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Ukraine : les élections législatives du 26 mars 2008 constitueront un test déterminant pour les héros de la "Révolution orange"


mardi 7 mars 2006

Le 26 mars prochain, quinze mois jour pour jour après l'élection à la Présidence de la République de Viktor Iouchtchenko (Notre Ukraine, NU), les Ukrainiens éliront les quatre-cent-cinquante membres de la Rada (Parlement).

Véritable test de popularité pour les héros de la révolution orange, ces élections législatives décideront de l'avenir des réformes engagées par la nouvelle équipe. Un scrutin qui s'annonce difficile pour les partisans de Viktor Iouchtchenko. Selon une enquête d'opinion publiée en décembre par le journal Ukrayinska Pravda (www.pravda.com.ua), les trois-quarts des Ukrainiens (72 %) se déclarent insatisfaits de la situation politique et économique de leur pays, plus de quatre sur dix (42 %) considèrent que leur situation matérielle s'est dégradée depuis un an et plus de la moitié estiment que le nouveau pouvoir n'a pas tenu ses promesses (58 %). Le pays est divisé entre trois camps : Notre Ukraine, qui rassemble les partisans du Président Viktor Iouchtchenko ; Batkyvchina (La Patrie), le bloc électoral de Ioulia Timochenko, ancienne Premier ministre et égérie de la révolution orange qui se décrit comme martyre de la révolution ; et le Parti des régions, formation pro-russe emmenée par Viktor Ianoukovitch, ancien Premier ministre et rival malheureux de Viktor Iouchtchenko lors de l'élection présidentielle de décembre 2004, actuellement en tête des enquêtes d'opinion pré-électorales. La forte dispersion de la classe politique - cent vingt-sept formations politiques immatriculées et donc en mesure de participer aux élections du 26 mars - rend difficile l'obtention d'une majorité électorale. Les formations politiques doivent donc impérativement nouer des alliances les unes avec les autres afin de parvenir à dégager une majorité capable de gouverner.

Une enquête d'opinion réalisée du 20 au 27 janvier derniers par le Centre Sotcis d'études en sciences sociales et politiques donne le Parti des régions en tête des intentions de vote. La formation de Viktor Ianoukovitch est créditée de 22 % des suffrages, Batkyvchina (La Patrie), le Bloc électoral de Ioulia Timochenko de 14,7 % et Notre Ukraine de 13,8 %. Ces trois partis sont suivis du Parti socialiste (SPU), qui recueillerait 6 % des voix, du Bloc populaire de Volodymyr Litvine (5,8 %) et du Parti communiste ukrainien (KPU), 5,4 %.

Un système électoral modifié

Depuis son indépendance, proclamée le 24 août 1991, l'Ukraine possède un Parlement monocaméral, le Verkhovna rada (Conseil suprême), qui compte quatre cent cinquante membres élus pour quatre ans. Le 2 avril 2004, une loi promulguée par l'ancien Président de la République (1994-2004), Leonid Koutchma, a modifié le mode de scrutin aux élections législatives et accru les pouvoirs du Parlement au détriment de ceux du Président de la République. Alors qu'auparavant, deux cent vingt-cinq députés étaient désignés au scrutin majoritaire, au sein de circonscriptions, et les deux cent vingt-cinq autres au scrutin proportionnel de liste au niveau national, les élections législatives se déroulent désormais au scrutin proportionnel dans l'ensemble du pays. En outre, le seuil minimum nécessaire que doit atteindre un parti politique pour être représenté au Parlement passe de 4 % à 3 %.

Cette réforme constitutionnelle, adoptée en décembre 2004 et qui a pris effet le 1er janvier dernier, renforce les pouvoirs du Parlement en transférant une partie des pouvoirs du Président de la République vers le Conseil suprême. Ce dernier désignera désormais le Premier ministre ainsi que la plupart des membres du gouvernement, à l'exception toutefois des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, secteurs qui demeurent le domaine réservé du Président de la République. Enfin, cette réforme des institutions fait perdre aux membres du Parlement le droit de changer de groupe parlementaire en cours de mandat.

L'ancien Président de la République (1991-1994), Leonid Kravtchouk, qui s'était pourtant déclaré en faveur de la réforme, met désormais en garde contre le danger que pourrait représenter une réforme qui fait du Parlement l'élément central de la vie politique. « C'est un vrai danger, le Parlement pourrait devenir l'instrument des lobbies » souligne t-il, constatant que les oligarques qui financent les formations politiques sont prêts à payer très cher pour obtenir une place sur les listes électorales.

Le bilan d'une année de révolution orange

Durant ces derniers mois, la popularité de Viktor Iouchtchenko a enregistré une forte baisse, passant de 73 % d'opinions favorables en avril 2005 à tout juste 50 % en octobre dernier. Les difficultés économiques qu'a connues l'Ukraine ces derniers mois ne sont certainement pas étrangères au ternissement de l'image du leader de la révolution orange. En 2005, la croissance du PIB a été moins élevée (de moitié : 6 %, contre 12 % l'année précédente), le chômage a progressé, touchant 12 % de la population active et l'inflation a enregistré une forte hausse (les prix de la viande, du sucre et de l'essence ont fortement augmenté), qui a considérablement réduit la visibilité et les effets des augmentations de salaires et des pensions de retraite accordées par le nouveau pouvoir. Enfin, la réévaluation de la monnaie nationale (la hrivnia) réalisée par le gouvernement de Ioulia Timochenko a lourdement affecté les économies des Ukrainiens, essentiellement placées en dollars. Les privatisations et l'ampleur des dépenses sociales engagées pour honorer les promesses de la révolution orange ont quelque peu découragé les investisseurs étrangers. Enfin, l'image du Viktor Iouchtchenko a été écornée par le scandale causé par la révélation par la presse du train de vie opulent de son fils aîné Andrij et la tentative de celui-ci de s'approprier commercialement la « marque orange ».

En dépit de ces difficultés, la nouvelle équipe au pouvoir a, durant cette première année de pouvoir, commencé à changer le visage de l'Ukraine, introduisant transparence et démocratie dans la société, privatisant l'industrie, notamment le combinat Krivorijstal (production du métal, minerai de fer, uranium et titane), supprimant la censure dans les médias - deux hebdomadaires et deux quotidiens ont vu le jour ces derniers mois - et mettant en place un véritable programme de lutte contre la corruption (licenciement de dix-huit mille fonctionnaires, opération mains propres menée au sein de différents ministères, du parquet, de la police et des impôts), une tâche qui, de l'aveu même de Viktor Iouchtchenko, n'en est qu'à ses débuts, tant la corruption est omniprésente dans la société. Si beaucoup reste à faire, l'Ukraine est devenue un pays libre et démocratique.

Outre la dégradation de la situation socio-économique, qui n'est pas entièrement imputable à la nouvelle équipe en place (les anciens dirigeants avaient en effet beaucoup promis avant l'élection présidentielle de 2004), les rivalités et la division au sein du clan orange ont grandement contribué à décevoir les Ukrainiens. Le 3 septembre, Olexander Zintchenko, secrétaire général de la Présidence de la République et ancien directeur de la campagne électorale de Viktor Iouchtchenko, a déclenché la première grave crise à la tête de l'Etat en démissionnant de son poste pour, a-t-il déclaré dans une conférence de presse, « dénoncer le blocus de l'information » organisé par certains responsables autour du Président de la République qui ne pensent qu'à « utiliser leurs fonctions pour s'accaparer tout ce qu'ils peuvent ». La démission du secrétaire général a été suivie de celles d'Olexander Tourtchinov, chef des services de sécurité (SBU), de Mykola Tomenko, vice-Premier ministre et d'un autre membre du gouvernement, Mykola Tomenko.

« J'ai pris conscience que certaines personnes volent, d'autres démissionnent. Dans de nombreux cas, le processus surpasse en ampleur ce qui se passait pendant l'ère de Leonid Koutchma, s'étendant dans les structures régionales et centrales. Le phénomène devient systémique. Je ne veux pas porter la responsabilité d'autres personnes qui ont créé un système corrompu », a affirmé Olexander Zintchenko lors de sa conférence de presse convoquée à l'occasion de sa démission, ajoutant : « l'Ukraine est dirigée par deux gouvernements concurrents : celui de Ioulia Timochenko et celui de Petro Porochenko. Il n'est pas trop tard mais si des mesures ne sont pas prises, une contre-révolution se produira ». Olexander Zintchenko a mis nommément en cause les proches de Viktor Iouchtchenko et demandé la démission d'Olexander Tretiakov, premier conseiller du Président, de Nikolaï Martynenko, chef du groupe parlementaire Notre Ukraine et surtout de Petro Porochenko, connu sous le nom de « Roi du chocolat » pour son activité dans la confiserie. Chef du Conseil national de la sécurité, celui-ci avait été nommé par Viktor Iouchtchenko afin de faire contrepoids à Ioulia Timochenko, que le Président avait désignée comme Premier ministre. Oligarque tardivement rallié à la révolution orange qu'il a financée - son père est l'un des hommes d'affaires les plus riches d'Ukraine, il est également propriétaire de la chaîne de télévision Kanal 5. Évoquant « un coup d'Etat rampant », Olexander Zintchenko l'accusait d'avoir usé de sa position et de son influence personnelle sur le parquet et d'autres ministères pour faire des affaires.

Devant la crise affectant ses troupes, Viktor Iouchtchenko décidait, le 8 septembre dernier, de limoger Olexander Tretiakov et Petro Porochenko, profitant de cette occasion pour destituer Ioulia Timochenko, avec qui les relations étaient devenues très tendues et nommer Iouri Ekhanourov au poste de Premier ministre. Âgé de cinquante-sept ans, économiste et ancien gouverneur de la région de Dniepropetrovsk, celui-ci est un fidèle du Président de la République dont il a été l'adjoint lorsque Viktor Iouchtchenko était Premier ministre (1999-2001). « Il n'y aura pas de conférence de presse tous les jours mais un travail régulier et quotidien pour sortir le pays de la crise » a déclaré Iouri Ekhanourov lors de son investiture, sous-entendant ainsi que Ioulia Timochenko avait passé plus de temps à soigner son image qu'à véritablement travailler dans l'intérêt du pays. Douze ministres du précédent gouvernement ont été reconduits à leurs postes.

« Aurais-je dû me taire sur la corruption, continuer à faire comme si de rien n'était alors que j'avais maintes fois alerté sans succès le Président de la République ? » s'interroge dorénavant Olexander Zintchenko qui conclut que « tôt ou tard, tout aurait éclaté au grand jour ». L'homme a depuis créé sa propre formation politique qui présentera d'ailleurs des candidats aux élections législatives du 26 mars prochain. Petro Porochenko accuse Ioulia Timochenko de tous les maux, et en particulier de s'être vendue à la Russie par ambition personnelle. Il appelle à la réconciliation et se plaint d'avoir été un bouc émissaire. « J'ai eu le plus grand mal à me blanchir des accusations de corruption d'Olexander Zintchenko, accusations dont il n'a pas donné la moindre preuve. J'ai gagné tous mes procès et la commission parlementaire qui enquêtait sur le sujet a conclu à mon innocence », souligne t-il. Le Président Viktor Iouchtchenko s'est finalement résolu à accepter la présence de son ancien Chef du Conseil national de la sécurité sur les listes de sa formation, Notre Ukraine, pour les élections législatives du 26 mars prochain, après avoir promis de ne pas le faire, donnant ainsi, selon les mots de Ioulia Mostova, rédactrice en chef de l'hebdomadaire Zerkalo Nedeli, « une impression d'inconsistance ».

« Il y a eu de l'aventurisme politique et des comportements amoraux. Les idéaux de Majdan (Majdan Nezalejnosti, la place de l'Indépendance de Kiev, lieu de rassemblement des partisans de la révolution orange en décembre 2004) en ont été les victimes et des millions de gens ont été déçus. Nous avons perdu un temps précieux que nous allons rattraper en menant cette fois une politique gagnante », reconnaissait Viktor Iouchtchenko, le 19 novembre dernier lors d'une visite à Paris. Un mois plus tard, sur le lieu même qui a vu naître la révolution orange et devant la foule venue commémorer le premier anniversaire de son élection à la Présidence de la République, il déclarait : « Je dirai à ceux qui ont baissé les bras : mes amis, en tant que Président de ce pays, j'affirme que nous suivons la seule bonne voie, celle de la liberté et de la justice pour chacun ». Enfin, dressant le bilan de la révolution orange, il affirmait : « L'Ukraine est devenue ouverte, parfois même trop ouverte. Les Présidents qui étaient ici avant moi vivaient dans un contexte sans discussion possible. Leur vie était sans doute plus simple. Mais pour la nation, pour le peuple, c'étaient de mauvaises conditions. Ce que la révolution orange a apporté, c'est une qualité toute différente dans la façon de gouverner. C'est le dialogue, un dialogue complexe. Mais j'y trouve, croyez-moi, du plaisir. Car je vois grandir sous mes yeux une vraie compétition politique ».

En dépit des nombreuses difficultés auxquelles le pays doit faire face, les prochaines élections législatives seront libres. « Les élections du 26 mars prochain ne sont pas les élections du Parlement ou du Premier ministre mais elles sont la réponse à la question de savoir si nous réussissons à préserver ce que nous avons gagné il y a douze mois et appelons la liberté ukrainienne et la démocratie ukrainienne » a déclaré, fin décembre, le Président de la République Viktor Iouchtchenko. « Nous vivons le chaos de la transformation. C'est tout de même mieux que l'ordre de la décomposition qui prévaut en Russie » affirme de son côté Sergueï Evtouchenko, responsable des relations internationales du mouvement Pora (signifiant « Il est temps » en ukrainien), fer de lance de la révolution orange qui s'est récemment transformé en parti politique.

Corinne Deloy/Fondation Robert Schuman

-  http://www.robert-schuman.org/oee/u...

Rappel des résultats des élections législatives du 31 mars 2002 en Ukraine

Participation : 69,4 %
-  Notre Ukraine (NU) : 23,6 % (112 sièges)
-  Parti communiste (KPU) : 20 % (66)
-  Pour une Ukraine unie (ZYU) : 11,8 % (102)
-  Bloc Ioulia Timochenko (VBJT) : 7,2 % (21)
-  Parti socialiste (SPU) : 6,9 % (24)
-  Parti social-démocrate (SDPU) : 6,3 % (24)
-  Bloc Nataliya Vitrenko (BNV) : 3,2 %
-  Les femmes pour l'avenir (ZzM) : 2,1 %
-  Équipe de la génération d'hiver (KOP) : 2 %
-  Parti communiste rénové (KPU-O) 1,4 %
-  Parti vert (PZU) : 1,3 %
-  Yabluko (Y) : 1,2 %
-  Unité (Y') : 1,1 (4)
-  Parti démocratique - Union démocratique (DPU-DS) : 1,2 %
-  Indépendants : 95

Source : Commission centrale électorale

Voir aussi :
-  La guerre du gaz entre l'Ukraine et la Russie pèsera sur les élections ukrainiennes du 26 mars 2006



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