Accueil Brèves Plan du site Contact Admin


COLISEE Articles
comité pour l’information sur l’Europe de l’Est
   
 
 
[ Imprimer cet article ]


Russie et France : ambiguïté entre amitié, culture et politique (2010)


lundi 22 mars 2010, par Nicolas Lévilidane

Le président russe, Dmitri Medvedev, était à Paris le 1er mars 2010 afin d'inaugurer l'année croisée franco - russe et de renforcer l'amitié entre la Russie et la France.

Après l'arrêt des transmissions de la seule chaîne télévisée russophone non contrôlée par Moscou, -par un opérateur satellitaire détenu à 25% par l'Etat français-, il est question de ventes françaises de navires de guerre et de véhicules blindés à l'armée russe.

Cette nouvelle orientation politique serait loin de faire l'unanimité des milieux politiques, diplomatiques et militaires français.

 

Une Russie à la recherche d'alliés diplomatiques


Rejetée à l'Ouest par les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et les pays de l'ancien pacte de Varsovie (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie) tournés vers l'Union européenne et l'OTAN, en relation incertaine avec la Biélorussie, la Moldavie et l'Ukraine, rejetée au Sud par la Géorgie malgré la prise d'otage de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, empêtrée en Arménie avec le rattachement "rampant" du Haut-Karabagh, concurrencée par l'Azerbaïdjan en matière d'hydrocarbures, lâchée par les pays d'Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan) tournés de plus en plus ouvertement vers la Chine (1), la Russie est en recherche d'alliés.

L'Allemagne de la coalition chrétienne-démocrate / sociale-démocrate lui semblait plus favorable que celle de la coalition chrétienne-démocrate / libérale qui redéfinit actuellement sa politique à l'Est, en particulier vis-à-vis des pays de l'ancien pacte de Varsovie, Pologne en tête.

Les Etats-Unis du Parti démocrate lui semblait à priori moins velléitaire que ceux du Parti républicain. Si les bases du bouclier antimissile américain ne sont plus d'actualité en Pologne, les stations radars réapparaissent en Roumanie et en Bulgarie, ainsi que probablement les bases elles-mêmes. Après la main tendue de Washington à Téhéran, arrive le temps des sanctions qui n'arrange pas les affaires de Moscou.  

Une France en quête de crédibilité diplomatique


Déçue par le peu d'intérêt que lui porte la diplomatie américaine malgré sa réintégration à l'OTAN, déçue par le peu d'impact de ses positions au G20 lors de la crise financière mondiale et par son alliée du moment -la Grande-Bretagne-, déçue par le peu d'impact de ses positions au sommet de Copenhague sur l'environnement et par son alliée du moment, -le Brésil-, déçue par la position ultra-orthodoxe de son alliée préférée, -l'Allemagne-, à propos des déficits budgétaires des Etats de l'Union européenne (Grèce, Espagne, Portugal aujourd'hui, mais peut-être France demain), déçue par la position de cette même Allemagne à propos de la dévaluation de l'euro favorable aux exportations manufacturées pour lesquelles Berlin excelle, la France cherche son nouvel allié du moment.  

"L'amitié franco-russe" pour la France


Pour la France, "l'amitié franco-russe" réapparaît lorsque sa diplomatie cherche à regagner de sa crédibilité : IIIème République en 1892, IVème République lors du pacte France - URSS de décembre 1944, Vème République en 2008. Les résultats n'ont pas toujours été à la hauteur des espérances, emprunts russes, paix séparée de la Russie avec l'Empire allemand, pacte entre Staline et Hitler, guerre froide, régression des droits de l'homme à partir des années 2000, engagements non tenus en Géorgie en 2008, désignation officielle de l'OTAN comme principal danger extérieur en 2009.

"L'amitié franco-russe" donnerait à la France le rôle de "maîtresse d'école" attirant "l'élève indocile" que serait la Russie, ni ennemie, ni menace, sur le terrain du droit international et sur celui des droits de l'homme.

Ainsi faut-il écouter les nouvelles propositions russes "d'architecture de sécurité" qui sont loin d'être une théorisation de la notion de souveraineté limitée applicable aux pays frontaliers de la Russie (2).

Ainsi faut-il encourager le président russe actuel, Dmitri Medvedev (3), jeune, accro de technologie, limogeant à l'envie les barons corrompus qu'ils soient gouverneurs de province ou généraux du ministère de l'Intérieur et ainsi faut-il espérer qu'il se libère de plus en plus de son mentor encombrant, Vladimir Poutine.

Ainsi "est-il légitime que la Russie défende ses intérêts" comme l'a asséné à plusieurs reprises le président français, Nicolas Sarkozy, lors de conférences de presse.  

"L'amitié franco-russe" pour la Russie


Pour la Russie, adepte de la stratégie du "diviser pour mieux régner", "l'amitié franco-russe" est une opportunité de diviser une nouvelle fois l'Union européenne comme elle l'a fait dans le domaine des gazoducs (4) et d'essayer d'exister un peu plus dans le jeu diplomatique mondial.

Pour Dmitri Medevedv, elle est une opportunité de se démarquer de la Russie archaique -qui vit de la seule exportation de matières premières et dont le produit intérieur brut a chuté de 8% en 2009- et d'apparaître comme un chef d'Etat moderne et ouvert.

Pendant ce temps-là, "les hommes à épaulettes" (silovikis) travaillent, contrôlent le pays politiquement, économiquement et médiatiquement. La Russie a besoin de navires de guerre qu'elle ne sait plus construire : la France y pourvoira (5). La Russie n'a nul besoin de médias russophones qui échappe à son contrôle : l'opérateur satellitaire européen EUTELSAT s'en défend, mais certains le soupçonnent d'avoir entendu le son et vu l'image des roubles d'un important contrat russe (6).  

Ambiguïté entre amitié, culture et politique


Les bonnes relations entre le peuple russe et le peuple français sont à l'évidence indispensables à une Europe pacifiée.

La culture russe est à l'évidence une grande culture, riche et respectable, qui mérite d'être connue par un maximum de Français.

La culture française mérite à l'évidence d'être connue par un maximum de Russes.

Il est simplement dommage que ne soit pas reconnu le droit de vivre en toute souveraineté à tous les peuples d'Europe de l'Est.

Amalgamer amitié, culture et politique comme le laissent penser l'année croisée franco-russe 2010 et la visite de Dmitri Medvedev à Paris, masque la réalité : la France est devenue une démocratie après un cheminement de deux siècles, la Russie n'est toujours pas une démocratie, n'en déplaise au Premier ministre français, François Fillon, qui a perdu une occasion de se taire (7).  

Notes



-  (1) Le Turkménistan se libére de la tutelle russe pour l'exportation du gaz au profit de la Chine.

-  (2) Russie : nouvelle architecture de sécurité en Europe proposée à l'OSCE et à l'OTAN (décembre 2009)

-  (3) Russie : biographie de Dmitri Medvedev, Premier ministre

-  (4) Le projet de gazoduc européen NABUCCO (mars 2010)

-  (5) Achat d'un (ou de quatre) navire(s) de guerre français BPC Mistral : Moscou prendra sa décision prochainement (2010)

-  (6) L'opérateur européen EUTELSAT, détenu à 25% par la France, a-t-il cédé à la pression de la Russie ? (2010)

-  (7) "La Russie est aujourd'hui une démocratie" a déclaré François Fillon le 27 novembre 2009 à l'issue d'une rencontre à Rambouillet avec Vladimir Poutine.



[ Imprimer cet article ] [ Haut ]
 

 
 
  01. Accueil
02. Albanie
03. Arménie
04. Azerbaïdjan
05. Biélorussie
06. Bosnie-Herzégovine
07. Croatie
08. Géorgie
09. Kazakhstan
10. Kirghizstan
11. Macédoine
12. Moldavie
13. Monténégro
14. Ouzbékistan
15. Russie
16. Serbie
17. Tadjikistan
18. Turkménistan
19. Ukraine
20. Etats autoproclamés
21. Union européenne
22. Grandes régions d'Europe et d'Asie
23. Thèmes transversaux
24. Les séminaires et les conférences
25. Les dossiers du COLISEE

Contact
 

 
 
Dans la même rubrique

Autres articles :
Russie : atmosphère glaciale au Kremlin pour la rencontre entre Hollande et Poutine (28 février 2013)
L'Elysée et le Kremlin à la poursuite conjointe du statut hypothétique de grande puissance (2010)

 



© 2013 COLISEE