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Le déclin des services de santé d'Europe centrale et orientale (2003)


mercredi 15 janvier 2003

Délabrement des structures de santé publique, dégradation des conditions de travail et personnel démoralisé : tel est le sombre tableau qui se dégage d'une récente enquête sur les soins de santé en Europe centrale et orientale. La situation est d'autant plus préoccupante que l'état de santé de la population s'est gravement détérioré au cours de la décennie écoulée, ce qui a dans certains endroits entraîné une chute vertigineuse de l'espérance de vie.

Les résultats d'une enquête récemment conduite auprès des personnels de santé d'Europe centrale et orientale laissent pantois. En Ukraine, 75 % des travailleurs interrogés disent que leur traitement a diminué au cours de ces cinq dernières années. En Roumanie, 93 % affirment que leur principal souci est que leur salaire ne leur suffit pas pour vivre. En Lituanie, 43 % craignent de perdre leur emploi dans l'année qui vient. Et en République de Moldova, tous se plaignent d'être payés - lorsqu'ils le sont - avec plusieurs mois de retard.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces travailleurs n'ont pas connu le paradis pendant les dix années qui ont suivi la chute du communisme. Pourtant, ils ne travaillent pas dans des secteurs en déclin ni dans d'anciennes entreprises d'État ou d'anciennes fermes collectives.

Ces travailleurs qui souffrent de l'insécurité de l'emploi ne perçoivent pas leur salaire, ont de mauvaises conditions de travail et sont majoritairement démotivés, sont des agents des services de santé, secteur qui pourtant, compte tenu de la situation actuelle de l'Europe centrale et orientale, pourrait être plus utile que jamais.

L'enquête susmentionnée fait partie d'une série d'études réalisées conjointement par le BIT et l'Internationale des services publics (fédération internationale des syndicats du secteur public)*, sur l'expérience de ceux qui travaillent en première ligne dans les services de santé d'Europe centrale et orientale. Ce sont des personnes qui non seulement ont vu de leurs propres yeux et ont directement subi les calamiteux résultats de la décennie écoulée mais encore sont en mesure, de par leur profession, d'exercer une influence sur l'existence de leurs concitoyens. Si elles n'ont pas les moyens de garantir un service correct, le reste de la population est en danger.

Or il s'avère que le système de santé publique est de moins en moins en mesure de dispenser des soins de base à un coût abordable, incurie dont, comme le montre l'enquête, le personnel soignant fait les frais.

Comment en est-on arrivé là ?

Le changement de paysage politique, la restructuration des services de santé et la fragilité de l'économie sont en partie responsables de cette situation.

Après l'effondrement de l'Union soviétique, et souvent avec le soutien de la Banque mondiale, beaucoup de pays de l'ancien bloc de l'Est ont entamé une transformation radicale de leurs services de santé.

Ils sont généralement passés d'un système de santé administré par les pouvoirs publics à un système financé par les assurances, décentralisé, dans lequel les soins de base sont principalement dispensés par les médecins généralistes.

Dans un premier temps, ils ont limité la privatisation à des services tels que les soins dentaires, mais récemment plusieurs pays se sont mis à privatiser des pans entiers de leur système de santé.

Jamais auparavant, ces pays n'avaient procédé à une aussi profonde restructuration dans le domaine de la santé. Toutefois, du fait de la réduction des fonds publics et de la décentralisation du financement, les autorités locales se sont souvent retrouvées sans les ressources ni les moyens administratifs nécessaires pour s'acquitter de leurs nouvelles obligations. Ces facteurs, combinés à une dégradation notable de la santé publique et au retour en force de nombreuses maladies chroniques, ont engendré la crise actuelle.

Dégradation des soins de santé

Les études ne laissent entrevoir aucune amélioration sensible : en République tchèque, près de deux travailleurs interrogés sur cinq estiment que les plans du gouvernement ne feront qu'aggraver leur situation. Au Kirghizistan et en Arménie, la pénurie de crédits est telle qu'une grande partie du personnel soignant est en « congé administratif », c'est-à-dire ne se rend pas à son travail parce que les hôpitaux et les dispensaires n'ont pas de quoi les payer. En République de Moldova, pays le plus pauvre d'Europe, le système de santé serait au bord de la faillite.

En Roumanie et en Lituanie, trois travailleurs interrogés sur quatre affirment que leur salaire réel a diminué au cours de ces cinq dernières années. Pourtant, la baisse des salaires ne s'est pas accompagnée d'une plus grande sécurité de l'emploi, bien au contraire : un énorme pourcentage (43 %) de Lituaniens disent craindre de perdre leur emploi l'année prochaine.

La précarité de leur situation financière a poussé les systèmes de santé à chercher d'autres moyens de rémunérer leur personnel. Les médecins et autres professions médicales en contact direct avec les patients se sont mis à exiger ou à escompter des honoraires illégaux qui, dans de nombreux pays, représentent désormais plus d'un tiers de leur revenu. En Russie, par exemple, ces « dessous-de-table » représentent environ 40 % des dépenses de santé des patients. Cependant, ils ne résoudront pas la crise de la santé car les citoyens sont de moins en moins en mesure de les payer. Ainsi, les enquêtes du BIT sur la sécurité des personnes (PSS) ont révélé que 88 % des familles ukrainiennes et 82 % des familles hongroises n'avaient pas les moyens de se faire soigner.

Pourtant, les besoins médicaux de la population sont énormes et ne cessent d'augmenter. En Russie, l'incidence de la tuberculose a plus que doublé en dix ans, le nombre des toxicomanes fichés a été presque multiplié par neuf et les cas de maladies sexuellement transmissibles sont 44 fois plus nombreux. Pendant la seule année 2000, le nombre de personnes séropositives a doublé et environ 23000 personnes ont succombé à l'alcoolisme. Et c'est là un schéma que l'on retrouve dans presque toute la région.

Quelles solutions ?

Venir à bout d'une telle crise serait une gageure même pour un système de santé correctement financé et en bon état de fonctionnement, doté d'un personnel convenablement rétribué et travaillant dans de bonnes conditions. Tel est loin d'être le cas dans les pays étudiés, où les soignants s'efforcent de pourvoir aux besoins d'une population de plus en plus pauvre et de plus en plus malade, alors qu'eux-mêmes ne jouissent ni de la sécurité de l'emploi ni de bonnes conditions de travail.

Les perspectives d'une amélioration notable dans le proche avenir sont plus qu'incertaines. En revanche, une chose est sûre : ce sont ceux qui travaillent en première ligne, c'est-à-dire les personnels de santé qui tentent de maintenir la machine en état de marche, qui détiennent en grande partie la solution.

(1) Socio-Economic Status of Heath Care Workers in the Russian Federation, Stepantchikova, Lakunina, Tchetvernina, décembre 2001.  ?Health Care Reform, Privatisation and Employment Conditions in Central and Eastern Europe : A Four Country Study, Beck, Watterson, Woolfson, décembre 2001.

Source : OIT - revue « TRAVAIL » no 42, mars 2002.



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