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"L'Ukraine, pièce maîtresse du jeu russo - européen" par Mathilde GOANEC (mars 2009)


jeudi 12 mars 2009

Début décembre, l'Union européenne lance son "partenariat oriental", destiné à renforcer la coopération avec six anciennes républiques socialistes : l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Bélarus, la Moldavie, la Géorgie et l'Ukraine. Le projet, dans les cartons de la Commission depuis des mois, a connu une accélération notable après la guerre en Ossétie du Sud et en Abkhazie cet été.

"Le temps est venu d'ouvrir un nouveau chapitre dans nos relations avec les pays de l'Est" déclare ainsi Benita Ferrero-Walder, commissaire européen aux relations extérieures. Position de principe car, hormis des avancées significatives dans le domaine de l'économie et de la sécurité, il n'y a derrière ce partenariat aucune perspective claire d'adhésion à l'UE. Vu d'Ukraine, c'est donc une avancée en demi-teinte, à l'image du futur accord d'association qui devrait être signé courant 2009 entre Kiev et Bruxelles. Il renvoie le pays à son statut d'Etat tampon, tributaire des relations entre les deux grandes puissances qui se partagent aujourd'hui le continent, l'Union européenne et la Russie.

Ukraine, pré-carré de la Russie

Car l'Ukraine reste, selon Moscou, la pièce maîtresse de sa sphère d'influence, au nom d'un destin partagé pendant des décennies. Chaque main tendue par l'Union européenne vers l'Ukraine est donc potentiellement ressentie comme une incursion dans le pré-carré de la Russie. "L'Ukraine est, pour longtemps encore, la question numéro un entre la Russie et l'UE", estime même Miroslav Popovitch, philosophe ukrainien, professeur à Kiev. Ni la Pologne, ni les Pays baltes ni même le Caucase n'ont une telle place dans le coeur des Russes. Rappelons que c'est bien par la déclaration d'indépendance de l'Ukraine en 1991 qu'est finalement arrivée la dislocation de l'Union soviétique. Le tsar Nicolas Ier lui-même affirmait en son temps qu'il ne cèderait jamais l'Ukraine. Ce pays fait partie de la zone d'influence traditionnelle du Kremlin, qui n'est pas prêt de le lâcher"

Le gaz russe, arme politique

Cette conviction profonde favorise les points de tensions, surtout quand Kiev s'avise de montrer trop clairement ses préférences. Premier sujet qui fâche, le gaz, sujet régulier de disputes entre la Russie et l'Ukraine, au cours desquelles l'UE tente vainement de se poser en arbitre. Ce perpétuel bras de fer énergétique est très risqué pour l'Union, qui voit transiter 80% de ses importations de gaz russe par les tuyaux ukrainiens. Et doit donc soigner ses relations à la fois avec son fournisseur de combustible, la Russie, et le responsable de son transit, l'Ukraine. Un jeu d'équilibriste dans lequel elle penche naturellement vers la Russie, et qui l'empêche de s'engager plus avant dans son soutien à une Ukraine qui se voudrait plus indépendante et européenne. Progressivement, la Russie parvient à imposer des prix de gaz plus élevés à l'Ukraine, tout en conservant un tarif de transit relativement bas.

La Russie opposée à une adhésion ukrainienne à l'Otan

Autre pomme de discorde, l'Otan. La Russie freine des quatre fers pour l'adhésion de l'Ukraine à l'Alliance atlantique et a trouvé dans l'Europe un alibi de poids. C'est bien l'Allemagne et la France, qui ont douché les espoirs de l'Ukraine de prendre part rapidement au MAP (membership action plan), lors du sommet de Bucarest en avril dernier. Ces deux pays ont répété leurs réticences au début du mois de décembre, dans le but à peine caché de ménager Moscou. Le duo Poutine - Medvedev voit d'un très mauvais oeil l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan, en particulier parce que la Russie possède une base militaire de première importance sur la mer Noire, dans la ville de Sébastopol en Crimée. Invité exceptionnel au sommet de Bucarest, Poutine avait même eu cette formule, "L'Ukraine n'est pas un Etat", mettant en avant le risque de "désagrégation" de l'Ukraine en cas d'adhésion à l'Otan. L'Europe s'est bouché les oreilles, se gardant bien de condamner cette remise en cause caractérisée de la souveraineté ukrainienne. Pourtant, pour l'Otan comme pour l'UE, c'est bien le choix d'un véritable ancrage à l'Ouest que fait l'Ukraine, ou du moins sa classe dirigeante issue de la Révolution orange de 2004. A l'image du discours du président Viktor Iouchtchenko le 1er décembre : "Pourquoi l'Ukraine veut-elle rejoindre l'Otan ? Ce n'est pas seulement pour des questions de défense. Pour nous, il s'agit d'un choix souverain, d'une quête stratégique et de progrès en terme de civilisation".

Une Russie ménagée par l'Union européenne

Malgré ce souhait affiché et répété de rejoindre la "famille européenne", l'Ukraine gêne l'Europe car elle l'oblige à affronter Moscou, quand la tendance est plutôt à la normalisation des relations avec le Kremlin. Surtout, la question ukrainienne met à jour les différents courants qui existent au sein de l'UE. Les nouveaux Etats membres, notamment la Pologne et les Pays baltes, mènent une politique plus intransigeante vis-à-vis de la Russie et sont des alliés certains d'une prochaine intégration de l'Ukraine. A l'Ouest, on sait bien bien que Kiev est encore prête à avaler bien des couleuvres, en échange d'une "perspective européenne". La Russie, elle, impose son rythme et ses positions à Bruxelles, à l'image de la "résolution" du conflit géorgien.

Une Ukraine divisée, une Russie maîtresse du jeu

Si l'Ukraine admet être cette monnaie d'échange, c'est aussi à cause de l'inconsistance de sa classe politique. Igor Jdanov, président du centre d'analyse Otkrytaïa Politika, s'exprimant lors d'une conférence sur la sécurité à Kiev, a rappelé que "les élites ukrainiennes n'ont pas de discours intelligible en politique étrangère". "Si nous nous laissons sacrifier à l'entente cordiale entre la russie et l'UE, c'est ausi de notre faute", confirme Miroslav Popovitch. Nos hommes politiques ne pensent qu'en termes d'élections et n'ont pas de vision à long terme. Les tergiversations ukrainiennes ne sont pas tenables en Europe".

Outre la classe politique, c'est le pays tout entier qui oscille entre deux pôles. Une grande partie de la population est foncièrement opposée à l'adhésion à l'Otan et même l'idée européenne perd de sa force. Selon un sondage réalisé chaque année par l'Institut Razumkov de Kiev, 65% de la population souhaitait rejoindre l'UE en 2002. Ils ne sont plus que 47% en 2008 : "L'Ukraine aurait pu devenir le point de rencontre entre l'Est et l'Ouest, affirme Miroslav Popovitch, car nous sommes fondamentalement européen, mais nous avons aussi un lien constant et étroit avec la Russie. Malheureusement, pour changer le cours de l'histoire ukrainienne, il faut que la Russie elle-même change d'attitude".

Mathilde GOANEC

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