran Persson, d'organiser à Tbilissi un forum sur "la sécurité énergétique en Europe". Le 25 janvier, il renouvelle sa proposition à Davos, en Suisse. Il avait auparavant envoyé son ministre des Affaires étrangères en parler le 23 à Berlin à Frank-Walter Steinmeier et le 24 à Bruxelles à l'espagnol Antonio Alonso Suarez.

Même si le président géorgien a déjà obtenu l'accord du GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan et Moldavie) en ce sens, il n'obtiendra qu' un succès d'estime auprès de la grande Union Européenne : elle n'a guère besoin de la petite Géorgie pour traiter de ses affaires énergétiques avec la Fédération de Russie. Pourtant les conséquences pourraient en être préjudiciables à ses 25 membres, l'intensification des flux migratoires de l'Est vers l'Ouest de l'Europe (en provenance de Géorgie et des autres "petits" pays) viendrait encore compliquer les problèmes à résoudre par Bruxelles.

*

Notes

(1) Vano Mérabichvili, 38 ans, a été président de commission parlementaire durant la présidence Chevardnadzé, secrétaire du Conseil National de Sécurité en janvier 2004, ministre de la Sécurité d'Etat en juin 2004, ministre de l'Intérieur et de la Sécurité d'Etat en décembre 2004. La création d'un Service géorgien de Contre - Espionnage, avec l'aide américaine, lui est parfois attribuée. Certaines arrestations spectaculaires sont mises à son actif, comme celle de l'auteur présumé de l'attentat contre George W.Bush en mai 2005 et celle d'une famille de droits communs, fortement armée, à l'origine de rapts et de trafics en Svanétie.

(2) La Fédération de Russie s'est opposée à la poursuite du mandat des observateurs de l'OSCE à la frontière entre la Tchétchénie et la Géorgie, après le 31 décembre 2004. Depuis les gardes-frontières géorgiens ont reçu des formations internationales (par l'Union Européenne notamment), mais oeuvrent sans la présence d'observateurs.

(3) Le ministre géorgien de l'Intérieur avait effectué des déclarations identiques le 17 juillet 2005 après l'arrestations de deux citoyens russes ; ces derniers auraient participé à l'attentat à l'explosif de Gori du 1er février 2005 et auraient fait partie d'un commando du même GRU (entraîné semble-t-il par un colonel russe en activité, portant le même nom qu'une des personnes dont l'extradition était demandée à la Fédération de Russie le 23 janvier 2006). Ses prédécesseurs, lors de la chute d'Aslan Abachidzé en Adjarie et lors des différents troubles en Ossétie du Sud, s'étaient fait l'écho de l'infiltration de mercenaires, voire de membres de services secrets, russes.

(4) Nika Guilaouri, 30 ans, est ministre de l'Energie depuis février 2004.

(5) Guéla Béjouachvili, 39 ans, a été tour à tour, ministre adjoint à la Défense, ministre de la Défense en février 2004, secrétaire du Conseil National de Sécurité en juin 2004 et ministre des Affaires étrangères en octobre 2005.

(6) Le gazoduc Bakou - Tbilissi - Erzeroum suit en partie le tracé de l'oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan. Il devrait ête opérationnel début 2007. La Géorgie devrait recevoir 5% du gaz extrait de la mer Caspienne sur le site de Chah - Deniz au titre du droit de passage entre l'Azerbaïdjan et la Turquie ; elle aurait accès à 500 millions de mètres cubes par an au prix préférentiel de 55 dollars pour 1000 m3, durant vingt ans.

Voir aussi

-  Géorgie : attentats, la Russie dément l'implication de ses services secrets (juillet 2005)

-  Géorgie : un suspect arrêté dans l'enquête sur la tentative d'attentat contre G.W. Bush (2005)

-  L'oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan est inauguré (mai 2005)

-  Oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan : grandes manoeuvres (2004)

-  Géorgie, "l'Etranger proche" de la Fédération de Russie (novembre 2004)

-  Géorgie : l'oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan évitera-t-il la vallée de Borjomi ? (2004)

-  Géorgie : la crise énergétique est aggravée par les conditions climatiques (2004)



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