Vilnius, capitale symbolique du yiddish perdu
mardi 22 avril 2003, par Gilles Dutertre
Vilnius, capitale symbolique du yiddish perdu
La "Yerusholayim d'Lite", la Jérusalem de Lituanie, dite aussi la "Jérusalem du Nord", n'a guère gardé de traces de son riche passé juif.
La rue Zudu ("juif" en lituanien) porte encore le nom de la communauté qui, avant la seconde guerre mondiale, représentait 40 % des 130 000 habitants de la ville. Deux plaques commémoratives évoquent le quartier juif, transformé en ghetto en 1939 puis rasé après le terrible 23 septembre 1943. Ce qui restait de ses habitants a alors été amené à 8 km de la ville, dans la forêt de Paneriai, où ils furent sommairement exécutés par les nazis.
La Grande Synagogue de 3 000 m2 avait été bombardée par les Allemands ; ses ruines ont été dispersées sous le régime soviétique, qui a construit à son emplacement un jardin d'enfants et un terrain de basket. Il reste un petit musée dans une maison verte, en bois, au-delà du boulevard entourant la vieille ville. Des documents, des photos, des objets ayant appartenu à la communauté y sont conservés dans quatre modestes pièces.
Le directeur en est Emmanuelis Zingeris. Ce quadargénaire dynamique est le descendant - ils furent rares - du ghetto de Vilna (le nom de Vilnius en yiddish) (.....) Les juifs sont maintenant un peu moins de 6 000 dans le pays, dont les quatre cinquièmes immigrés de l'ex-URSS. (.....)
Son rêve serait que Vilnius redevienne ce qu'elle était autrefois, la "capitale symbolique du yiddish" comme disait Ber Borokov, le fondateur des études de yiddish moderne, parce que la langue du "district de Vilnius" avait la prononciation littéraire classique. La bibliothèque de son père, dit Emmanuelis Zingeris, contenait toute la littérature mondiale, de Tourgueniev à Jack London, traduite en yiddish. Quelque dix millions de personnes le parlaient en Europe, dont plusieurs centaines de milliers dans l'Europe balte et slave. Le yiddish a pratiquement disparu avec elles. Le pays des Litvaks englobait la Lituanie, la Lettonie et la Biélorussie.
(.....) Une langue d'échanges, perméable aux apports extérieurs et capable de les transcender. Qui, parmi les Litvaks, a donné quelques grands noms à la culture internationale : Issac Bashevis Singer, Marc Chagall, Emmanuel Levinas, Chaïm Soutine ......C'est cette culture qu'Emmanuelis Zingeris voudrait essayer de réimplanter à Vilnius : " Nous avons besoin d'un monument pour montrer non pas comment les juifs sont morts mais comment ils ont vécu." (.....)
Sur les ruines du théâtre, il a reconstruit une salle de spectacle qui vient d'être ouverte, avec l'aide des Etats-Unis et de l'Union Européenne. Non pour commémorer mais pour faire revivre. Comme il voudrait faire revivre le quartier juif, lui redonner ses façades anciennes et sa Grande Synagogue. Il a obtenu la création par le gouvernement d'un Fonds culturel juif qui sera alimenté par des dons. Une autre source de financement proviendra des investissements privés dans les trente bâtiments qui devraient voir le jour. Tous seront construits sur des terrains aujourd'hui vagues, sauf le jardin d'enfants, qui sera réimplanté ailleurs.
Le nouveau "quartier juif" de Vilnius attirera les touristes, juifs et non juifs, à la recherche d'un patrimoine perdu, des Lituaniens aussi qui pourront dire à leurs enfants - du moins Emmanuelis Zingaris l'espère-t-il : "Voilà, c'est notre héritage commun. Ici vivait un grand peuple."
d'après Daniel Vernet dans "Le Monde" du 4 janvier 2003
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