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Les Karaïme (ou Karaïtes) de Lituanie


jeudi 18 janvier 2007

Peuple d'origine proche - orientale et de religion mosaïque (ils respectent strictement la Torah, mais ignorent son interprétation, le Talmud), les Karaïme (en Occident généralement appelés Karaïtes (1), du nom de leur religion) demeurent à maints égards une énigme historique.

On sait que le Karaïsme fut créé à Babylone vers le VIIe siècle par Anan Ben David, en réaction contre le judaïsme rabbinique traditionnel, jugé trop détaché des textes bibliques par les interprétations talmudiques. Après Babylone, les Karaïme se déplacèrent vers Jérusalem puis, à l'occasion des croisades, ils essaimèrent au Sud et à l'Est de la Méditerranée. En Crimée, sous la tutelle assez lointaine des Mongols, ils bénéficiaient d'une autonomie politique au sein de l'ancien territoire khazar (nombre de karaïtes seraient en fait des Khazars convertis), devenu ultérieurement Khanat de Crimée. Leur religion subit au cours du temps une certaine influence musulmane (2).

C'est dans ce contexte culturel et historique que 5.000 d'entre eux seraient arrivés au Nord-Ouest du Grand Duché à la fin du XIVe siècle (1397-1398), comme prisonniers "tatars" des armées de Vytautas le grand, qui avait combattu en Crimée. En réalité, il semble plutôt, selon des recherches récentes, qu'ils soient volontairement arrivés dans le Grand Duché comme artisans ou commerçants. Certains d'entre eux auraient auparavant appartenu à la Horde d'or.

Ce qui est certain en revanche, c'est qu'ils furent entre autres établis au Nord de Vilnius, au bord du lac de Trakaï (ancienne capitale du pays) où leur communauté, chargée notamment de la garde du château grand-ducal, prospéra sous la protection des autorités. Selon certains historiens, ils reçurent en 1388 une charte octroyée par le Grand Duc Jogaila, leur conférant une autonomie personnelle et une autogestion communautaire. Longtemps, l'administration grand-ducale utilisa certains d'entre eux à la défense militaire des confins Nord-Est de l'État. De 1441 au milieu du XXe siècle, une autonomie culturelle initialement octroyée par le Grand-Duc Casimir, leur permit de conserver leur langue (turque avec de nombreux emprunts à l'hébreu, à l'arabe et au persan, et s'écrivant en caractères hébraïques), leur mode de vie et leur religion (3). Ils connurent d'ailleurs une sorte d'âge d'or aux XVIe et XVIIe siècles. Nombre d'intellectuels et de personnalités marquantes sont alors issus de leur communauté. Citons Ezra Nisanovicz (1596-1666) de Trakaï, savant et médecin à la cour des Radvila (Radzivill), la plus puissante famille du pays.

Le troisième partage de la Pologne-Lituanie (1795) en fit des sujets russes. Ils demandèrent aussitôt à ne pas êtres confondus avec les Juifs, posture à laquelle ils se tiendront par la suite. Après des décennies d'espoir et de réussites économiques et sociales (4), un déclin de la communauté s'amorça, un processus d'assimilation étant en œuvre. La Grande Guerre entraîna des pertes culturelles irrémédiables. Pourtant, dans les années trente, la vie religieuse et culturelle (5) karaïme demeurait active (pour quelque 800 Karaimes recensés !) en République de Lituanie et des revues en langue karaïme (Mysl karaimska, La Pensée karaïme, en polonais, Onarmarch, le progrès, en karaïme, etc.) paraissaient à Vilnius, Kaunas et Panevezis. Les Karaïme étaient bien insérés dans la société et un certain nombre d'entre - eux firent même de brillantes carrières militaires (6).

La politique anti-religieuse de l'Union Soviétique ne se préoccupa pas particulièrement des Karaïme. L'assimilation se poursuivait cependant. En 1979, on dénombre 35.00 Karaïme en URSS, dont 1.200 en Crimée, 1.800 en Lituanie et le reste en Ukraine.

Aujourd'hui, il ne reste plus que 270 Karaïme en Lituanie (7) concentrés à Vilnius et à Trakaï. La kenesa (temple, on retrouve ici la même origine que dans le terme hébraïque knesset) de Trakaï est toujours en activité et celle de Vilnius, restaurée comme un monument historique (les Soviétiques l'avaient divisée et transformée en logements), n'est plus guère utilisée qu'à titre symbolique.

NOTES
-  (1) Terme d'origine hébraïque qui signifie "celui qui professe les écritures".
-  (2) Voir le site Internet consacré aux Karaïme de Crimée : http://www.turkiye.net/sota/karaim.html
-  (3) Ils purent même, selon certains historiens, envoyer des étudiants à la célèbre Académie karaïte de Constantinople.
-  (4) La personnalité de l'historien et archéologue Abraham Firkovitch, né en 1786, illustre cette période.
-  (5) Citons le nom du poète Simon Kobecki (1865-1933).
-  (6) Sur l'ensemble de la vie militaire des Karaïme, voir : Michailas Zajonckovskis, Karaimai Kariumenéje (militaires karaïmes), Lietuvos Nacionalinis Muziejus, Vilnius, 2000.
-  (7) On estime le nombre total de fidèles karaïtes dans le monde à 9.000. Une moitié vit en Israël, quelques-uns en Turquie et en Iran et environ 3.200 dans les autres États de la CEI. Cf. Regards sur l'Est, mars-avril 1999 et http://www.turkiye.net/sota/karaim.html

Yves Plasseraud, président du Groupement des Minorités (GDM) et professeur à l'Université de Vilnius.

Voir également :
-  Les Karaïme
-  Les Karaïme : précisions
-  Seraja Sapsalas, et le karaisme



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