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Lituanie : enjeux politiques et géostratégiques


mercredi 7 février 2007, par Hervé Collet

I. LES ENJEUX POLITIQUES INTERNES

Sur le plan intérieur, Gediminas KIRKILAS, premier ministre depuis juillet 2006 a défini les priorités suivantes :
-  La lutte contre la corruption (promesse de démission s'il n'y a pas de progrès sous un an)
-  Le renversement de la tendance démographique
-  Le développement des infrastructures et la réduction des énormes disparités régionales (avec l'aide des fonds structurels européens)
-  Le développement des sciences et de la recherche

Il convient également de mentionner le maintien de la croissance économique.

Sur le plan international, la priorité est mise sur l'intégration dans la zone Schengen. Il faut ajouter le problème récurrent de l'indépendance énergétique du pays et celui des relations tendues avec la Russie.

1. Lutte contre la corruption

Sortant d'un régime soviétique connu pour pratiquer la corruption à grande échelle, la Lituanie, comme beaucoup de pays issus de l'URSS, a encore du mal à se défaire de pratiques frauduleuses qui affectent la société à tous les niveaux, en commençant par le sommet de l'État, ce qui a fait dire au président actuel, Valdas Adamkus, en mars 2006, lors de son discours à la nation, que la Lituanie était un état où prolifèrent « hommes politiques et hauts fonctionnaires agissant sans la moindre décence », ajoutant : « Nous sommes une menace pour l'État bien plus que nos ennemis extérieurs ». Il faut dire que les scandales politiques, au cours de ces dernières années ont affecté pratiquement tous les partis et un grand nombre d'hommes politiques au plus haut niveau :
-  En octobre 2005, le Premier ministre Algirdas Brazauskas est accusé d'abus de pouvoir par le parti d'opposition Union de la Patrie (TS-LK) qui se veut le champion de la lutte contre la corruption et qui dénonce les liens existant entre Lukoil Baltija, filiale locale de la grande société pétrolière russe et le Parti social-démocrate (LSDP), dont Brazauskas est le leader, ainsi que le financement de l'achat d'un hôtel par son épouse.
-  Viktor Ouspaskitch, chef du Parti du Travail (LDP), fondé en 2003, est contraint d'abandonner en juin 2005 son poste de ministre de l'économie, puis de député à la suite d'accusation de corruption et de falsification de documents universitaires. Soupçonné de malversations financières en mai 2006, il quitte le pays pour la Russie, abandonnant la présidence de son parti.
-  L'union libérale et du centre (LCS), qui résulte de la fusion en 2004 de formations centristes, voit sa popularité s'effondrer à la suite des accusations d'abus de pouvoir formulées en juin 2005 à l'encontre de son leader, Arturas Zuokas, par ailleurs maire de Vilnius.
-  Au plus haut niveau, rappelons-nous qu'en 2004, le président lituanien, Rolandas Paksas a été reconnu coupable par la Cour Constitutionnelle d'avoir "gravement violé la Constitution" de son pays, en octroyant illégalement la citoyenneté lituanienne à l'homme d'affaires russe Jurijus Borisovas, principal financier de sa campagne électorale (plus deux autres chefs d'accusation), ce qui a entraîné sa destitution. Cette décision a été cassée quelques mois plus tard en appel, mais l'affaire a secoué l'opinion publique.

Le « bakchich » et le détournement des lois et des règlements constituent des pratiques très courantes dans les échelons inférieurs de la société, aussi bien dans l'administration que dans les entreprises. Par exemple dans le paiement des salaires : un employé peut percevoir officiellement le SMIG (159 €) - donc payer, ainsi que l'entreprise, peu ou pas d'impôts - tout en recevant un complément « au noir ». Par ailleurs, le nombre de personnes employées clandestinement était estimé en 2002 à 10 % des effectifs et le montant de l'économie « parallèle » à 18,9 % du PIB.

Rappelons que le niveau de corruption réel d'un pays est très difficile à déterminer puisque par définition, tout se passe « dans l'ombre ». Les experts ne peuvent mesurer scientifiquement que la perception que les citoyens ont du niveau de corruption dans leur pays. L'ONG Tranparency International s'est faite une spécialité de cette évaluation en établissant un Indice de perception de la corruption (IPC), fixé par sondage d'opinion. Une note entre 0 et 10 est ainsi attribuée à chaque pays. Plus la note est basse, plus le niveau de corruption est élevé. La Lituanie se trouve dans la moyenne des Nouveaux États Membres, avec 4,6 sur 10 en 2004, lors de son entrée dans l'UE. L'IPC des dix nouveaux NEM au même moment était le suivant : Malte : 6,8 ; Estonie : 6 ; Slovénie : 6 ; Chypre : 5,4 ; Hongrie : 4,8 ; Lituanie : 4,6 ; République tchèque : 4,2 ; Lettonie : 4 ; Slovaquie : 4 ; Pologne : 3,5. (Ajoutons que la Roumanie, qui n'est entrée qu'en 2007, était à 2,9 en 2004 !).

On peut se demander si l'UE fait le poids pour faire pression sur les pays membres en matière de corruption. À force d'intégrer des pays aux fortes pratiques corruptives c'est l'ensemble communautaire qui se trouve fragilisé. D'ores et déjà, l'élargissement du 1er mai 2004 a provoqué une dégradation significative de la moyenne de l'IPC communautaire. Alors que la moyenne de l'ex-UE-15 pour 2004 est de 7,68, la moyenne de l'UE-25 est tombée à 6,58. Le passage de l'UE-15 à l'UE-25 a donc induit une perte de 1,1 point pour l'ensemble communautaire. Parce que la moyenne des 10 Nouveaux États Membres est de 4,93. L'UE, en fait, ne dispose pas de cadre précis pour s'attaquer à la corruption dans les Etats membres. Une fois passé du statut de candidat à celui de membre, un État n'a plus d'obligations suffisantes. Les ONG spécialisées et les opinions publiques restent alors les principaux « veilleurs » de l'exigence de transparence.

2. Renversement de la tendance démographique

C'est un constat alarmant : la Lituanie se dépeuple, comme beaucoup de pays européens, pour deux raisons principales :
-  Le taux de fécondité est depuis plusieurs années en dessous de 1,3, même s'il remonte depuis cinq ans : 1,24 en 2002, 1,26 en 2003 et en 2004, 1,27 en 2005. En 2005, le déficit entre les décès et les naissances dépassait 13.000, pour une population d'un peu plus de 3.400.000 habitants, fin 2005.
-  Le plus préoccupant en Lituanie est l'émigration pour motifs économiques, qui a fait un bond spectaculaire en 2004 et 2005, du fait de l'entrée de la Lituanie dans l'UE, à environ 15.000 personnes par an. Cette émigration n'est pas compensée par l'immigration, qui a concerné 5.500 personnes en 2004 et 6.700 en 2005. On estime qu'environ 400.000 Lituaniens ont quitté le pays depuis 1990, date à laquelle le pays a recouvré son indépendance après un demi-siècle d'occupation soviétique, soit plus de 10 % de la population. Une des conséquences bénéfiques, toutefois, de ce phénomène est la baisse spectaculaire du chômage qui n'était plus qu'à 6 % en avril 2006 (avec cependant de grosses disparités selon les districts, les groupes ethniques, le sexe et l'âge).

 Quelles solutions ? 
-  Une politique d'aide à la famille, avec une prime accordée aux mères de famille qui acceptent de rester à la maison pour élever leurs enfants.
-  La croissance économique, qui peut aider les émigrés économiques à revenir au pays
-  Le recours sélectif et modéré à l'immigration. Les autorités lituaniennes ne souhaitent pas voir se modifier de façon sensible la composition ethnique, où les Lituaniens « de souche » sont largement majoritaires. Elles ne veulent pas connaître une situation à la Lettone, où les Lettons de souche sont menacés de devenir minoritaires (composition actuelle en Lituanie : Lituaniens, 83,4 %. Polonais 6,7 %. Russes 6,3 %. Autres et non-spécifiés 3,6 %). Par ailleurs, les candidats ne sont pas très nombreux pour affronter le climat hivernal de la Lituanie, pour 159 euros par mois (taux du smic), avec obligation de connaître ou d'apprendre le lituanien, la pratique du polonais et de l'anglais constituant un plus. Et pourtant, on note un déficit dans des emplois astreignants et peu payés, notamment les serveurs/serveuses et les vendeurs/vendeuses. Cela dit, on commence à trouver des Biélorusses et des Ukrainiens dans des postes de manutention.

3. Développement des infrastructures et réduction des énormes disparités régionales (avec l'aide des fonds structurels européens)

La Lituanie connaît un développement inégal selon les régions. Le PIB per capita varie de 1 à 2,5 selon les comtés. Rappelons que la Lituanie est divisée en 10 districts (apskrytis). Seuls deux districts, celui de Vilnius et celui de Klaïpeda, ont un revenu supérieur à la moyenne nationale. Le district de Vilnius atteignait en 2002 143 % de la moyenne nationale tandis que celui de Taurage ne représentait que 57,3 % de cette moyenne. Le district de Vilnius, et spécialement, la ville de Vilnius, a absorbé cette année-là 67 % (soit les deux-tiers) des investissements étrangers.

Globalement, la Lituanie a un besoin urgent de moderniser ses infrastructures routières, ferroviaires et portuaires, son principal objectif étant d'être reliée dans les meilleures conditions aux réseaux de communication européens, ce qui n'est pas sans soulever quelques problèmes avec ses voisins, notamment la Pologne, qui peine à construire les autoroutes susceptibles de les relier au centre de l'Europe (1).

Lors du sommet européen des 15-17 décembre 2005, la Lituanie a obtenu au titre des fonds structurels une aide supérieure au montant initialement prévu : soit 10,4 milliards d'euros pour la période 2007-2013, 56 % de plus qu'au cours de la période 2004-2006. Le président Adamkus s'est personnellement engagé à veiller à ce que ces fonds servent bien l'intérêt général. Tranparency s'est également engagée dans ce sens.

4. Développement des sciences et de la recherche

Les États baltes ont été pleinement impliqués dans l'essor de la science moderne à l'âge classique. La première université est fondée à Vilnius, en Lituanie, alors sous domination polonaise, en 1579, suivie par Tartu, en Estonie, sous domination suédoise, en 1632. Ces deux établissements rayonnent et contribuent à l'introduction des idées nouvelles dans la Russie tsariste, qui s'empare au cours du XVIIIe siècle des territoires qui formeront plus tard les trois républiques baltes. La Russie fermera l'université de Vilnius, pour des raisons politiques, en 1832, mais créera l'Institut Polytechnique de Riga trente ans plus tard.

Au moment de l'indépendance, entre les deux guerres, l'université Vitautas Magnus de Kaunas est fondée en 1922 (pour remplacer celle de Vilnius, alors occupée par la Pologne). La vie scientifique se concentre alors sur ce que les Baltes appellent la science nationale : ethnologie, linguistique, histoire, étude du milieu naturel... Hormis la biologie et la médecine, de haut niveau, les sciences expérimentales - qui avaient fait la gloire des pays baltes à l'époque tsariste - sont quelque peu délaissées.

Le régime stalinien réorganise le système de recherche sur le modèle russe et fonde, dans chacune des républiques, des Académies des sciences qui administrent directement la quasi-totalité des laboratoires. Toute recherche est éliminée des universités, consacrées uniquement à l'enseignement - et celui des sciences humaines y est placé sous le contrôle idéologique le plus strict. Enfin, des "instituts de branche", chargés de la recherche appliquée, sont créés sous la tutelle des ministères concernés.

Quand elles étaient intégrées à l'URSS, l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie jouissaient d'économies avancées, entièrement tournées vers l'Est. Leur vie scientifique, très développée, était organisée sur le modèle soviétique autour de deux piliers : les Académies des sciences et la recherche militaire. C'est tout ce système qu'il a fallu déconstruire, non sans mal et sans dégâts, pour en refonder un autre.

Dans aucun autre ex-pays de l'Est, la transition de ces quinze dernières années n'a été aussi profonde et rude et ne s'est inscrite dans une histoire aussi tourmentée. Si les pays Baltes ont su préserver l'essentiel, à savoir leurs instituts de recherche fondamentale de haut niveau, il leur faut maintenant définir la manière dont ils parviendront à s'intégrer pleinement dans l'Espace européen de la recherche. Des stratégies nationales ont été définies, qui reprennent pour l'essentiel les recommandations du sommet de Lisbonne, avec l'accent mis sur les biotechnologies, et les technologies de la communication et de l'information. Mais il reste encore beaucoup à faire, notamment pour dynamiser l'investissement privé dans la recherche, qui ne dépasse nulle part les 30 % (contre 55 % en moyenne dans l'UE à 25). Comme le concluait un récent livre consacré aux évolutions des systèmes de recherche baltes durant ces quinze dernières années (2) , "les décideurs des républiques baltes doivent maintenant résoudre deux tâches cruciales : augmenter considérablement l'investissement dans la Recherche et le développement pour atteindre les 3 % du PIB et prendre des mesures pour inciter les jeunes scientifiques les plus doués à rester dans leurs pays. Ce sont là des chantiers essentiels, non seulement pour la science mais pour l'avenir même de leurs pays".

5. La poursuite du développement économique, avec un taux d'inflation modéré

Cet objectif n'a pas été annoncé explicitement par le Premier ministre, dans la mesure où le taux de croissance est élevé (7,4 % en 2006, le PIB s'élevant à 23,6 milliards d'euros, sans compter, nous l'avons vu, l'économie parallèle, qui approche 20 %). Mais il va de soi que le maintien de ce niveau de développement constitue un enjeu essentiel pour la Lituanie, d'autant que ses voisins Baltes, en 2006, ont atteint un taux plus élevé (probablement 11 %). Le taux d'inflation annuel (3,8 % en 2006 ; 4,5 % pour les prix à la consommation) reste assez élevé par rapport à la moyenne européenne (1,9 %), mais il est moindre que celui, très préoccupant de l'Estonie (5,1 %) et de la Lettonie (6,8 %). Les analystes prédisent pour 2007 une baisse du taux de croissance, en raison d'une tendance à la décélération constatée au cours du dernier trimestre 2006. La Banque mondiale prévoit 6,3 % d'augmentation du PIB pour 2007 et une inflation de 4,7 %, soit un gain net de 1,6 %. Le score de 2007 s'annonce donc comme devant être le moins bon de la dernière période (augmentation 2001 : 6,6 % - 2002 : 6,9 % - 2003 : 10,3 % - 2004 : 7,3 % - 2005 : 7 , 6 % - 2006 : 7,4 %).

II. LES ENJEUX GÉOSTRATÉGIQUES DE LA POLITIQUE ÉTRANGERE DE LA LITUANIE

1. Une participation active au processus d'intégration européenne

La politique étrangère de la Lituanie est marquée par son histoire, où elle constituait une puissance européenne importante : la Communauté lituano-polonaise a formé pendant des siècles et jusqu'en 1795 le plus grand pays d'Europe par sa superficie. Elle englobait la Pologne et s'étendait jusqu'à la mer Noire. Comme l'Autriche, elle-même héritière d'une histoire prestigieuse, la Lituanie entend jouer un rôle de pointe - avec la Pologne - pour établir un pont entre l'ancienne et la nouvelle Europe. Elle a été le premier pays de l'UE à ratifier le traité constitutionnel en novembre 2004 et elle regrette le coup d'arrêt porté à l'intégration européenne par le non français et néerlandais. Elle s'inquiète des réticences de certains États à poursuivre l'élargissement de l'UE. Elle craint que ces atermoiements ne découragent les efforts de démocratisation de ses voisins de la CEI, en particulier la Moldavie et l'Ukraine. C'est pour soutenir ces efforts que la Lituanie a décidé de se joindre à la Communauté de choix démocratique créée fin 2005 et dont le but est d'encourager les démocraties naissantes dans la zone CEI, en particulier l'Ukraine, la Géorgie, et dans une certaine mesure la Moldavie. À cette occasion, le président Adamkus a réitéré le souhait de faire revivre l'axe qui s'étend de la mer Baltique aux mers Noire et Caspienne, « une région qui doit devenir une communauté démocratique ouverte et unie avec pour fondement l'identité européenne ».

La Lituanie n'a pas été payée de retour de ce zèle intégrateur, du moins sur un plan juridique et symbolique. L'Union européenne, en mai 2006, lui a refusé son entrée dans la zone euro, pour 0,1 % d'inflation en trop par rapport aux normes ! Ce camouflet a fait que, désormais, la Lituanie n'est plus pressée d'accéder à l'Euro, d'autant que d'après un récent sondage, 51 % des Lituaniens sont hostiles à l'abandon de la monnaie nationale. Par ricochet, d'autres nouveaux membres de l'UE ne se précipitent pas non plus. L'Estonie, dont les finances publiques sont saines, a rejoint la Pologne dans son refus de fixer une date de passage à l'Euro. En Hongrie, qui ne remplit actuellement aucun des 5 critères, les analystes parlent de 2014. La République Tchèque a abandonné son objectif de 2009 sans en fixer un nouveau. En Lettonie, on parle, comme en Lituanie, de 2010 ou au-delà. La rigueur, sans doute excessive, de la Commission - alors que des pays anciennement intégrés, comme la France, ne sont pas en règle avec les critères de Maastricht - a joué contre l'intégration monétaire européenne.

Cela étant, ce « retard » n'affecte pas trop la Lituanie, dont la monnaie est déjà amarrée à l'Euro depuis février 2002 (sur la base d'un Euro pour 3,4528 Litas) et dont le taux de croissance est élevé. Le principal objectif stratégique poursuivi par la Lituanie est désormais l'adhésion à la zone Schengen.

2. La difficile question de l'indépendance énergétique

La Lituanie n'a pas de pétrole sur son territoire, et pourtant elle est (légèrement) exportatrice d'essence, grâce aux activités de raffinage du complexe pétrolier de Mažeikiu Nafta, qui a réalisé en 2005 un bénéfice record de 265 millions d'euros. Mais cette autosuffisance est fragile, car elle dépend, comme pour le gaz, des livraisons russes ou d'autres sources étrangères. Déjà, l'oléoduc de Birzai (relié au terminal de Butinge en Lituanie, au port de Ventspils en Lettonie et à la raffinerie de Polotsk en Biélorussie) et surtout le terminal de Butinge ont vu leurs activités en 2006 commencer à décliner sous l'effet de la concurrence des ports russes. Le sort du complexe pétrolier est resté incertain jusqu'à la fin mai 2006, date à laquelle Yukos international a accepté de vendre ses parts (53,7 %) dans le capital de Mažeikiu Nafta, sur plusieurs années, au groupe pétrolier polonais PKN Orlen pour environ 1,5 milliards de dollars. Le gouvernement lituanien s'inquiète également de voir le géant russe Gazprom, qui détient 37,1 % de Lietuvos Dujos (Gaz de lituanie) relever d'une manière notable le prix de son gaz, dans le cadre de sa politique d'alignement sur les cours mondiaux. Il n'apprécie pas non plus le projet germano-russe de construction du gazoduc nord-européen (NEGP), qui doit passer sous la mer Baltique, privant ainsi le pays des revenus de transit des exportations russes vers l'Europe.

Aussi la Lituanie cherche-t-elle à diversifier ses sources d'approvisionnement, en jouant en particulier sur l'électricité, thermique et nucléaire. Cela passe principalement par :
-  La décision bilatérale d'interconnexion des réseaux électriques finlandais et estoniens, et l'accord pour en faire de même entre la Lituanie et la Pologne
-  La décision de construire une nouvelle centrale nucléaire, prévue d'être opérationnelle en 2015, pour remplacer celle d'Ignalina, dont l'UE a exigé la fermeture en 2009. Un protocole d'accord, signé dans un premier temps entre les trois États Baltes, a été rejoint récemment par la Pologne.
-  Le lancement d'un programme de modernisation des centrales électriques lituaniennes, en accentuant la part d'origine hydraulique et éolienne.

3. Des relations complexes avec les pays voisins

a) La coopération interbaltique est modérée

Le concept d'États Baltes est avant tout géographique. Les Lituaniens et les Lettons, qui parlent une langue indo-européenne et qui sont attirés par l'Europe danubienne se sentent peu d'affinités avec les Estoniens, qui pratiquent une langue finno-ougrienne et se trouvent dans l'orbite des pays nordiques, en particulier la Finlande et la Suède (Pour la petite histoire, le Lituanien de la rue estime que les Estoniens ne sont pas des Baltes… !). Les rapports politiques et économiques entre les pays riverains de la Baltique sont bons, mais n'ont pas une grande importance stratégique. Certes, ils se retrouvent lorsque leurs intérêts sont communs, notamment sur la question énergétique (construction d'une nouvelle centrale nucléaire, interconnexion des réseaux électriques, opposition au gazoduc nord-européen). Mais les divers organismes de coordination ne semblent pas très vivaces.

b) Les relations avec la Russie sont tendues, même si l'intégration de la minorité russe en Lituanie est assez bonne

Les Lituaniens gardent un mauvais souvenir de cinquante ans d'occupation soviétique, qui ont été extrêmement durs et qui ont failli rayer pour toujours la Lituanie de la carte géopolitique. Les relations diplomatiques ont été assez rapidement normalisées après l'indépendance, mais les rapports politiques et économiques restent tendues. La Russie oppose une fin de non-recevoir à la demande de réparations solennellement notifiée par la Lituanie (28 milliards de dollars exigés, soit un peu plus que le montant du PIB annuel du pays). Les autorités lituaniennes reprochent à la Russie de ne pas avoir rompu avec son passé stalinien. Elles souhaitent que l'héritière de l'URSS reconnaisse les atrocités commises par le régime soviétique pendant cinquante ans d' « occupation ». À cela, Moscou réplique que « les troupes russes sont venues à la demande des autorités lituaniennes »… ! Pourtant, la Hongrie et la République tchèque ont reçu de telles excuses. Mais, d'après un proche du président Poutine, ce serait « parce qu'elles n'avaient pas demandé de telles compensations ». Les autorités lituaniennes ont peu apprécié, en retour, qu'à l'occasion du 750ème anniversaire de Kaliningrad, de hautes personnalités européennes comme Chirac et Schröder aient été invités par Poutine, mais pas les voisins lituaniens et polonais. Moscou fait pression sur la Lituanie sur le plan énergétique, à l'instar des autres pays clients. Mécontents que l'achat de la raffinerie de Mažeikiu Nafta leur ait échappé, au profit des Polonais, les Russes ont prétendu que la réparation d'une prétendue fuite sur le pipeline Droujba prendrait des mois. Fuite prétendue, car la raffinerie biélorusse, qui se situe entre la fuite et la Lituanie, continue, quant à elle, de recevoir du pétrole brut… D'autre part, la compagnie russe de transport de pétrole Transneft a annoncé en décembre 2005 son intention de réduire ses livraisons au terminal de Butinge et à la raffinerie de Mazeikiai, sous l'effet de la concurrence exercée, comme nous l'avons vu, par les ports russes.

En fait, les Lituaniens considèrent toujours la Russie comme un ennemi potentiel. Il faut dire que le FSB russe, héritier du KGB soviétique, et son allié, le KGB biélorusse (qui n'a pas changé de nom) continuent d'exercer une certaine activité sur le territoire lituanien. Les problèmes de sécurité nationale de la Lituanie se sont trouvés ravivés au moment où, le 15 septembre 2005, un bombardier russe reliant Léningrad à Kaliningrad a rencontré un « problème technique » et s'est écrasé sur le sol lituanien. L'incident a empoisonné les relations bilatérales pendant quelques semaines et a renforcé la Lituanie dans son engagement actif dans l'OTAN, à travers notamment des opérations de maintien de la paix en Irak et en Afghanistan.

L'enclave de Kaliningrad ne présente apparemment plus de problème depuis que la question du transit des Russes entre Kaliningrad et le Centre a été réglée (attribution d'un visa gratuit). Comme pour la Biélorussie, la Lituanie tient à protéger ses liens commerciaux avec ce territoire, qui a besoin de bonnes relations avec ses voisins.

Quant aux Russes installés dans le pays, ils sont d'abord peu nombreux (environ 6 %) et ils sont - contrairement à leurs homologues lettons - relativement intégrés dans la société lituanienne, dont ils fréquentent les écoles, même si des établissement russophones sont ouverts, mais se trouvent souvent en recherche de clients… Lors du retour à l'indépendance, toutes les minorités qui le voulaient ont pu obtenir la nationalité lituanienne, à condition de renoncer au passeport soviétique (pas de double nationalité).

c) Les rapports avec la Pologne et les Polonais présents en Lituanie sont ambivalents

Unis de 1569 à 1795 dans la Rzeczpospolita (République des deux peuples), les Lituaniens ont eu l'impression de s'être fait « avoir », car en fin de compte c'est la petite Pologne qui a phagocyté la grande Lituanie. Mais surtout, l'occupation de la région de Vilnius entre 1923 et 1940 a laissé des traces profondes dans l'opinion. De plus, les Polonais de Lituanie (environ 6 % sur l'ensemble du territoire, mais 20 % dans la région de Vilnius) ne cherchent pas beaucoup à s'intégrer. Ils disposent d'écoles spécifiques qui, elles, font le plein.

Toutefois, les relations polono-lituaniens sont empreintes de pragmatisme. Il est même intéressant de voir se recréer, à l'occasion, des liens historiques, quand notamment les Présidents lituaniens et polonais sont allés apporter leurs bons offices dans la crise ukrainienne, lors de la « Révolution orange ».

Aujourd'hui, il est intéressant de constater qu'il existe d'excellentes relations entre le gouvernement lituanien, de centre gauche et son homologue polonais, très conservateur. Le fait que la Pologne a maintenu son achat de la raffinerie de Mažeikiu Nafta malgré l'intimidation de la Russie a été apprécié, de même que l'interconnexion des réseaux électriques polono-lituaniens et la décision de la Pologne de participer à la construction d'une nouvelle centrale nucléaire en Lituanie.

d) En ce qui concerne la Biélorussie, dont elle dénonce le régime autoritaire du président Loukachenko, la Lituanie adopte une attitude « pragmatique », en regrettant la décision récente de l'Union européenne de geler les relations avec ce pays. Elle tient à conserver des échanges commerciaux avec son voisin oriental. Elle constitue cependant une base de soutien et de repli pour les opposants biélorusses, en accueillant par exemple la Faculté franco-biélorusse fermée par Minsk en 2004, et rouverte à Vilnius sous la forme de l'European Humanities University (EHU).

En conclusion

La Lituanie a pris un bon départ pour rattraper le retard politique et économique occasionné par cinquante ans d'occupation soviétique. Son entrée dans le concert européen (Conseil de l'Europe, Otan, Union Européenne) a constitué une très belle occasion de « booster » sa croissance et d'accélérer ses réformes. Beaucoup de chemin cependant reste à accomplir pour stabiliser sa vie démocratique et surtout, pour maintenir sa croissance, menacée par les extraordinaires défis de la mondialisation et le jeu géopolitique des grandes puissances. Dans ce domaine, elle bénéficie d'un très grand soutien de l'Union Européenne, ce qui autorise un pronostic optimiste pour l'avenir de ce pays, en grande majorité catholique, qui doit cependant appliquer la maxime : « Aide-toi, le Ciel t'aidera ».

NOTES

-  (1) cf. Mauvais jour pour les relations polono-lituaniennes (2004)
-  (2) Écrit en commun par trois experts - l'estonienne Helle Martinson, le letton Janis Kristapsons et la lituanienne Ina Dagyte. J. Kristapsons, H. Martinson et I. Dagyte, Baltic R and D systems in transition, Zinatne, Riga, 2003 - À lire aussi : J. Allik, The quality of science in Estonia, Latvia and Lithuania after the first decade of independence, Trames (2003) 7 : 41-52.


Hervé Collet, sociologue et journaliste, rédacteur en chef du site Internet du COLISEE. Conférence donnée à l'Institut d'Études politiques de Rennes, le 5 février 2007, dans le cadre de la semaine « Aux couleurs de la Lituanie », organisée par la Maison de l'Europe de Rennes.

NB. La documentation réunie en vue de cette conférence comprend notamment :
-  L'article « Lituanie. Avis de tempête » de Géraldine Bertrand, dans le numéro spécial annuel du Courrier des pays de l'Est - n° 1056, juillet-août 2006 - publié par la Documentation française : « Europe centrale et orientale 2005-2006 » (312 p.). Cf. Parution du numéro spécial du Courrier des pays de l'Est sur le bilan de l'Europe centrale et orientale 2005-2006
-  L'article « Républiques baltes ? : un nouveau départ pour la recherche », publié sur le site Internet de la Commission européenne (Magazine de la recherche, n° 46, août 2005). Cf. http://ec.europa.eu/research/rtdinf...
-  Et bien entendu, un certain nombre des articles publiés sur le site du COLISEE

Des informations originales ont également été fournies par le correspondant du COLISEE à Vilnius, Gilles Dutertre, dont on peut consulter le blog. Cf. Un blog consacré à la Lituanie (2006) et http://gillesenlituanie.hautetfort.com

Cf. par ailleurs le site de la Maison de l'Europe de Rennes : www.maison-europe-rennes.org



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