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Lech Kaczynski, président polonais (2005-2010)


TRIBUNE LIBRE
mercredi 21 avril 2010, par Jean-Sylvestre Mongrenier

Le lundi 20 avril 2010 était donnée une messe aux Invalides, à l'église Saint-Louis, en hommage au président de la Pologne, Lech Kaczynski, et à l'ensemble des victimes de la catastrophe aérienne survenue dix jours plus tôt. L'avion présidentiel polonais s'est écrasé près de Smolensk (Russie), non loin des lieux où ont été commis, sur ordre du pouvoir soviétique, les massacres de Katyn (avril 1940). Cette nouvelle tragédie a suscité une immense émotion en Pologne et ailleurs. En France, l'élan n'est pas celui que l'on a pu connaître pour Yasser Arafat, entre autres exemples. Le choix des mots et celui des angles d'approche en disent long sur le conformisme inversé qui régit les esprits. Aussi semble-t-il nécessaire de mettre en perspective ce que Lech Walesa a nommé "le second Katyn".

Un président présenté comme "controversé"

Alors que les débris du Tupolev présidentiels fumaient encore (1), une chaîne d'information française a d'emblée présenté Lech Kaczynski comme un président "controversé". C'est vrai puisqu'on vous le dit ! Et de fait, la politique étant la sphère de l'activité humaine qui recouvre les inévitables conflits entre les hommes et les collectivités qu'ils forment, tout homme de pouvoir est controversé ne serait-ce que de par les oppositions qu'il rencontre et suscite simultanément.

On ne saurait pourtant voir dans ce qualitatif -un président "controversé"- un simple effet de la décadence de la langue et de l'approximation contemporaine ("controversé" pour "combatif" ou "pugnace"). L'idée est de suggérer insidieusement que l'homme ne mérite pas l'émotion populaire et le consensus national que sa tragique disparition, sur les lieux mêmes où soixante-dix ans plus tôt l'élite polonaise était massacrée, a provoqués (2). Dans les jours qui suivirent, les attaques contre le président polonais se firent plus directes, avec la fausse distance de celui qui ne fait que son métier.

Une jeunesse dans la dissidence anticommuniste

Que reproche-t-on à Lech Kaczynski ? Son frère jumeau, Jaroslaw, et lui-même sont issus d'une bonne famille, comme l'on disait autrefois, où l'on vénère Dieu et pratique un patriotisme de bon aloi, sans verser dans une forme d'idolâtrie des réalités temporelles (les nations ne sont que poussières au regard de Dieu). leurs parents ont participé au soulèvement de Varsovie, écrasé par les Allemands sous le regard complaisant de l'armée soviétique, stationnée sur l'autre rive de la Vistule ; ainsi Katyn et les autres massacres de l'élite polonaise étaient-ils parachevés (3).

Nés en 1949, Lech Kaczynski et son frère font leurs premiers pas dans un pays en ruines, sous la férule des Soviétiques et du "parti frère" local. Tous deux juristes, ils rejoignent les rangs du mouvement dissident, sans verser dans l'illusion d'une "troisième voie" ou du "socialisme à visage humain". Bref, ils affrontent le pouvoir communiste et sont donc anticommunistes. Les deux frères rejoignent Solidarnosc, ils jouent un rôle actif dans les grèves et l'agitation endémique des années 1980, et Lech Kaczynski est emprisonné pour ses activités "contre-révolutionnaires".

Regardons autour de nous : peu d'hommes politiques en Europe occidentale seraient susceptibles de présenter un tel parcours, témoignant d'un courage certain (il est plus aisé de dénoncer le court-termisme des marchés financiers l'oeil rivé sur les sondages d'opinion du jour).

Une présidence sous le signe de la morale publique et de la souveraineté nationale

Mais voilà. L'homme est intransigeant et ne fait pas dans le "communisme de marché" ou l'hédonisme post-moderne. Porté à la présidence de la Pologne, il n'admet pas que d'ex-agents de la tyrannie communiste, ou des informateurs des organes de répression puissent continuer leur bonhomme de carrière. Et les commentateurs de déplorer la "chasse aux sorcières" qui aurait été menée dans la Pologne de Kaczynski, référence explicite au maccarthysme présenté comme l'abomination des abominations (rien de comparable, même de loin, à la répression communiste en URSS et dans les "pays frères" à la même époque !). Ainsi retrouve-t-on, dilués et éparpillés, des éléments de langage hérités de l'époque du Kominform, passés dans la langue commune. Pourtant, la "lustration" -menée plus ou moins fermement en Pologne et dans d'autres pays victimes du communisme- n'a pas grand-chose de commun avec l'épuration de l'après-1944, en France ou ailleurs, ses exécutions et ses règlements de compte mortels. Le sang a été épargné et les personnes incriminées ne sont pas menacées dans leur vie. Comme le rappelle Stéphane Courtois, une part notable des personnes les plus riches dans ces pays est issue de la nomenklatura et de l'élite partito-tchékiste, les plus à même d'utiliser leur position pour se ménager une transition entre l'ancien et le nouveau. Savoir qui est qui, qui était responsable de quoi, pendant la période précédente, est tout simplement une question de morale publique.

Enfin, Lech Kaczynski était réputé intraitable sur la question de la souveraineté nationale, d'oû son hostilité au traité de Lisbonne (dont on nous explique maintenant qu'il a été mal pensé !), les mécanismes décisionnels réduisant le poids de la Pologne dans les institutions européennes. Il a été un temps en froid avec l'Allemagne et surtout éprouvait une grande méfiance vis-à-vis de la Russie, fait qui relèverait d'une mentalité fixiste (et peu importent les menaces réitérées par les officiels russes, jusqu'au Kremlin même). En retour, le président polonais montrait un grand intérêt pour le "Partenariat oriental" de l'UE et les pays d'Europe centrale et orientale, des Etats baltes à l'Ukraine et au Sud-Caucase. Pleinement conscient du rôle historique joué par les Etats-Unis dans le collapsus du communisme, comme de l'importance de Washington dans les équilibres de sécurité euro-atlantiques et transeurasiens, il s'est employé à renforcer les liens diplomatiques et militaires polono-américains. Ce positionnement a eu ses prolongements en Irak, en Afghanistan et sur la question des systèmes antimissiles (4). En d'autres termes, ils se dit que le président polonais était "très atlantiste" et dans cette France qui, dès l'après-guerre, s'est tournée vers les Etats-Unis -pour se reconstruire, relever son armée et contrebalancer la menace soviétique- la chose fait presque figure de maladie honteuse.

Bref, Lech Kaczynski incarnait tout ce qu'exècre le plus grand nombre de ceux qui font l'opinion publique : une Pologne catholique, patriotique et conservatrice. L'homme n'admirait-il pas le maréchal Pilsudski ?

Jean-Sylvestre Mongrenier est chercheur à l'Institut français de géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis) et chercheur associé à l'Institut Thomas More.

Notes :

-  (1) Les autorités russes ont le contrôle de l'enquête et des boîtes noires. La communication officielle, relayée sans distance critique par les médias, a de suite mis en cause l'obstination du président polonais à vouloir atterrir, en dépit des instructions russes, et l'incompétence du pilote polonais (les premières hypothèses ont d'emblée été présentées comme des faits). De nouveaux éléments d'information viennent nuancer ce premier récit ; il n'y aurait pas eu quatre tentatives successives d'atterrissage et le pilote polonais parlait russe.

-  (2) Durant l'exposition du corps de Lech Kaczynski à Varsovie, de longues files de citoyens polonais se sont étirées devant le palais présidentiel pour s'incliner devant la dépouille. Le président polonais a été enterré le dimanche 18 avril, à Cracovie, dans la cathédrale de Wavel (aux côtés des rois de Pologne et du maréchal Pilsudski).

-  (3) Lorsque les blindés soviétiques franchissent la frontière polono-soviétique de 1921, l'AK (Armée nationale polonaise) se soulève contre les Allemands. Des unités de l'AK combattent aux côtés des Soviétiques mais elles sont ensuite désarmées par le NKVD, leurs officiers sont internés pour être déportés au Goulag (c'est le cas à Lvov et Vilnius, entre autres exemples). Le 1er août 1944, les commandants de l'AK déclenchent l'insurrection de Varsovie dont la prise avait été planifiée par les Soviétiques pour le 8 août. Staline arrête l'offensive et laisse les Allemands écraser cette insurrection qui se prolonge jusqu'au 2 octobre. A l'Ouest de la ligne Curzon, entre 25 000 et 30 000 militaires polonais sont eux aussi déportés au Goulag. Après que ces territoires aient été annexés, ce sont encore des dizaines de milliers de Polonais et d'Ukrainiens qui à leur tour sont déportés. Des unités du NKVD opèrent des deux côtés de la nouvelle frontière polono-soviétique. Répression de masse, chasse à l'homme et "pacifications" achèvent de détruire l'AK et ses maquis ; L'Etat polonais clandestin disparaît.

-  (4) Précisons ici que le projet de déploiement de systèmes antimissiles américains en Europe n'est pas abandonné mais reconfiguré et déplacé vers la Roumanie ainsi que la Bulgarie. Pour sa part, la Pologne devrait accueillir dans un premier temps des missiles Patriot. L'objectif de Varsovie est de renforcer l'enpreinte militaire américaine sur le territoire polonais, matérialisant ainsi la clause de défense mutuelle qui lie les uns aux autres les pays de l'OTAN. A contrario, la Russie cherche à éviter de tels déploiements en Pologne et en Tchéquie comme en Roumanie et en Bulgarie. Moscou cherche ainsi à se faire reconnaître un droit de regard sur la politique de défense, et donc la politique extérieure. des anciens pays membres du pacte de Varsovie.

Voir aussi Pologne : obsèques du chef de l'Etat, Lech Kaczynski, tué dans un accident d'avion



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