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Bulgarie : élection présidentielle du 22 octobre 2006. Le président Parvanov sera-t-il réélu au premier ou au second tour ?


samedi 30 septembre 2006

Si l'on se fie aux différents sondages d'opinion - réalisés environ deux mois avant l'élection, il faut le souligner - le président Guéorgui Parvanov a de très bonnes chances de se faire réélire lors des élections présidentielles qui se dérouleront fin octobre (1).

Deux questions se posent désormais : la première est de savoir si cette réélection annoncée se fera dès le premier tour du scrutin. La seconde est de savoir quel sera son éventuel compétiteur en cas de second tour. Les tentatives de réponses qui sont apportées à ces questions redonnent un certain intérêt à cette élection.

Malgré le manque apparent de suspense sur son issue, cette quatrième élection présidentielle depuis l'instauration d'un système pluraliste en Bulgarie en 1990, est intéressante à observer dans la mesure où elle cristallise une situation politique à la veille de l'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne le 1er janvier 2007.

Si tant est que le vote des Bulgares confirme la projection des sondages, on peut se poser la question de savoir jusqu'à quel point la « gauche » bulgare sera renforcée par la réélection de son candidat ? Quant à la « droite » on peut se demander si elle survivra - dans sa configuration actuelle du moins - à une défaite qui pourrait être, honorable ou, au contraire, désastreuse. Enfin, on peut s'interroger sur l'avenir électoral de la mouvance extrémiste bulgare, très largement représentée dans cette élection.

On l'aura compris, comme toute élection majeure, cette élection présidentielle est de nature à bouleverser un peu plus la scène politique bulgare, non pas tant par son résultat final que par ses conséquences sur le plan intérieur. Elle est d'autant plus captivante qu'elle ne manque pas de quelques zones d'ombre. Quant à l'Union européenne, quelques « signaux » semblent indiquer qu'elle apprécie la stabilité du statu quo.

Après examen des différents documents exigés par la loi, la Commission centrale électorale mise en place à l'occasion de ces élections a décidé, samedi 16 septembre, que sept candidats (et leur « suppléant » pour le poste de vice président) pouvaient briguer les suffrages des électeurs le dimanche 22 octobre 2006 (2). Il s'agit - dans l'ordre de présentation des candidatures et des candidats (3) : Guéorgui Parvanov (et Angel Marin) présentés par un « comité de parrainage » et soutenus par le parti socialiste bulgare, Grigor Velev (et Yordan Moutafchiev), présentés par l'Association des nationalistes bulgares, Volen Sidérov (et Pavel Chopov) présentés par le parti nationaliste Ataka, Nedelcho Beronov (et Yuliana Nikolova) présentés par un « comité de parrainage » et soutenus par les deux principaux partis de droite, l'Union des forces démocratiques (SDS) et les Démocrates pour une Bulgarie forte (DSB), Guéorgui Markov (et Maria Ivanova) présentés par le parti Ordre, loi et justice, Liouben Petrov (et Nelly Topalova) présentés par un « comité de parrainage » et soutenus par l'Association patriotique nationale de gauche et enfin Petar Beron (et Stela Bankova), présentés par un « comité de parrainage » et soutenus par diverses organisations nationalistes.

À la lecture de cette liste, trois observations s'imposent : 1) le NDSV (mouvement libéral dirigé par l'ancien Premier ministre Siméon de Saxe-Cobourg), deuxième force parlementaire et membre de l'actuelle coalition gouvernementale de centre gauche, ne présente pas de candidat. 2) Boïko Borisov, actuel maire de Sofia et personnalité la plus populaire en Bulgarie, présenté par la presse depuis plusieurs mois comme étant le concurrent le plus dangereux du président sortant, ne se présente pas. 3) Les candidatures « extrêmes », qui se revendiquent d'un « nationalisme bulgare » - qu'il soit de gauche ou de droite - semblent étonnamment nombreuses pour être le fruit d'un simple hasard. Ces trois constatations donnent une tonalité particulière à la campagne qui va avoir lieu.

Les tendances annoncées par les sondages

Même s'il est toujours nécessaire de soulever les précautions d'usage quant à ce genre d'outil sociologique, les sondages d'opinion donnent, sur la durée, une tendance généralement crédible. Pour ce qui est des prochaines élections présidentielles les orientations sont les suivantes : selon un sondage de l'agence Alpha Research, publié fin septembre 2006, 51 % seulement des électeurs ont l'intention de se rendre aux urnes. 16 % indiquent qu'ils sont indécis sur leur choix et 33 % affirment qu'ils s'abstiendront. Si l'on tient compte de ce que l'on appelle la marge d'erreur scientifique, le faible taux estimé de participation est très important à souligner.

Parmi ceux qui affirment qu'ils iront voter, 68,5 % se prononcent en faveur du président sortant, 14.4 % en faveur de V. Siderov, 9,6 % en faveur de N. Beronov, 4,2 % en faveur de G. Markov et 1,8 % en faveur de P. Beron.

À moins d'un mois de l'échéance, le fait marquant ne semble pas la « victoire annoncée » du président G. Parvanov - prévisible depuis longtemps - mais plutôt la « déroute annoncée » du candidat de la droite unie, N. Beronov. Ce dernier serait largement dépassé, en effet, par le candidat nationaliste, protestataire, extrémiste et « anti-tout », V. Siderov.

Plusieurs réserves doivent être immédiatement apportées à ces indications liminaires. La première concerne le peu d'intérêt apparent des électeurs pour ces élections présidentielles. Le journal « Standart » indiquait récemment que, d'une part, 7 % seulement des gens connaissent tous les candidats officiels et que, d'autre part, un grand nombre d'électeurs croient que B. Borisov est candidat (4). On peut encore ajouter que certains candidats (nationalistes) sont encore si peu perceptibles par l'opinion qu'il n'est pas possible de les faire figurer dans les sondages.

La seconde concerne le taux de participation estimé du premier tour. Tel qu'il est annoncé, il est évidemment en baisse par rapport aux précédentes élections mais ils est surtout « limite » si l'on se place dans l'optique d'une possible victoire du président sortant dès le premier tour. La constitution indique très précisément, en effet, qu'au premier tour « est élu le candidat qui a reçu plus de la moitié des voix exprimées si plus de la moitié des électeurs inscrits ont pris part aux élections » (Art. 93, alinéa 3). Ce « double seuil » à franchir, qui reste tout à fait incertain à un mois des élections, pourrait donc imposer un second tour - quel que soit le score du président sortant - si la participation n'atteint pas 50 % des électeurs inscrits au premier tour. Dans ce cas, la constitution prévoit que « si aucun candidat n'est élu [dans ces conditions], un second tour est organisé dans un délai de sept jours auquel participent les deux candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de voix. Est élu le candidat qui a obtenu le plus de voix » (Art. 94, alinéa 4). Aucun seuil concernant les électeurs inscrits, évidemment, n'est exigé au second tour.

Concernant ce registre, il est intéressant de signaler qu'une récente loi a autorisé le « nettoyage » des électeurs inscrits sur les listes électorales. Par l'intermédiaire de ses outils de surveillance aux frontières, c'est le ministère de l'Intérieur qui a œuvré à cette mise à jour des listes. Sont visés les électeurs bulgares qui sont partis à l'étranger deux mois au moins avant ces élections. Ceux-ci, il faut le préciser immédiatement, pourront quand même voter s'ils se manifestent à leur retour en Bulgarie ou auprès de leur ambassade dans laquelle ils pourront, comme la loi les y autorise toujours, exercer leur devoir électoral. Il n'empêche, les chiffres annoncés officiellement indiquent que 600.000 électeurs inscrits - qualifiés par certains de « fantômes » (5) - ont été rayés des listes. Il est toutefois difficile d'apprécier dans quelle mesure cette diminution des inscrits est de nature à faciliter la réélection - dès le premier tour - du président Parvanov.

Aperçu du paysage politique bulgare actuel

Le paysage politique bulgare a été remodelé par les dernières élections législatives de juin 2005. Non sans mal, les trois principaux partis représentés au parlement sont arrivés à un accord politique pour former une coalition gouvernementale que l'on peut qualifier de « centre gauche ». Cette coalition comprend le parti socialiste (BSP), le Mouvement national Siméon II (NDSV) et le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS) qui représente principalement les intérêts de la minorité turque en Bulgarie. Ces deux dernières formations politiques appartiennent à l'Internationale libérale. Cette coalition, majoritaire au parlement, regroupe 169 sièges sur 240 (82/53/34).

Le gouvernement tripartite est dirigé par le leader du parti socialiste, S. Stanichev (6), qu'entourent trois vice-Premier ministre issu chacun de l'une des composantes de la coalition (7). Une instance politique ad hoc, sorte de « Conseil de coalition », a été instaurée pour fixer, d'un commun accord, les grands objectifs et prendre les décisions les plus importantes. Ce Conseil est composé des dirigeants des trois formations : le Premier ministre, S. Stanichev (BSP), Siméon de Saxe-Cobourg (NDSV) et Ahmed Dogan (DPS).

Par ordre d'importance en sièges, l'opposition au Parlement comprend, d'une part, la « droite » bulgare, globalement incapable de s'entendre pour des querelles de personnes plutôt que de doctrine. Elle est représentée par trois groupes parlementaires : l'Union des forces démocratiques (SDS), mené par l'ancien président de la République P. Stoyanov (20 sièges), les Démocrates pour une Bulgarie forte (DSB) dirigé par l'ancien Premier ministre I. Kostov (17 sièges) et l'Union populaire bulgare qui regroupe trois personnalités - plutôt que trois partis - Madame A. Mozer (Union agrarienne), K. Karakatchanov (ORIM) et l'ancien maire de Sofia, S. Sofianski (Union des démocrates libres) (13 sièges).

L'opposition comprend, d'autre part, un groupe extrémiste « anti-tout », Ataka, composé de plusieurs mouvements et personnalités se revendiquant du « nationalisme bulgare » et dirigé par V. Sidérov (8). Il ne compte plus désormais que 14 députés.

Bref bilan d'une année de la coalition gouvernementale tripartite

Le 16 août 2005, après deux mois environ de négociations difficiles, le Parlement bulgare adoptait la composition d'un gouvernement de coalition qui se présentait devant l'opinion comme le « gouvernement de l'intégration européenne, de la responsabilité sociale et de la croissance économique ». Malgré une majorité substantielle au Parlement, de nombreux observateurs politiques locaux ne lui prédisaient pas une durée de vie très longue.

Si les nombreuses promesses électorales faites sont encore loin d'avoir été honorées, ce gouvernement peut s'enorgueillir de quelques résultats économiques incontestables qu'il a su mettre en valeur sur le plan international, notamment auprès de l'Union européenne : la croissance du PIB devrait, pour le deuxième année consécutive, tourner autour de 5 % en 2006. Le taux de chômage, quant à lui, continu à baisser pour atteindre aujourd'hui environ 8,75 % et les investissements étrangers (IDE), qui représentent une marque de confiance dans la stabilité politique globale du pays, se montent à 1.400 millions d'euros pour les six premiers mois de l'année (2.300 millions escomptés à la fin 2006).

Encadré par un directoire financier (currency board) et contraint de respecter les nombreux critères fixés par l'Union européenne et les institutions financières internationales, le gouvernement actuel n'a finalement fait que poursuivre, sur le plan économique, l'action entreprise par le gouvernement précédent dirigé par Siméon de Saxe-Cobourg.

L'opinion publique, dans une large majorité, ne partage pas l'optimisme gouvernemental et une partie d'entre elle pourrait encore décider de manifester son mécontentement par un vote protestataire. Les « perdants des réformes », qui regroupent encore une grande partie de la population, considèrent que leurs revenus ne leur permettent pas de vivre dignement. L'un des deux principaux syndicats a récemment souligné, par exemple, que si le salaire minimum a augmenté de 6,7 % depuis le début de l'année, l'inflation pour la seule année 2005 s'élevait à 6,5 %. Toujours selon ses experts, si le salaire brut moyen s'est accru de 4,4 % en 2005, sa croissance nette n'a pas dépassé 2,6 %. Trop de familles, sans parler des 2.300.000 retraités (9) et d'une majorité de personnes au sein des minorités ethniques, vivent encore sous le seuil de pauvreté.

Au-delà de ces aspects socio-économiques graves, se greffent les problèmes de criminalité et de corruption qui gangrènent le pays depuis de nombreuses années. C'est justement parce qu'aucune force politique ayant exercé le pouvoir jusqu'à présent n'a pu apporter de solutions visibles que l'opinion se radicalise. Les tentatives du nouveau Procureur général, un ancien conseiller du président de la République, sont encore trop embryonnaires pour être perçues comme efficaces par l'opinion.

Par ailleurs, le spectacle tapageur que donnent les « nouveaux riches » exaspère ce que l'on pourrait appeler le « bulgare moyen » qui doit se contenter de regarder, avec envie, ce dont il ne disposera jamais. Les Bulgares acceptent de plus en plus mal de se faire souvent racketter au guichet pour obtenir le moindre document administratif ou d'avoir à payer un bakchich à l'hôpital, au tribunal ou au commissariat de police. Cette « petite corruption », vécue au quotidien par la population, se double d'une « grande corruption » contre laquelle les autorités gouvernementales ont de la peine à lutter efficacement. L'arrestation récente, pour détournement de fonds, du directeur de la société de chauffage urbain de Sofia ou le limogeage de quelques policiers, douaniers ou magistrats ne peuvent apaiser l'opinion qui reste persuadée que les « gros poissons » du monde politique ou de la « haute administration » demeurent intouchables. Abreuvée par la presse de dénonciations de scandales en tous genres - plus ou moins vrais, plus ou moins exagérés et jamais éclaircis - une grande partie de l'opinion publique est devenue suspicieuse et agressive à l'égard de la classe politique et des institutions.

Évidemment, la droite n'a pas manqué de souligner que les tergiversations du gouvernement ont été à l'origine du mauvais rapport intermédiaire de la Commission européenne en mai dernier. Décrédibilisés par ses querelles intestines, incompréhensibles souvent pour la grande majorité de ses sympathisants, les représentants de la droite ont abandonné le terrain de la contestation au principal parti extrémiste, Ataka, qui se complait dans la surenchère populiste virulente. Après un an d'exercice, ce gouvernement de coalition recueillerait selon les sondages environ 28 % d'opinions favorables contre 43 % d'opinions défavorables.

Un étrange début de campagne

En observant la campagne électorale qui vient de commencer, on pourrait se demander si elle n'est pas le reflet de la profonde crise que traverse le système politique du pays. La question que l'on peut alors se poser est de savoir si cette élection ne préfigure pas une instabilité politique chronique pour les années à venir.

Le destin de « l'honnête Monsieur Beronov »

À moyen terme - si l'on est optimiste - l'avenir de la droite actuelle semble très sombre. Depuis plusieurs mois, tout indique qu'elle savait qu'elle allait se trouver confrontée à un nouvel échec électoral. Face à la dynamique que suscite une telle élection, elle ne s'est d'ailleurs jamais positionnée en termes de victoire à conquérir mais plutôt en termes de défaite à gérer aux mieux des intérêts politiques de ses dirigeants. Incapable de s'entendre entre factions rivales, la droite semble avoir « fait l'impasse » sur cette élection.

Après quelques pressions amicales, venant essentiellement de leurs correspondants politiques, tant en Europe qu'outre-atlantique, les deux principaux leaders de la droite, P. Stoyanov et I. Kostov ont fini par afficher, à contre cœur, une unité de façade. Parce qu'il fallait absolument trouver un candidat, ils se sont mis d'accord sur une personne - tout à fait digne et respectable au demeurant - qui avait surtout à leurs yeux la qualité essentielle d'être suffisamment âgée pour ne pas risquer de leur porter ombrage par la suite. L'objectif non avoué étant de l'utiliser en 2006 comme un « candidat jetable » dont on se débarrasse sans peine après un usage unique, d'autant plus facilement qu'il sera nécessairement tenu responsable de l'échec.

Trouver un présidentiable de droite plus jeune, donnant une image plus dynamique sur le plan politique, eut été pour eux une erreur stratégique dans la mesure où ce candidat serait inévitablement devenu - quelle que soit l'issue de l'élection - un acteur concurrent dans leur jeu politique.

Jusqu'à présent, les Bulgares ne semblent d'ailleurs pas prendre Nedelcho Beronov très au sérieux. Un sondage (10) réalisé fin août indique que 68,8 % d'entre eux lui font « plutôt pas confiance » comme ils font « plutôt pas confiance » à P. Stoyanov (75 %) ou à I. Kostov (85,6 %). À titre de comparaison, le président Parvanov n'est qu'à 37,3% dans la même rubrique.

Désormais, à un mois environ de l'élection, la droite se heurte au dilemme suivant : soit faire face à la « honte honorable » de se faire battre dès le premier tour - si tant est qu'elle arrive en seconde position derrière le vainqueur -, soit faire face à l'humiliation suicidaire de se voir éliminer d'un éventuel second tour par un mouvement extrémiste - si elle ne se classe qu'en troisième position !

L'orientation politique de la campagne de la droite sera intéressante à observer dans les semaines à venir : attaquer le président socialiste sortant, ce qui semblerait logique dans une campagne de type « affrontement gauche/droite », ou essayer de se prémunir contre la montée en puissance de V. Siderov, qui risque de la ridiculiser ?

Quoi qu'il arrive, la droite bulgare ne sortira pas indemne de cette défaite qui s'annonce, d'ores et déjà, peu glorieuse. On peut craindre que ses leaders actuels ne voudront pas tirer les conclusions qui s'imposeront concernant leur responsabilité personnelle dans ce désastre. Il reste toutefois à espérer que leurs amis du groupe PPE au Parlement européen sauront leur faire comprendre qu'ils ne pourront jamais gagner tant qu'ils se cantonneront à leurs querelles de « boutiquiers » d'une droite anti-communiste qui se trompe de combat.

Quant au combat d'arrière-garde que livrera l'ancien juge G. Markov - un nostalgique du « combat anti-communiste » du début des années 1990 - il ne pourra que brouiller un peu plus les cartes de la droite. Crédité quand même de quelques points dans les sondages, il est trop tôt pour évaluer sa « capacité de nuisance » dans la restructuration politique post-électorale.

L'étonnante absence du centre libéral

A priori, l'absence d'un candidat du NDSV dans la bataille présidentielle est étonnante. La deuxième force politique au Parlement se prive apparemment d'une tribune pour défendre ses idées et ses propositions.

Si l'on se réfère aux sondages, cette « absence » dans la bataille présidentielle devient déjà plus compréhensible. Selon le sondage de l'institut MBMD, son principal leader, l'ancien monarque (1944-46) et ancien Premier ministre (2001-05), Siméon de Saxe-Cobourg, est très loin de faire l'unanimité dans l'opinion publique bulgare. 81,1 % des personnes interrogées n'ont « plutôt pas confiance » en lui. Toujours selon le même sondage publié fin août 2006, s'il était candidat, il ne rassemblerait que 0,4 % des suffrages. Même si ce dernier chiffre semble bien sévère et doit s'apprécier en fonction de la date du sondage et des autres candidats proposés alors, on peut comprendre les réticences qu'il a eu à se lancer dans une bataille qui semble perdue d'avance. On a indiqué il y a plusieurs mois dans un précédent article d'autres raisons éventuelles pour lesquelles sa candidature était fortement improbable (11). Devant ses fidèles, il a récemment expliqué qu'il avait pris sa décision de ne pas se présenter en 2004. Il a, par ailleurs, demandé aux instances compétentes du NDSV de ne pas présenter de candidat lors de cette élection. Non sans quelques réserves, notamment de la part de deux de ses lieutenants, sa position a été suivie.

La question qui agite les observateurs locaux est de savoir ce que va faire l'électorat du NDSV, du moins ce qu'il en reste, car le mouvement semble avoir beaucoup souffert de sa participation à la coalition gouvernementale depuis maintenant un an. 83,4 % des sondés (MBMD) indiquent qu'ils lui font « plutôt pas confiance » (12).

Même si les explications chiffrées de cette absence sont parfaitement recevables, elles ne semblent pas totalement satisfaisantes pour un observateur extérieur. Depuis son arrivée sur la scène politique bulgare, l'ancien monarque, pétri d'une culture politique qui lui est propre, n'est pas dans une logique électoraliste et de pouvoir mais dans une stratégie de réconciliation des Bulgares et de consensus politique. Si l'on se place de ce point de vue, l'on peut alors trouver d'autres explications au refus de se présenter personnellement ou de présenter un candidat NDSV aux élections présidentielles. Au contraire même, la position de l'ancien monarque semble logique.

Pendant cinq ans, l'un des objectifs du gouvernement de Siméon de Saxe-Cobourg a été de faire réintégrer la Bulgarie dans le giron européen. Il a fait franchir une première étape décisive au pays en signant symboliquement le 25 avril 2005 - avec l'actuel président de la République - le traité d'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne. Sa participation à la coalition gouvernementale avec les socialistes - incomprise par son électorat et donc coûteuse sur le plan politique interne - peut largement se justifier par sa volonté de tout faire pour faciliter la seconde étape et voir son pays rentrer dans l'Union à la date fixée du 1er janvier 2007.

À quoi bon, dès lors, livrer entre temps un combat non essentiel - voire contre productif - pour l'objectif global qu'il s'est fixé ? Si la presse et les commentateurs bulgares travaillent sur le temps court, l'ancien monarque semble avoir inscrit son action politique dans le temps long.

Le GERB en embuscade ?

Le mouvement GERB, « Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie » (GERB = « blason » en bulgare) ne présentera pas son « héraut », Boïko Borisov, l'actuel maire de Sofia et ancien secrétaire général du ministère de l'Intérieur sous le gouvernement libéral de Siméon de Saxe-Cobourg. Personnalité très populaire - grâce à son franc parler surtout -, il était présenté par la presse comme le concurrent potentiellement le plus dangereux du président Parvanov.

À première vue, les sondages lui étaient globalement assez favorables. Selon MBMD, il ferait pratiquement jeu égal avec le président sortant. 54,2 % des personnes interrogées, en effet, lui feraient « plutôt confiance » contre 56,3 % pour le président Parvanov. Quant à son mouvement politique, toujours en gestation, il inspirerait un peu plus confiance aux personnes sondées que le parti socialiste (36,4 % contre 35,8 %).

Certes, en ce qui concerne l'élection présidentielle proprement dite, B. Borisov ne semblait pas être en mesure de battre le président sortant, loin s'en faut. Toujours selon MBMD, les personnes interrogées sont seulement 13 % à penser qu'il est la personne la plus « appropriée » pour devenir président de la République (43,6 % pour Parvanov) et, selon les noms des candidats présentés, il était crédité, au mieux de 22 % et au pire de 5 % des suffrages au premier tour. Certains à droite, comme l'ancien président Stoyanov (SDS), auraient été pourtant prêt à soutenir sa candidature… pour le ranger dans la catégorie des loosers en cas d'échec et se débarrasser ainsi d'un concurrent politique, ajoutent avec perfidie quelques observateurs de la vie politique bulgare !

Après avoir largement profité pendant de longs mois d'une couverture médiatique au sujet de la « potentialité » de sa candidature, le maire de Sofia a fait dans le registre de la modestie - pourtant rare chez lui - en indiquant récemment qu'il n'avait jamais eu la prétention de briguer la magistrature suprême contre le président Parvanov. Il le lui aurait même promis personnellement. Il n'a jamais cessé de se consacrer à la bonne gouvernance de la capitale - le Premier ministre socialiste lui ayant d'ailleurs promis de nouveaux subsides financiers - et, surtout, à la mise en place de son mouvement politique.

Sûr de lui, de ses capacités et de sa notoriété, le maire de Sofia a certainement l'ambition de jouer un rôle politique national. Les sondages accordent environ 20 % à son mouvement (13) en cas de législatives anticipées ! Moins que le parti socialiste, qui oscille entre 25 et 30 %, mais beaucoup plus que tous les autres partis de droite ou du centre réunis. Il y a là de quoi inquiéter certains responsables politiques ; non pas tant à gauche, d'ailleurs, qu'à droite où elle est déjà concurrencée par l'extrémisme politique.

La mouvance extrémiste bulgare

Quatre candidats représentant « l'extrémisme à la bulgare » aux élections présidentielles d'octobre 2006, cela fait beaucoup pour un pays qui avait su gérer - plus ou moins - ses poussées de fièvre (14). La « réussite » du mouvement Ataka, et de son leader V. Siderov, aux dernières élections législatives de juin 2005 a certainement suscité de nombreuses craintes et quelques vocations.

La réplique des adversaires politiques de V. Siderov - à droite comme à gauche - semble s'être déroulée en deux temps. Elle a tout d'abord débuté au lendemain des élections législatives. La presse s'est largement fait l'écho pendant plusieurs semaines d'un accident de voiture dans lequel il était impliqué avec son chauffeur pour « coups et blessures volontaires ». Empêtré dans ses mensonges et dans les imbroglios d'un faux témoignage, il est actuellement poursuivi devant la justice et son immunité parlementaire a été levée. V. Siderov s'est d'ailleurs largement discrédité lui-même par l'agressivité dont il a fait preuve au cours de cette affaire.

La réplique s'est ensuite poursuivie en aidant ou en suscitant des candidatures concurrentes pour affaiblir son score à l'élection présidentielle. En Bulgarie, la technique est connue. Elle a été utilisée avec succès par la droite en 2001 contre S. de Saxe-Cobourg en suscitant des « partis monarchistes » qui ont détourné quelques milliers d'électeurs ayant confondu les sigles sur les bulletins.

On peut remarquer que le candidat P. Beron, intellectuel fantasque et populiste multicarte depuis des années, a été élu aux dernières législatives sur les listes Ataka. On peut se poser la question de savoir qui l'a convaincu de se présenter. Quoi qu'il arrive, dans la mesure où il pêche dans les mêmes eaux, les quelques milliers de voix qu'il risque de grappiller seront autant de moins pour le candidat Siderov. Il serait certainement instructif de savoir qui finance sa campagne électorale…

La candidature de G. Velev est plus étonnante, non pas tant par le discours nationaliste qu'il va tenir - qui touche chez lui au pathologique ( !) - que par le choix de son vice-président, un ancien militaire « communiste pur et dur » qui double en quelque sorte les appétits électoraux d'un autre général candidat, L. Petrov. Même si le « milieu militaire » représente, familles comprises, plusieurs dizaines de milliers de voix au moins en Bulgarie, c'est le signe, pour certains observateurs, que le parti socialiste essaye de canaliser une hémorragie dont il est la première victime.

Là encore, il serait très intéressant de savoir qui finance, directement ou indirectement, les campagnes de ces deux candidats qui se revendiquent du « nationalisme ». Pour ce qui les concerne, on peut estimer qu'ils ne font pas courir de danger à la démocratie, mais sont plutôt représentatifs d'un certain « folklore politique » bulgare.

Un parti socialiste triomphant ?

Selon toute vraisemblance, la gauche bulgare, c'est-à-dire le parti socialiste, sortira triomphante de cette élection. Son candidat sera réélu pour un second (et dernier) mandat de cinq ans et le gouvernement qu'elle dirige peut envisager les trois ans qu'il lui reste avant les prochaines élections législatives avec une certaine sérénité.

Pragmatique avant tout, l'actuelle direction du parti socialiste a su s'adapter depuis quelques années à la « nouvelle donne » internationale. Le gouvernement n'a pas remis en cause, par exemple, l'adhésion à l'OTAN, les futures bases américaines sur son territoire, la participation de la Bulgarie à la lutte contre le terrorisme mondial, c'est-à-dire l'envoi d'un contingent en Irak et d'un autre en Afghanistan. Quelques aménagements cosmétiques ont bien été pris pour ménager les susceptibilités de la vieille garde communiste à l'intérieur du parti - toujours présente -, mais rien d'essentiel aux yeux des spécialistes. Au sein de la coalition gouvernementale, le poste de la Défense a même été laissé à un représentant du NDSV.

Acceptant globalement la politique étrangère initiée par les précédents gouvernements, le parti socialiste s'est rallié à l'Union européenne - et à ses multiples exigences - trouvant à ce nouvel horizon prometteur une alternative à la traditionnelle « amitié » avec la Russie. Sur le plan économique, le libéralisme débridé de l'économie de marché - imposé par la mise en œuvre de l'acquis communautaire - est largement maîtrisé par les représentants de l'ancienne nomenklatura. Il est tempéré par un « discours social », plus affiché que véritablement mis en application. C'est ce « virage à droite », politique pour ne pas dire idéologique, qui est à l'origine de la montée en puissance d'une tendance « plus à gauche » au sein du parti et qui pourrait laisser planer quelques craintes sur son unité à moyen terme.

Initiée récemment par des personnalités comme A. Lilov, Y. Stoïlov, G. Bojinov ou K. Premianov, une « volonté de rupture » est apparue au grand jour. Pour certains spécialistes du parti socialiste, c'est l'un des signes du manque de structuration de la gauche bulgare. Depuis quinze ans, le parti a réussi à maintenir son unité, « l'esprit de famille » - pour ne pas dire de « clan » - faisant cohabiter ensemble, pour l'intérêt bien compris de tous, les représentants de plusieurs mouvances politiques : social-démocrate, socialiste et communiste.

Pour l'instant, la position qui consiste à se cantonner « à gauche du parti, mais dans le parti » est une solution doublement avantageuse dans la mesure où, d'une part, les risques de perdre des postes de responsabilité sont peu élevés et, d'autre part, cette position ne nuit pas à la crédibilité de leur discours chez les militants : si l'on gagne, c'est grâce à la pertinence de nos critiques, si l'on perd, c'est que l'on ne nous aura pas suffisamment écouté ! Jusqu'à quand durera ce « grand écart » au sein du parti ? L'usure du pouvoir et les inévitables et dures réalités économiques et sociales, inhérentes à l'entrée de la Bulgarie dans l'UE, pourraient conduire à des changements au sein de la gauche. Quelques optimistes dans le camp de la droite espère que ce qui s'est passé ailleurs en Europe centrale puisse se réaliser également en Bulgarie.

La candidature du vieux général Petrov - tel un « bon berger » du troupeau - n'aurait finalement pour objectif que de ramener au bercail les brebis communistes égarées en 2005 du côté d'Ataka et d'affaiblir ce mouvement qui deviendrait alors plus classiquement « d'extrême droite » !Iln'estpasnonplusinterditde penser que quelques « intérêts économiques amis » jouent avec cette candidature une carte d'influence interne.

L'implication de l'Union européenne

L'Union européenne a remarquablement su jouer de son influence depuis quelques mois. Par quelques signaux, parfois directs, parfois discrets, elle semble même avoir choisi son camp : celui de la plus grande stabilité politique possible en Bulgarie. Force est de constater que la Droite n'offre pas cette alternative aujourd'hui ! Après avoir fermement mis l'épée dans les reins du Premier ministre socialiste, le 16 mai 2006, par la publication d'un rapport intermédiaire menaçant, la décision annoncée le 26 septembre de faire rentrer la Bulgarie le 1er janvier 2007 indique qu'elle prend acte de la volonté politique du gouvernement de coalition de mettre en accord ses paroles sur la plan extérieur avec ses actes sur le plan intérieur.

La Commission n'a pourtant pas été dupe. Il n'était pas question de « donner un chèque en blanc » à l'actuelle coalition à partir du 1er janvier 2007. Beaucoup reste encore à faire et l'Europe a pris la précaution de signaler, d'une part, qu'elle exercerait sa vigilance pendant plusieurs années après l'adhésion et, d'autre part, qu'elle se réservait le droit de prendre des mesures de sauvegarde en cas de dérapage. L'invitation du président G. Parvanov, le 20 octobre, deux jours avant le 1er tour des élections présidentielles, à un sommet européen à Helsinki, est de nature à donner l'impression à l'opinion publique bulgare que l'Union européenne « adoube » le candidat favori des électeurs et lui accorde un « petit plus » susceptible de faciliter sa réélection.

François Frison-Roche, chargé de recherche au CNRS (CERSA - Université Paris II). Manuscrit clos le samedi 30 septembre 2006. Cf. http://www.bulgaria-france.net/arti...

Notes
-  (1) Voir notre article sur http://www.bulgaria-france.net/arti...
-  (2) La candidature du « ticket » présentée par le petit parti communiste bulgare (Vladimir Spasov/Mariana Mateeva) a été refusée au motif qu'elle ne comprenait ni la liste obligatoire des 15.000 signatures de soutien ni la quittance du dépôt légal de 5.000 Leva.
-  (3) Cf. Biographie sommaire des candidats à l'élection présidentielle de 2006 en Bulgarie
-  (4) Voir http://standartnews.com/bg/article....
-  (5) Depuis 15 ans environ, une polémique agite régulièrement les spécialistes des élections en Bulgarie, notamment au sujet de ce que le professeur M. Konstantinov (proche du SDS) appelle les « électeurs fantômes ». Après les dernières élections législatives, qui montrèrent que l'immense majorité des Bulgares d'origine turque vivant en Turquie était venue, par bus entier, voter pour les candidats du DPS, les mouvements nationalistes ont protesté contre ce qu'ils qualifient de « tourisme électoral organisé ».
-  (6) Voir notre article Élections législatives du 25 juin 2005 en Bulgarie : Sergueï Dmitrievitch Stanishev, futur Premier ministre ?
-  (7) Il s'agit de M. Ivaylo Kalfin pour le BSP (Affaires étrangères), de M. Daniel Valtchev pour le NDSV (Education et Recherche) et de Mme Emel Etem pour le DPS (Catastrophes naturelles et industrielles).
-  (8) Voir notre article Bulgarie : sociologie électorale d'Ataka, nouveau parti dans l'arène politique bulgare (2005)

-  (9) Selon l'Institut national des statistiques, 38,8 % des retraités reçoivent une pension d'environ 100 Leva (50 euros) ou moins ; 15 % de 100.01 à 120 leva, 32.7 % de 120 à 200 leva, 13.4 % de 200.01 à 420 leva et 0.5 % au dessus de 420 leva - c'est-à-dire environ 12.825 personnes.
-  (10) Institut MBMD (18-25 août 2006), 1204 personnes interrogées.
-  (11) Voir le § « l'improbable candidature de Siméon II » : http://www.bulgaria-france.net/arti...
-  (12) Bien que faisant partie de l'opposition, les partis de droite semblent encore plus discrédités : 85,4 % des sondés déclarent qu'ils font « plutôt pas confiance » au SDS de P. Stoyanov et 87,2 % au DSB de I. Kostov
-  (13) Dont la création officielle est prévue pour début décembre et qui devrait finalement s'intituler le GER (Citoyens pour le développement européen) car la législation sur les partis interdit l'utilisation du nom du pays dans les appellations politiques.
-  (14) Voir notre précédent article « Ataka, décryptage d'un radicalisme à la bulgare » sur http://newropeans-magazine.org/inde...



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