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Caucase du Sud : quelle lisibilité de l'action de l'Union Européenne ? (2007)


mardi 2 janvier 2007, par Mirian Méloua

Si, après le recouvrement de l'indépendance des trois pays du Caucase du Sud, l'Union Européenne a été rapidement présente par ses programmes d'Assistance Technique, TACIS (1), puis TRACECA (2) et enfin INOGATE (3), la signature d'Accords de Partenariats et de Coopération a attendu 1999 : les résultats sur le plan politique en ont été peu lisibles.

L'Assistance Technique

De 1992 à 2002, 1078,04 millions d'euros de subvention ont été consacrés par l'Union Européenne au Caucase du Sud, 387,79 millions à la Géorgie, 370,19 millions à l'Azerbaïdjan et 316,06 millions à l'Arménie.

Ces subventions se sont inscrites en particulier dans les domaines de l'assistance institutionnelle et économique (247,1 millions) et des aides alimentaires et humanitaires (233,55 millions).

Il serait étonnant que les subventions de la décennie actuelle demeurent inférieures à ce milliard d'euros ; elles représentent grosso modo un millième du budget décennal de l'Union Européenne (112 milliards d'euro pour l'année 2006).

Les Accords de Partenariats et de Coopération

Depuis 1999, les résultats des Accords de Partenariats et de Coopération dans le Caucase du Sud ont été politiquement peu lisibles. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D'abord la lutte d'influence entre la Russie et les Etats-Unis a laissé peu d'espace à l'Union Européenne, l'accès aux ressources d'hydrocarbure de la mer Caspienne restant très disputé. Ensuite les conflits armés en Abkhazie, en Ossétie du Sud et au Haut-Karabakh, leurs gels et le peu de perspective de solution ont banalisé les messages de la communauté internationale (Nations Unies, OSCE, Conseil de l'Europe, Union Européenne), Bruxelles ne se singularisant pas. Enfin l'évolution intérieure des trois pays concernés n'a pas toujours été comprise, la diplomatie européenne semblant privilégier une approche "globalisée" sans intégrer les particularités nationales arméniennes, azerbaïdjanaises et géorgiennes.

La Politique Européenne de Voisinage, un élément nouveau

Avec l'intégration de la Bulgarie et de la Roumanie, une frontière commune, maritime, entre l'Union Européenne et la Géorgie se crée au 1er janvier 2007 : la Politique Européenne de Voisinage pourra donc s'appliquer aux trois pays du Caucase Sud.

Après des négociations avec Bakou, Erevan et Tbilissi, Bruxelles signe le 14 novembre 2006 trois plans d'actions différenciés. Dans l'esprit, ils portent les orientations suivantes :
-  renforcement de la démocratie, de la bonne gouvernance et du respect des droits de l'homme,
-  promotion d'un environnement propice au développement de l'économie de marché,
-  intégration dans le commerce mondial et application des normes du marché intérieur à l'Union,
-  coopération dans le domaine de la justice, des questions migratoires, de l'éducation, de la culture et de la recherche.

La Politique Européenne de Voisinage, quelques hypothèques

Quelques hypothèques pèsent sur l'avenir, la lecture des accords effectuée par les opinions publiques arméniennes, azerbaïdjanaises et géorgiennes (vus comme une étape intermédiaire avant la candidature et l'adhésion), l'effet de facilitation (ou de nuisance selon le pays) que déclencherait l'adhésion pleine de la Turquie à l'Union Européenne, les positions politiques des 27 pays membres.

Pour l'Azerbaïdjan chiite, l'appartenance à la sphère d'influence économique de la Turquie sunnite d'aujourd'hui est la clé de voûte d'une politique étrangère qui voudrait ménager les Etats-Unis (alliés des bons jours), plus que la Russie et l'Iran chiite (alliés des mauvais jours et concurrents en termes d'hydrocarbures de la mer Caspienne). En pleines négociations avec Bruxelles, Bakou ne s'est pas privé d'ouvrir des relations aériennes avec la partie turque de Chypre, indisposant la diplomatie européenne.

Afin d'échapper à l'enclavement musulman formé par l'Azerbaïdjan, l'Iran et la Turquie, l'Arménie chrétienne s'est tournée vers la Russie avec laquelle elle n'a pourtant pas de frontière commune. En conflit avec l'Azerbaïdjan (Haut-Karabakh), en opposition avec la Turquie (génocide de 1915), l'Arménie évoque l'éventualité d'une demande de candidature à l'Union Européenne, souvent encouragée par les diasporas de l'étranger.

Avec l'appui des Etats-Unis, la Géorgie chrétienne (quoique historiquement multi-confessionnelle) déploye une énergie farouche pour sortir définitivement de la sphère d'influence russe. Le ministre géorgien d'Etat à l'intégration euro-atlantique affiche deux objectifs prioritaires, l'adhésion pleine à l'OTAN sur le court / moyen terme et la candidature à l'Union Européenne sur le moyen / long terme.

L'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne ne pourrait aux yeux des Géorgiens et des Azerbaïdjanais qu'encourager leurs propres demandes de candidature, l'économie de ces trois pays s'intégrant grâce en particulier à l'oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan et au gazoduc Bakou - Tbilissi - Erzeroum. La position de l'Arménie en serait rendue plus difficile. La non-adhésion de la Turquie à l'Union Européenne sonnerait certainement le glas de la candidature de l'Azerbaïdjan. Il n'est pas certain que ce soit le cas des deux pays chrétiens du Caucase du Sud, l'Arménie et la Géorgie.

Les opinions publiques des 27 pays membres de l'Union Européenne sont loin d'être unanimes sur ces éventuels élargissements.

La vision des anciens pays de l'Europe de l'Est relève plus d'un vaste club économique de libre-échange européen dans lequel chaque membre garderait sa souveraineté, les affaires de sécurité relevant de l'OTAN aux côtés des Etats-Unis. Les pays baltes, la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie verraient avec intérêt "le cordon sanitaire" enserrant la Russie au Nord et à l'Ouest, se prolonger au Sud. Ils ne s'opposeraient certainement pas aux candidatures de l'Arménie, l'Azerbaïdjan et de la Géorgie.

La vision des anciens pays d'Europe occidentale, et souvent fondateurs de l'Union Européenne, Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg auxquels s'ajoutent l'Espagne et quelques autres pays, relève plus d'un approfondissement des institutions actuelles. La nécessité de relations privilégiées avec la Russie (Allemagne, France) semble condamner à l'avance tout élargissement structurel vers le Caucase du Sud, les intérêts nationaux économiques ou politiques prenant le pas.

Des perspectives difficiles à prévoir

Il est probable que la Politique Européenne de Voisinage au Caucase du Sud aura plus de succès que les Accords de Partenariats et de Coopération de 1999.

Il est probable que, sans attendre une alternance politique radicale à la Maison Blanche, la Russie cherchera à "étouffer" par l'arme énergétique les velléités stratégiques des pays du Caucase du Sud, comme d'ailleurs elle le pratique sur son front Ouest.

A "l'Ouest", afin d'éviter les terres "peu sûres" de Biélorussie, de Pologne et d'Ukraine, le russe GAZPROM a lancé avec l'Allemagne le projet de gazoduc Nord Stream sous la mer Baltique ; il permettra d'alimenter en gaz russe toute l'Europe du Nord.

Au "Sud", afin d'éviter les terres "peu sûres" du Caucase du Sud, le russe GAZPROM propose , cette fois avec la Hongrie, d'améliorer son gazoduc Blue Stream sous la mer Noire : il atteindrait Budapest (puis Vienne) par la Turquie occidentale, la Bulgarie, et la Roumanie. L'Europe du Sud serait ainsi alimentée en gaz russe.

Cette proposition est une réplique au projet européen NABUCCO décidé le 26 juin 2006 (4), gazoduc qui prolongerait le tronçon Bakou - Tbilissi - Erzeroum transcaucasien jusqu'à Vienne, par Ankara, Istanbul, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie. Il acheminerait dans un premier temps du gaz azerbaïdjanais. L'Autriche en serait le maître d'oeuvre.

La lisibilité des actions de Bruxelles auprès des opinions publiques européennes (et de celles du Caucase du Sud) ne dépend pas de la seule réusite de sa politique énergétique. Pourtant Moscou ne s'y est pas trompé en refusant obstinément de ratifier toute charte qui libéraliserait le marché du gaz russe et en essayant d'entraîner Budapest (membre de l'Union Européenne depuis 2004) dans le sillage du Blue Stream après avoir entraîné Berlin (membre fondateur de l'Union Européenne) dans celui du Nord Stream.

L'Union Européenne souhaite-t-elle se cantonner à une Assistance Technique de type institutionnelle et humanitaire, ou souhaite-t-elle apparaître comme un acteur majeur dans cette région du monde ? Ses 27 pays membres devront y répondre en 2007. Face à cette question, comment s'étonner que la lisibilité des actions de l'Union Européenne dans le Caucase du Sud soit si faible ?

(1) TACIS (Technical Assistance for the Commonwealth of Independant States),
-  assistance à l'harmonisation des législations, à la création d'une chaire de droit européen à Erevan, à la gestion des frontières azerbaïdjanaises et à la réforme du système judiciaire géorgien,
-  assistance à la sûreté nucléaire et à la diversification des énergies (Arménie), à l'extension du secteur privé (diversification de l'économie face au tout pétrole en Azerbaïdjan) et au développement des zones rurales (Djavakhétie et Kvémo-Kartlie en Géorgie).
-  lutte contre la pauvreté et soutien des ministères de la sécurité sociale et de la santé.

"En décembre 1999, la Commission Européenne a adopté une proposition de refonte de programme, dite TACIS 2, en vue d'axer davantage sur le soutien à la mise en place de réformes démocratiques et sur la promotion de l'investissement. Le nouveau programme répond aux critiques formulées dans les rapports de surveillance, notamment celui de la Cour des Comptes, qui portaient sur le manque de lisibilité, le trop grand nombre de projets de petites taille, la lenteur d'exécution et la lourdeur des procédures de passation des marchés".

http://ec.europa.eu/comm/external_r...

(2) TRACECA (Transports Corridor Europe Caucasus Asia), restauration de la route de la soie par voies routières, ferroviaires et maritimes, pour l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan en 1993, l'Ukraine en 1996, la Moldavie en 1998, la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie en 2000, l'Afghanistan et l'Iran en 2005.

"Le financement a été assuré à 100% par l'Union Européenne jusqu'en 2004, il le sera à 100% par ses membres à partir de 2007. Dans ce cadre un projet de réhabilitation des routes reliant la Géorgie à l'Azerbaïdjan et à l'Arménie a été réalisé entre 2000 et 2004, ainsi que celui d'un centre de transit de pétrole par chemin de fer entre l'Azerbaïdjan et la Géorgie."

http://www.traceca-org.org/

(3) INOGATE (Interstate Oil Fas Transports to Europe) a pour but d'intégrer les réseaux d'oléoducs et de gazoducs d'Asie centrale et du Caucase avec ceux de l'Union Européenne.

http://www.inogate.org/en/

(4) NABUCCO, gazoduc prolongeant le tronçon Bakou - Tbilissi - Erzeroum jusqu'en Autriche par la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, et la Hongrie. Long de 3 400 kilomètres, il coûterait 4,6 milliards d'euros. Le 26 juin 2006, en présence du Commissaire à l'Energie de la Commission Européenne, cinq compagnies, l'autrichienne OMV, la hongroise MOL, la Roumaine TRANSGAZ, la bulgare BULGARGAZ et la turque BOTAS ont signé un accord de principe : les travaux pourraient commencer en 2008 et se terminer en 2012. A terme, vers 2020, ce gazoduc pourrait transporter jusqu`à 30 milliards de m3 par an, c'est-à-dire assurer l'approvisionnement d'une bonne partie de l'Europe su Sud et constituer une concurrence redoutable au gaz russe. Dans cette hypothèse, le gaz d'origine azerbaïdjanaise ne suffirait pas, du gaz iranien serait nécessaire (Moscou exerce des pressions sur Téhéran afin de limiter ce risque) ou du gaz turkmène (Moscou s'oppose à la construction d'un gazoduc subcaspien qui acheminerait le gaz d'Asie Centrale vers Bakou, sous la mer Caspienne).



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