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Géorgie et URSS : Joseph Djougachvili (1879 - 1953), homme d'Etat, dit Staline


SOSSO, KOBA
vendredi 19 novembre 2010, par Mirian Méloua

La clandestinité nécessaire aux activités révolutionnaires jusqu'en 1917, la propagande destinée à consolider le pouvoir bolchévique à partir de 1920, la flatterie des compagnons de route enclins à cultiver le culte de la personnalité des années 1930 aux années 1950 et les mémoires partiales des adversaires politiques font que les éléments biographiques concernant Joseph Djougachvili sont parfois loin de la réalité. A cette confusion, s'ajoute celle de la falsification des archives (1).

Joseph Djougachvili utilise au bas mot une quarantaine de pseudonymes, afin d'échapper à la police secrète du tsar -l'Okhrana (2)-, mais certainement aussi par goût personnel du secret. Sosso est le surnom de son enfance. Koba le pseudonyme révolutionnaire le plus utilisé. Staline apparaît en 1912 pour devenir le pseudonyme de l'homme de pouvoir à partir de 1917.

 

Les jeunes années (1878-1899)


Joseph Djougachvili naît à Gori, en Géorgie, le 6 décembre 1878 d'Ekatériné Guéladzé, dite Kéké, et de Vissarion Djougachvili, dit Besso, cordonnier, dont le grand-père est ossète. La paternité biologique de l'enfant soulève question (3).

L'école paroissiale de Gori

En 1888, son père et sa mère sont séparés ; cette dernière travaille pour une boutique de couture. Grâce à la protection d'amis de la famille et à la pugnacité de sa mère -qui rêve de voir son fils devenir evêque-, il entre à l'école paroissiale de Gori. Il est bagarreur, malgré un bras estropié par une calèche. Il porte sur le visage les stigmates de la variole. Il devient enfant de choeur, affirme son goût pour le chant et la poésie. Ses premières rebellions s'expriment lors du décret du tsar Alexandre III essayant d'imposer la langue russe aux Géorgiens,

Le séminaire de Tiflis

En 1894, il intégre le séminaire de Tiflis, toujours grâce à la protection d'amis de la famille et à la pugnacité de sa mère, mais aussi à une bourse d'étude. Sa situation personnelle est singulière car ses camarades d'étude proviennent de milieux favorisés. Il obtient de bons résultats les premières années (5e place). En 1896, il est reçu par Ilya Tchavtchavadzé -poéte géorgien- (4) et par Noé Jordania -directeur du journal "Kvali"- (5) pour la publication de ses premières poésies. Il lit les ouvrages interdits au séminaire (Hugo, Zola, Gogol, ...), fait l'objet de sanctions disciplinaires et perd le goût des études religieuses. Il rétrograde à la 16e place de sa classe.

Il prend ses premiers contacts avec les milieux socialistes, préférant la compagnie des cercles d'ouvriers -souvent russes- auprès desquels il apparaît comme un intellectuel à celle des aristocrates géorgiens tenant du marxisme et qui lui conseillent d'étudier plus en avant. En 1898, il adhère au Parti ouvrier social démocrate de Russie (POSDR). En mai 1899, il est renvoyé du séminaire sans que le motif ne soit clair, guerre ouverte avec le père Dimitri Abachidzé, -chargé de la discipline-, défaut de paiement ou absence aux examens ?

 

Le révolutionnaire (1899-1917)


Vers la clandestinité

De décembre 1899 à mars 1901, il est employé à l'Observatoire de Tiflis et s'engage un peu plus dans les activités révolutionnaires. En prévision d'une manifestation prévue le 1er mai 1900, la police traque l'organisateur principal Lado Ketskhoveli qui doit prendre la fuite. Joseph Djougachvili porte le message à sa place : les dépôts de cheminots et une fabrique de chaussures débrayent. Le 21 mars 1901, il échappe de peu à une arrestation de l'Okhrana. Le 22 avril 1901, contre l'avis de la majorité du POSDR, il organise une manifestation de masse réunissant 3 000 participants et doit faire face aux troupes cosaques : 15 ouvriers sont grièvement blessés, la loi martiale est instaurée. Il entre dans la clandestinité.

La clandestinité et les déportations

En novembre 1901, il quitte Tiflis et rejoint Batoumi (6) : il se fait embaucher à la raffinerie Rothschild. Il est accueilli par Konstantiné Kandélaki (7). Très vite des tracts révolutionnaires inondent la ville. La raffinerie prend feu le 4 janvier 1902. Une grève est fomentée. Des grévistes sont emprisonnés. Une manifestation tente de les libérer le 7 mars. Les Cosaques chargent, tuent 30 ouvriers et en blessent une cinquantaine. La responsabilité en est imputée à Joseph Djougachvili qui est convoqué à une réunion sociale démocrate par Nicolas Cheidzé (8) : il ne se présente pas. Le doute subsiste, Joseph Djougachvili était-il à cette époque un agent provocateur de l'Okhrana ?

Le 5 avril 1902, il est arrêté par les gendarmes et emprisonné. Il participe à de violentes émeutes, à l'intérieur de la prison, le 17 avril 1903, lors de la visite d'un dignitaire de l'Eglise orthodoxe géorgienne : il est transféré à Koutaïssi. Il est condamné à un exil administratif de trois années en Sibérie orientale le 7 juillet et rejoint Novaya Ouda le 26 novembre 1903. Placé sous surveillance policière, il s'évade le 4 janvier 1904 et rejoint clandestinement Tiflis.

Dans la querelle qui divise le Parti ouvrier social démocrate de Russie, il se range dans le camp des partisans de Vladimir Oulianov, dit Lénine. Cette fraction -dite bolchévique- défend la révolution par la dictature du prolétariat et le parti unique. La fraction dite menchévique, dont le leader est Plékhanov, défend la révolution par la réforme, le régime parlementaire et le multipartisme. Il entreprend des actions d'agitation et de propagande, en particulier à Koutaïssi (Imérétie,) se heurtant de plus en plus violemment aux mencheviks -Noé Khomeriki en particulier- alors qu'ils font encore partie du même mouvement.

Il prend part à la révolution de 1905 contre le pouvoir tsariste, à Bakou, à Tiflis (oû il se heurte aux consignes du leader menchevique Noé Jordania), à Batoumi (où le menchevik Isidore Ramichvili est persuadé qu'il est un agent de l'Okhrana) et à Koutaïssi (où il affronte un jeune menchevik de 25 ans, redoutable orateur, Noé Ramichvili, qui sera le premier Président du Conseil de la Ière République de Géorgie en 1918 et qu'il fera assassiné en exil à Paris en 1930). Il prend le contrôle des mines de manganèse de Tchiatoura et forme un "Escadron rouge" chargé de désarmer les soldats russes. Bientôt, aux côtés de Mikha Tskhakaïa et de Boudou Mdivani, il dirige les forces bolchéviques à Tiflis : il est désigné le 23 novembre pour se rendre à une réunion bolchévique à Saint Petersbourg, tenue en fait en Finlande où il rencontre pour la première fois Lénine.

En janvier 1906, de retour à Tiflis, il assiste avec impuissance à l'assaut des Cosaques du général Griazanov pour reprendre le contrôle du Caucase. Il s'allie avec les groupes armés menchéviques et participe à la préparation de l'attentat qui coûtera la vie au "boucher de Tiflis" le 16 février. Il forme une équipe d'hommes de main "la Droujina", prépare extorsions de fonds (hold-up et racket) afin d'alimenter les caisses de la faction bolchévique et attentats afin d'éliminer informateurs, policiers et autres représentants du pouvoir tsariste. Il participe secrètement à deux Congrès du mouvement social démocrate, à Stockhom en 1906 et à Londres en 1907.

Le 13 juin 1907, à Tiflis, malgré les consignes du Parti ouvrier social démocrate russe et avec l'accord secret de Lénine, il fait exécuter un attentat sanglant place Erevan afin de s'emparer de trois millions de dollars : une quarantaine de morts (dont une majorité d'employés de la Banque d'Etat et de passants) et une cinquantaine de blessés sont dénombrés. La presse russe et la presse internationale s'emparent de l'évènement et dénoncent la sauvagerie de l'opération. La police ne parvient pas à identifier les auteurs et le commanditaire : Lénine touchera la plus grande partie du butin à l'étranger, par le canal du Crédit Lyonnais selon une légende invérifiée.

Le 25 mars 1908, Il est arrêté à Bakou par les gendarmes -sans que le lien ne puisse être fait avec le hod-up de la place Erevan- et est condamné au bannissement, à Solytchegodsk qu'il rejoint début 1909. Il s'en évade pour rejoindre Bakou en juillet, avant d'être repris.

De 1910 à 1917. il ne connaît que dix mois de liberté. Malgré cela, il est nommé en mai 1911 par Lénine, à Paris, "envoyé spécial itinérant" du Comité central de l'Organisation bolchévique. En décembre 1911, il prend des contacts secrets avec Sergo Ordjonikidzé, afin de préparer la naissance du Parti bolchévique à Prague : il est confirmé au Comité central. Entre deux arrestations, il réussit à se rendre à Cracovie en 1912 et à rencontrer Lénine : il se voit confier la mission d'écrire un article sur la politique bolchévique des nationalités, article publié en mars 1913 sous le pseudonyme "K. Staline".

De son exil sibérien, à Atchinsk, où il a échappé de peu à la conscription militaire, il apprend la tenue de la révolution de février 1917, à Pétrograd : il rejoint la capitale russe le 12 mars. Nommé représentant bochévique au Comité exécutif du Soviet, présidé par Nicolas Cheidzé, il est accueilli par Irakli Tsérétéli (9).

Après une tentation de s'allier avec les mencheviks afin de construire la révolution, il se fait durement "recadrer" par Lénine -revenu de son long exil- et s'engage pleinement sur la voie de la dictature du prolétariat par le parti unique.

 

L'exercice du pouvoir soviétique (1917-1953)


Après la révolution d'octobre, et la prise de pouvoir par les bolcheviks, il devient Commissaire du Peuple aux Nationalités.

En 1922, il devient Secrétaire général du Parti communiste et progressivement évince ses rivaux avant et après la mort de Lénine (Kamenev, Zinoviev, Trotski, Boukharine, Rykov ...).

La police politique, la Tchéka, puis le Guépéou, puis le NKVD (qui deviendra le KGB en 1954), met en place un régime de terreur : la pratique de la torture, les procès truqués et l'enfermement dans les camps, les goulags, annihilent les récalcitrants.

L'idéologie soviétique, la collectivisation des terres, le développement de l'industrie lourde et la deuxième guerre mondiale lui fournissent des prétextes à la déportation des gêneurs ; parfois des peuples entiers sont envoyés en Sibérie lors d'opérations militaires de grande envergure.

Au final, plusieurs dizaines de millions de citoyens soviétiques trouvent la mort.

Après avoir conclu un pacte de non agression avec Hitler (1939 à 1941) et devant l'attaque allemande impromptue (opération Barbarossa), il est dans l'obligation de rejoindre les Alliés. L'Armée rouge subit d'énormes pertes et fait subir d'énormes pertes, mais elle gagne la guerre germano-russe.

En 1945, à Yalta, il fait entériner à Roosevelt et à Churchill l'extension du périmètre d'influence de l'URSS en Europe orientale et en Europe centrale (Bulgarie, Hongrie, Moldavie, Pays baltes, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, ...) ainsi que dans les Balkans (création de la Fédération de Yougoslavie), la neutralité de l'Autriche et de la Finlande, le partage de l'Allemagne.

Il organise ensuite "la guerre froide" contre les pays occidentaux, afin d'essayer de s'assurer une certaine hégémonie mondiale. il engage un effort d'armement important, met en place un système de propagande élaboré et finance les partis communistes nationaux à l'étranger.

Il meurt en 1953. Les obsèques du "petit père du peuple" sont grandioses.

 

L'après Staline


Dans un premier temps, le dictateur n'est regretté ni à l'extérieur de l'URSS, ni à l'intérieur de l'URSS (à l'exception de sa ville natale de Gori qui abrite un musée à sa mémoire) : son action est condamnée, non seulement par les démocraties occidentales, mais par l'ensemble des partis communistes du monde entier.

Plus récemment, le pouvoir russe n'hésite pas à rappeler les symboles de l'époque stalinienne, époque durant laquelle la Russie -par le biais de l'URSS- constituait une puissance mondiale de premier plan :

-  en 2000, la Banque centrale russe émet plusieurs centaines de pièces de collection en argent à l'effigie de Staline,

-  en 2003, Sergueï Mikhalkov, auteur des paroles de l'hymne soviétique en 1944 et de celles de l'hymne russe en 2000, "stalinien" convaincu, est décoré,

-  en 2009, lors de la restauration du métro de Moscou, la station Kourskaïa retrouve son inscription gravée dans la pierre : "Staline nous a inspiré la foi dans les peuples, le travail et les exploits".

Par contre dans son pays natal, la Géorgie, les autorités publiques font table rase de l'héritage stalinien, déplacement de la statue géante de Staline à Gori, institution d'une journée à la mémoire des victimes de l'entrée de l'Armée rouge à Tbilissi en 1921 (invasion préparée par Staline et Sergo Ordjonikidzé), ainsi que d'une autre journée à la mémoire des victimes des régimes totalitaires (à la date anniversaire du pacte Staline et Hitler, en 1939).

*

Notes :

(1) Le 11 octobre 2010 s'ouvrait à Moscou le procès intenté aux Archives russes par Evguéni Djougachvili, petit-fils, de Joseph, pour falsification de documents, plus précisemmemt cpncernant le massacre de Katyn en 1940.

(2) Afin de lutter contre les révolutionnaires qui avaient assassiné son père, le tsar Alexandre III réorganise le 3e Bureau du ministère de l'Intérieur en une police secrète. civile, nommée "Division pour la protection de l'ordre et de la société" et connue par son abréviation l'OKHRANA. Elle opère sur le territoire russe parallèlement à la gendarmerie qui possède son propre service de renseignements, et à l'étranger. Elle infiltre les groupes révolutionnaires. Elle a la responsabilité de la censure des courriers et pratique trois châtiments -sans sollicitation de la Justice- selon le degré de gravité de l'acte terroriste identifié, l'exil administratif dans les régions sibériennes, les travaux forcés et la pendaison.

(3) La paternité biologique de Joseph Djougachvili est attribuée tour à tour à trois amis de la famille, Iakob Egnatachvili, dit Koba, champion de lutte, Christiphoré Tcharkviani, prêtre orthodoxe, et Damian Davrichewy, chef de la police du tsar à Gori. Cette polémique s'appuie sur la mésentente qui apparaît rapidement entre le père par l'Etat-civil -souvent sous l'emprise de l'alcool- et le fils, ainsi que sur les protections renouvelées à Kéké. Les confidences de cette dernière n'y sont pas également étrangères.

(4) Ilya Tchavtchvadzé, l'un des artisans du réveil national géorgien, sera assassiné par les bolcheviks en 1905.

(5) Noé Jordania, l'un des fondateurs du Parti ouvrier social démocrate géorgien . deviendra en 1918 le second Président du Conseil de la Ière République de Géorgie. Il sera contraint à l'exil en 1921 par l'Armée rouge.

(6) La ville de Batoumi compte 16 000 ouvriers géorgiens, arméniens, grecs, perses, russes et turcs oeuvrant dans l'industrie pétrolière (oléoduc reliant Bakou, raffineries, port) et dans l'exportation du manganèse, du réglisse et du thé. Les Nobel et les Rotschild -branche française- contrôlent ces activités.

(7) Konstantiné Kandélaki, jeune ouvrier social démocrate et révolutionnaire, choisira la tendance menchévique lors de la scission du POSDR : il deviendra ministre des Finances de la Ière République de Géorgie dans le second gouvernement Jordania. Il sera contraint à l'exil en 1921 par l'Armée rouge.

(8) Nicolas Cheidzé, l'un des fondateurs du Parti ouvrier social démocrate géorgien, deviendra Président du Soviet de Pétrograd en février 1917, puis Président de l'Assemblée Constituante de Géorgie en 1918. Il sera contraint à l'exil en 1921 par l'Armée rouge.

(9) Irakli Tsérétéli, ministre des Postes, puis de l'Intérieur, dans le gouvernement provisoire Kerenski, à Petrograd, deviendra ministre plénipotentiaire des gouvernements de la Ière République de Géorgie. Il sera contraint à l'exil en 1921 par l'Armée rouge.

Sources multiples, avec en particulier "Le jeune Staline" de Simon Sebag Montefiore, Calmann Levy, Paris 2008.



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