Où en est la chute du Mur en matière de circulation des artistes et des œuvres d'Europe de l'Est ? (2006)
mardi 5 décembre 2006
1er mai 2004 : l'Europe - ou plutôt l'Union européenne - s'élargit en acceptant dans ses rangs dix nouveaux membres dont huit pays de l'ancien Bloc de l'Est. « Un nouveau mur vient de tomber » pouvait-on s'exclamer après la marginalisation de cette partie du continent durant plus de soixante ans - quarante cinq ans environ dûs a l'occupation soviétique, quinze ans dûs au refus de voir « l'Autre ». La « Nouvelle Europe » rejoint la « Vieille Europe » pour ne faire qu'une seule et même unité, véritable mosaique multiculturelle : l'Europe, pouvait-on penser.
Si les paroles, les discours, les gages et les actions développés par les Institutions de part et d'autre [de l'ancienne ligne d'Oder-Neisse] témoignent d'une volonté commune et univoque de bâtir ensemble un édifice aussi important qu'est et que doit etre l'Union européenne, c'est oublier les réalités du terrain, et nier la portée des traumatismes postsoviétiques est-européens ainsi que la continuité de la ligne de conduite ouest-européenne d'avant 1989 à l'encontre de son « autre moitié ». En effet, pensez l'élargissement de 2004 comme une réponse en soi, un élément pouvant absorber plus de soixante ans d'oubli et d'indifférence, c'était surestimé les effets de l'élargissement comme sous-estimé le poids du traumatisme postsoviétique.
Si l'économie a échappé a cette déchirure, l'art comme la culture en subit encore les conséquences, en se voyant immobilisé derrière ces anciens retranchements. Etat et réalité que l'on vérifie à travers la circulation des artistes et des œuvres est-européennes en Europe (et/ou en Occident).
Prenant le temps d'observer ce type de flux, de mouvements dans sa globalité, il apparaît aisé de discerner aussitôt l'hétérogénéité ainsi que les différences, et les inégalités auquel il est soumis. Il nous est permis de distinguer, à cet égard, deux grandes régions, deux formes majeures de circulation, assujetties chacune à des éléments et des paramètres différents. Deux types de circulation et deux parties mettant en relief « l'Ancien Rideau de Fer » comme « l'Europe bipolaire d'avant 89 ».
Deux types de circulation nous invoquant le concept « de géographie artistique » de la philosophe et curator roumaine Magda Carneci, nourri ici par la transparence médiatique et économique des artistes est-européens en Europe, ainsi que par les moyens et les possibilités développés en « Europe Occidentale », à savoir les aides, les subventions, les financements, les prix, les résidences et les programmes… Loin d'en critiquer l'existence - ceux-ci étant nécessaires pour la vitalité et le développement des scènes artistiques (quelles qu'elles soient) - les moyens affichés exhibent l'existence de deux espaces-temps, deux mondes que sont l'Ouest et l'Est Européen. Ils montrent la face ouest comme une terre promise tout en présentant les carences et les importantes difficultés que doivent surmonter la plupart des scènes artistiques de « l'Autre » face (pour ne citer qu'elle). Des scènes vouées à deux issues aussi pénibles l'une que l'autre, à savoir l'émigration ou la confrontation.
Bien que l'émigration soit une solution, elle demeure néanmoins un risque important pour l'artiste, ce dernier s'exposant aux dangers du « quitte ou double ». Pouvant paraître intéressante avant 89 pour un grand nombre de raisons - qu'elles soient politiques, idéologiques, économiques, ou juridiques - et d'exemples comme Ilya Kabakov, Magdalena Abakanowicz, Vitaly Komar & Alexander Melamid, Roman Opalka, Krzysztof Wodiczko, ou Braco Dimitrijevic…, elle augure aujourd'hui un horizon et des perspectives plus que mitigés selon les pays, les contextes et les individualités - les effets idéologiques d'avant 89 n'étant plus. L'exotisme et l'intérêt auxquels l'émigration pouvait prétendre ne semblent pas être au rendez-vous. Malgré la réalisation et la détermination de nombreuses initiatives et actions d'associations, d'organisations, d'institutions, de collectivités et de galeries, la situation reste plus que préoccupante, bien que changée depuis la chute du Mur, comme le souligne, à juste titre, la curator Dunja Blazevic dans son essai West-East side story.
Une situation où la circulation des artistes et des œuvres est-européens bute, depuis plus de quinze ans, maintenant sur l'ancien Rideau de fer devenu « Rideau d'argent et de papier ». Face à un tel Obstacle - s'il est entendu qu'il n'existe pas de remèdes miracles ou de potions ésotériques faisant disparaître d'un coup de baguette magique ces murs infranchissables - il subsiste cependant un panel de solutions et d'alternatives (Union européenne, mécénat privé, associations, ONG…), qui, conjuguées, pourraient créer une dynamique, une synergie associée à un pragmatisme irrévocable, capable de faire tomber, à court ou moyen terme, ce « Mur de la Honte ».
Si cette réflexion, si utopique soit-elle, peut laisser perplexe, comme le nous rappellent, à juste titre, l'Histoire et de nombreux acteurs et professionnels de l'art (est-européen comme ouest-européen), quant à sa faisabilité, sa réalité, voyons dans l'une des pensées de Raymond Ruyer (« L'Utopie est presque toujours une erreur, elle est rarement un mensonge »), l'idée non pas de l'échec, mais du possible. Essayons de faire confiance, une fois de plus, à cet appel du large résonnant dans la nuit constellée de nos rêves.
Olivier Vargin, spécialiste en art contemporain est-européen
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