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La guerre du gaz entre l'Ukraine et la Russie pèsera sur les élections ukrainiennes du 26 mars 2006


mardi 7 mars 2006

L'Ukraine est membre de l'Espace économique commun (EEC), organisation créée en 2003 par les présidents russe, biélorusse, kazakh et ukrainien. La survie du Président de la République Viktor Iouchtchenko, qui doit sans cesse composer avec ces pays issus de la Communauté des États indépendants (CEI), dépend de façon importante des compromis qu'il parvient à passer et de son habilité à maintenir des relations équilibrées avec la Russie.

L'Ukraine dépend en effet de son voisin russe pour un cinquième de ses exportations et pour une grande part de ses importations, notamment énergétiques. Cette dépendance explique l'importance pour Viktor Iouchtchenko d'un partenariat privilégié de son pays avec l'Union européenne. « Nos priorités en matière de politique étrangère restent inchangées. Rejoindre l' »Union européenne est le principal objectif stratégique de l'Ukraine » a-t-il déclaré le 23 janvier dernier, ajoutant : « Figure également sur notre agenda une claire restructuration des relations ukraino-russes ». Le 1er décembre dernier, Bruxelles a reconnu à l'Ukraine le statut d'économie de marché, une victoire pour le Président de la République et une décision qui permet de protéger les exportateurs ukrainiens contre les mesures antidumping.

La crise du gaz, qui a débuté il y bientôt un an, est l'exemple parfait de la difficulté pour l'Ukraine de s'affranchir de la tutelle russe et de s'imposer sur la scène internationale. Au printemps 2005, la société russe Gazprom décide d'en finir avec le système datant de l'époque soviétique en vertu duquel l'Ukraine prélevait une partie du gaz à destination de l'Europe occidentale transitant par son territoire. Le 8 juin, Gazprom annonce son intention de relever ses tarifs au niveau du marché, faisant passer les 1 000 m3 de gaz de 50 à 230 dollars. La Russie fournit le tiers du gaz consommé par l'Ukraine dont l'industrie, notamment la métallurgie et la chimie, est une grande consommatrice.

Ne se déclarant pas opposée à un relèvement du prix du gaz, l'Ukraine demande alors une augmentation progressive afin que ses entreprises puissent s'ajuster aux nouveaux tarifs. Les deux pays négocient durant des mois sans qu'aucun compromis ne soit trouvé. L'Ukraine refuse, comme la Russie le lui propose, de perdre le contrôle du gazoduc, qu'elle considère comme une installation vitale pour sa sécurité, en échange d'un prix préférentiel de 47 dollars les 1 000 m3. Enfin, le 1er janvier dernier, Gazprom décide de suspendre ses livraisons de gaz à l'Ukraine. Le 4 janvier, après donc trois jours de coupure de gaz, Russes et Ukrainiens parviennent finalement à un accord, signé pour une durée de cinq ans, dans lequel le Président de la République Viktor Iouchtchenko accepte de faire importer la majorité du gaz ukrainien par une société enregistrée en Suisse -et fortement suspectée de blanchiment d'argent, RosOukEnergo, contrôlée pour moitié par Gazprom et pour moitié par un fonds d'investisseurs administré par la banque autrichienne Raiffeisen mais dont les bénéficiaires sont tenus secrets. Quelques mois auparavant, le parquet ukrainien avait d'ailleurs ouvert une enquête contre cette même société. L'accord prévoit que RosOukEnergo achète le gaz au prix de 230 dollars les 1 000 m3 et le revend à l'Ukraine pour 95 dollars, après l'avoir mélangé avec du gaz venu du Turkménistan (qui a d'ores et déjà annoncé qu'il ne renouvellerait pas l'accord en 2007), d'Ouzbékistan et du Kazakhstan. Les deux tiers du gaz proviendront d'Asie centrale et le prix de 95 dollars n'est fixé que pour une période de six mois. L'économiste Andrij Ermolaev qualifie cet accord de « traité de Brest-Litovsk » (en référence au traité signé entre la Russie et l'Allemagne en 1917 pour mettre fin à la guerre entre les deux pays) « qui ne sera valide que le temps que les deux pays mettent au point de nouvelles stratégies ». Selon de nombreux experts, le nouveau montage pourrait aisément permettre à Gazprom et à RosOukEnergo de détourner de gigantesques sommes d'argent.

Récemment, Viktor Iouchtchenko s'est engagé à renforcer la coopération énergétique avec la Russie et a décidé de relancer le projet de consortium mixte pour le transport du gaz russe à travers l'Ukraine, un projet qu'il avait écarté lors de son arrivée au pouvoir. « Cette crise du gaz n'est pas un problème économique. Elle a été inventée par un Vladimir Poutine plein de haine afin de jouer un rôle dans le processus des élections législatives. Le Président de Russie veut ébranler, changer le gouvernement et peut-être installer au pouvoir l'adversaire de Viktor Iouchtchenko, à savoir Viktor Ianoukovitch » analyse Myroslav Popovych. « Le fait même que Viktor Iouchtchenko soit au pouvoir est inacceptable pour la Russie : il prouve qu'un scénario démocratique et possible en ex-URSS » déclare également Ioulia Mostova, qui ajoute : « Le plus triste, c'est l'irresponsabilité de nos dirigeants, qui au lieu d'être unis dans cette guerre du gaz, en profitent pour engranger des dividendes à court terme ». De son côté, le Président russe a déclaré que l'Ukraine, financée par les banques occidentales, était largement en mesure de payer le gaz russe au prix du marché : « Il s'agit de milliards de dollars, c'est parfaitement suffisant pour acquérir auprès de la Russie les volumes de gaz nécessaires au prix du marché », a-t-il affirmé.

Après cet épisode gazier, le Président de la République Viktor Iouchtchenko a dû affronter une nouvelle crise lorsque le Parlement a désavoué l'accord conclu avec la Russie et limogé le gouvernement. Selon les députés, cet accord ne peut qu'entraîner une hausse des prix du gaz pour les particuliers. Viktor Iouchtchenko a déclaré que la décision du Conseil suprême était « inconstitutionnelle », accusé le Parlement de vouloir déstabiliser le pays et exigé que les parlementaires reviennent sur leur vote qu'il a qualifié « d'incompréhensible et d'illogique ». Selon le Président de la République, la révocation du gouvernement, votée par les députés proches de Ioulia Timochenko et ceux alliés à Viktor Ianoukovitch, ne peut émaner que du vote d'au moins cent cinquante parlementaires ou encore d'une motion de censure du Chef de l'Etat. Par conséquent, a déclaré Viktor Iouchtchenko, le gouvernement de Iouri Ekhanourov dispose « des pleins pouvoirs » et restera en fonction jusqu'aux prochaines élections législatives, une décision finalement acceptée par le Conseil suprême. Seul organe habilité à trancher ce différend, la Cour constitutionnelle en est empêchée ne possédant pas le nombre de juges requis pour se réunir (plusieurs nominations ont été bloquées par le Parlement). À la suite de cette crise, Viktor Iouchtchenko a immédiatement retiré sa signature du mémorandum de coopération qu'il avait signé en septembre 2005 avec son ancien rival à la Présidence de la République. « Je reprends ma signature, car l'autre partie a violé le principe fondamental de cet accord, celui d'une coopération pour la stabilité de la situation politique » a-t-il souligné. Selon le quotidien Kommersant du 23 septembre 2005, Viktor Iouchtchenko se serait engagé, dans cet accord, à présenter devant le Parlement deux lois d'amnistie, l'une couvrant les falsificateurs des élections, l'autre étendant l'immunité parlementaire aux élus locaux. Par ailleurs, il aurait également promis l'abandon de la remise en cause des privatisations dans le secteur de la métallurgie et de la chimie.

Les forces d'opposition n'ont pas hésité à profiter de la colère provoquée par la crise avec la Russie et de la méfiance de la population envers le grand voisin russe pour fragiliser le camp présidentiel et se repositionner en vue des élections législatives. Dans cette perspective, les membres du groupe de Ioulia Timochenko se sont rapprochés des proches de Viktor Ianoukovitch avec qui ils ont voté un moratoire sur les prix de l'énergie, des transports et des services communaux. Cependant, l'ancien Premier ministre a appelé, début février, à une réunification du camp orange. « Je suis prête à garantir qu'aucune coalition avec le Parti des régions ne sera créée avec ma participation. Je voudrais aussi que Viktor Iouchtchenko et Olexander Moroz (leader du Parti socialiste, SPU) apposent leur signature au bas de cet engagement. Nous ne voyons aucune coalition possible avec Viktor Ianoukovitch, nos positions divergent sur presque tous les aspects concernant l'intérêt de l'Ukraine, que ce soit en politique intérieure ou extérieure. Nous ne voyons pas notre parti rejoindre une autre coalition que la coalition orange » a-t-elle déclaré, dénonçant toutefois « les erreurs du gouvernement et du camp du Président de la République ».

« Nous sommes en campagne électorale, l'accord gazier avec la Russie est plus un prétexte que la vraie raison de la crise », assure le politologue Mikhaïl Pogrebinski. « Tous les changements qui ont eu lieu n'ont pour but que d'empêcher une force politique d'assurer pleinement le pouvoir », affirme Sergueï Telechoun, professeur de sciences politiques. En acceptant de confier l'approvisionnement ukrainien en gaz à la société RosOukEnergo, Viktor Iouchtchenko a pris un risque qui pourrait, à terme, lui coûter plus cher que les précédentes coupures de gaz effectuées par la Russie. Mais le Président ukrainien pouvait-il vraiment refuser cet accord ? « Le gouvernement a été guidé par les intérêts nationaux de l'Ukraine », a déclaré le Premier ministre Iouri Ekhanourov, défendant l'accord signé avec la Russie.

Corinne Deloy/Fondation Robert Schuman

http://www.robert-schuman.org



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