Géorgie, France et URSS : Samson Pirtskhalava (1872 - 1952), vice-président de l'Assemblée constituante
PAR THAMAZ NASKIDACHVILI
mardi 15 mars 2011
"Bidzia Samson" (oncle Samson), c'est ainsi qu'au château de Leuville-sur-Orge, enfants, nous appelions un Monsieur toujours correctement vêtu, la barbe soigneusement taillée, la voix douce, le regard bienveillant. Il occupait une pièce (impeccablement tenue) qui donnait directement sur le grand salon du château.
C'est chez lui que, comme beaucoup d'autres, j'ai appris à lire et à écrire en géorgien (jusqu'en 1947, pendant plus de 20 ans, presque tous les enfants -petits et grands- ont appris la langue et l'histoire de la Géorgie avec Samson Pirtskhalava). En douceur, sans jamais élever la voix il enseignait et nous faisait aimer le pays de nos parents.
Qui était réellement cet homme paisible ?
Déjà une piste : dans le grand salon du château où donnait sa chambre, il y avait au mur (il y a toujours) l'Acte d'indépendance de la République de Géorgie signé le 26 mai 1918 par les membres de l'Assemblée constituante. Parmi les signataires, celle de Samson Pirtskhalava ! Renseignements pris, on apprend qu'en fait il avait, au nom du Parti Social-Fédéraliste, été le vice-président de cette Assemblée constituante aux côtés de Carlo Cheïdzé. "Bidzia Samson", le pédagogue tranquille avait donc un passé historique.
C'est dans un village sur la rive gauche du Tskhenis-Tskhali qu'il est né en 1872 dans une famille de paysans pauvres, très pauvres. La famille était originaire de l'autre rive du fleuve, de Mingrélie. Ces gens simples vont réussir à le scolariser, d'abord à Khoni puis, avec l'aide d'un oncle au "guimnaz" de Koutaïssi où, déjà, il se fera remarquer par ses maîtres. Ses parents souhaitaient que Samson devienne médecin mais, rebuté par le sang et les dissections, il choisit d'aller étudier le Droit à Saint Pétersbourg où débutent, avec d'autres étudiants de l''Empire, ses activités politiques en 1893.
Il écrit dans la presse et, sous différents pseudonymes, se fait remarquer pour la pertinence de ses commentaires et analyses tant littéraires que politiques et historiques. Il participe aux grandes manifestations de 1905.
Auparavant, en Géorgie, il avait adhéré à la Société pour la propagation de la langue géorgienne (à une époque où les autorités tsaristes combattaient l'utilisation du géorgien), association patriotique dont il sera le secrétaire général de 1902 à 1910 et où il cotoiera les plus grands intellectuels géorgiens du moment (poètes, romanciers, historiens, géographes, archéologues, linguistes ...) parmi lesquels Ilia Tchavtchavadzé et Akaki Tsérétéli. Il est l'un des créateurs de la célèbre "Feuille d'avis" ("Tsnobis Pourtskheli"), revue patriotique qu'il fait vivre en menant de front ses activités littéraires et politiques.
C'est lui qui, avec l'aide de G. Salaridzé, écrira après l'assassinat en 1907 d'Ilia Tchavtchavadzé, un texte fameux : "La Mort et l'Enterrement d'Ilia Tchavtchavadzé" qui eut un énorme retentissement dans toute la Géorgie.
Bien sûr, en 1909, c'était inévitable, il sera condamné à la déportation. Ce qui ne l'empêche pas de produire des textes qui le rendent de plus en plus populaire et le font remarquer des leaders politiques du moment.
De retour au pays, en 1913, il se lance dans la rédaction d'ouvrages historiques et d'articles et, en 1914, il publie une anthologie de la Poésie géorgienne. Il devait participer à la création d'une presse de qualité, d'une presse indépendante géorgienne. Et c'est surtout à lui que le Parti Social-Fédéraliste de Géorgie doit la mise en forme de son programme et de ses statuts. Cet homme tranquille a été de tous les combats patriotiques. Il a cotoyé les plus grands écrivains et publicistes géorgiens, les plus éminents savants ; il a travaillé avec eux (1).
En 1948, Samson Pirtskhalava choisit de rentrer en Géorgie où un emploi de bibliothécaire lui est donné au Musée national. Il laisse, rédigé avant son départ, un merveilleux message de quatre pages à ses élèves de France qu'il énumère tous ; après de sages recommandations, il écrit qu'il ne nous oubliera jamais (2).
Et nous, nous n'oublierons jamais le grand patriote, l'homme bon que fut Samson Pirtskhalava.
En 1951, le pouvoir stalinien condamne ce pédagogue honnête à l'exil en Asie centrale. Il mourra en route ! (3)
Thamaz Naskidachvili (4)
Notes
(1) Ce devait être émouvant pour lui de nous enseigner le géorgien sur le "Deda Ena" de Iakob Goguébachvili qui fut son ami ( "Deda Ena" est un manuel d'apprentissage du géorgien toujours en usage dans les écoles).
(2) Je peux en témoigner : j'ai une carte postale envoyée de Géorgie où il nous écrit être allé prendre le thé chez ma grand'mère maternelle pour fêter l'anniversaire de Ramine, mon frère aîné. Même au loin, fidèle en amitié, ce grand homme continuait de penser à ses petits élèves.
(3) Samson Pirtskhalava était né le 26 mai 1872, à Koutaïssi (Géorgie occidentale).
(4) Thamaz Naskidachvili, président de l'Association géorgienne en France de 1981 à 1986
Voir aussi
Géorgie : les partis politiques avant 1991
La Ière République de Géorgie (1918-1921)
La Ière République de Géorgie en exil en France
Leuville-sur-Orge : la petite Géorgie
photographie des leaders politiques géorgiens aux obsèques de Nicolas Cheïdzé en 1926 http://www.samchoblo.org/agf_gouver...
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