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Géorgie, France et URSS : Chalva Bérichvili (1899-1988), agent secret


SHALVA BERISHVILI
mardi 15 mars 2011, par Mirian Méloua

Chalva Bérichvili naît en 1897 ou en 1899, selon les sources, dans une famille du Sud-Ouest de la Géorgie, la Gourie, de Marta Ramichvili (1870-1952) et de Nestor Bérichvili (1867-1935) (1). Il est le neveu de Noé Ramichvili (2) qui deviendra le 1er président du Conseil des ministres de la Ière République de Géorgie (3).

 

Une jeunesse militante


Il commence ses études à l'Université de Tiflis, nouvellement créée, dans le domaine de l'économie. Militant du Parti social démocrate ouvrier géorgien (PSDOG), il est arrêté et emprisonné en 1921, durant une année, après l'entrée des armées de la Russie soviétique.

En 1924, il prend part à l'insurrection nationale géorgienne à Tchiatouria, déclenchée avec une journée d'avance sur le plan prévu, émoussant l'effet de surprise (4).

 

L'exil et les premières missions clandestines en Géorgie


Il parvient à quitter la Géorgie par la Turquie et rejoint la France. En 1930, 1934, 1936 notamment, il est envoyé clandestinement en Géorgie par le gouvernement social démocrate géorgien en exil à Leuville-sur-Orge (Seine et Oise) afin de recueillir des informations sur l'état de la société géorgienne et de communiquer avec les cellules de résistance qui subsistent.

Il devient membre du Bureau étranger du PSDOG, dont le leader est Noé Jordania (5), 2e président du Conseil des ministres de la Ière République de Géorgie, parti divisé en plusieurs tendances :

-  les uns sont disposés à quitter la IIe Internationale socialiste comme le souhaite Le Mouvement Prométhée (1926-1939) et la confédération caucasienne -qui finance les actions clandestines en Géorgie- afin de coaliser tous les partis politiques en exil,

-  les autres relèvent d'un marxisme plus intransigeant dont Chalva Bérichvili est partisan.

Sur le terrain, il agit parallèlement aux missions clandestines du groupe "Caucase" (6), qui ne reconnaît plus l'autorité du gouvernement social démocrate en exil.

Le 31 mai 1939, le colonel Zakaïa et A. Zourabichvili, président et secrétaire général de l'association des Anciens combattants géorgiens résidant en France -affiliée à la Fédération nationale des associations de mutilés, de victimes de guerre et d'anciens combattants-, lui délivre la carte numéro 147.

Il est choisi par le gouvernement social démocrate géorgien en exil pour prendre la responsabilité des futurs groupes géorgiens de renseignement basés en Iran et en Turquie. A ce titre, il est nommé conseiller officieux pour les questions caucasiennes auprès de l'état-major du général Weygand, chef des Opérations de l'armée française pour la Méditerrannée orientale, résidant en Syrie.

En septembre 1939, il établit le contact à Alep.

 

Plan soviétique en Asie mineure éventé


En octobre 1939, Chalva Bérichvili entre une nouvelle fois clandestinement en Géorgie et rejoint Tbilissi. Il contacte des membres de l'organisation secrète sociale démocrate et grâce à des ramifications jusqu'à Moscou, il amasse un maximum d'informations militaires et politiques. Considérant l'énorme risque auquel il expose ses interlocuteurs, il revient deux jours après en Turquie.

Il livre le résultat de sa mission aux officiers de renseignement britanniques, français et turcs réunis dans une alliance contre le pouvoir soviétique,

"Les forces soviétiques ont été renforcées dans le Caucase. Batoumi dispose de l'artillerie la plus avancée. Toutes les villes du Caucase sont équipées de DCA. Des exercices de protection civile sont régulièrement partiqués. Des forces soviétiques supplémentaires ont été déployées à la frontière de l'Iran.

Staline aurait pour plan d'étendre le territoire soviétique au détriment de la Turquie. Il exigera la fermeture des Détroits de la mer Noire, l'installation d'une base soviétique dans le Bosphore et le retour aux frontières de 1914. En cas de refus, il suscitera une soviétisation de la Turquie : les commissaires politiques de l'Armée rouge du Caucase suivent des cours de langue turque, des propagandistes sont formés à Moscou afin d'encadrer les futures administrations soviétiques en Turquie. Staline aurait également planifié l'annexion de l'Azerbaïdjan iranien".

La majorité de ces informations sera ensuite recoupée par les différents services de renseignement concernés.

 

Participation à la préparation du plan des Alliés dans le Caucase


En mars 1940, il adresse différentes lettres à Alexandre Ménagarichvili, secrétaire du Conseil de la confédération du Caucase (instrument du Mouvement Prométhée), dans lesquelles il apparaît qu'il a informé le pouvoir turc de l'infiltration par le NKVD de la branche des nationaux démocrates géorgiens antérieurement adhérente au Mouvement Prométhée et qui s'en est désolidarisée (tendance Alexandre Assathiani). Non seulement, il dissuade ainsi les autorités turques de les aider en cas de missions clandestines vers la Géorgie, mais il les discrédite auprès du 2e Bureau de l'armée française et de la Sûreté nationale auprès de qui ils se sont manifestés. Il rend plus difficile encore toute tentative de réconciliation des partis politiques géorgiens en exil, hypothèse à laquelle il s'est toujours opposé.

Il est sollicité par les Britanniques et les Français pour la préparation du plan qui viserait à couper l'approvisionnement de l'Allemagne en pétrole caucasien, que lui fournit l'URSS.

Dans un 1er temps, les services secrets britanniques, français et turcs s'accordent sur le rôle de chacun vis-à-vis des groupes clandestins géorgiens de renseignement basés sur le territoire turc (et iranien). Chalva Bérichvili est confirmé à leur direction. Les Français financent l'entreprise (par l'attaché militaire à Istanbul, Robert Leleu), fournissent les armes, les appareils radios et les autres équipements. Les Turcs aident à infiltrer les agents géorgiens en Géorgie et à les exfiltrer au retour. Les renseignements politiques, militaires et économiques seront transmis à la France, à la Grande-Bretagne et à la Turquie. S'il est discrétement sollicité par les services turcs afin de coopérer directement avec eux, son refus personnel gèle les opérations pour quelques semaines.

Dans un 2e temps, début avril, les Britanniques et les Français s'accordent sur un plan d'attaque du Caucase.

"L'aviation britannique bombardera Bakou. L'aviation française bombardera Batoumi et Grozny. Les sous-marins alliés neutraliseront les pétroliers soviétiques en mer Noire. Les voies ferrées seront détruites par des saboteurs".

Les groupes clandestins de Chalva Bérichvili ont pour mission de recueillir des informations sur les possibilités de lâcher des parachutistes sur l'Ouest de la Géorgie (7), de sabotage de l'oléoduc Bakou - Batoumi, de trafic des pétroliers allemands et soviétiques entre Batoumi / Poti en Géorgie et Constanta en Roumanie.

A mi-avril, il envoie Léo Pataridzé à Constanta, fait former et équiper ses hommes de radio afin de pouvoir communiquer d'une rive à l'autre de la mer Noire.

Début mai, il dirige le 1er groupe clandestin entré en Géorgie. Simon Goguibéridzé et David Erkomaichvili (8) font de même avec un 2e groupe.

L'entrée de l'armée allemande sur le territoire français, et la défaite française, mettent fin au projet.

 

Le recrutement par le NKVD soviétique


Selon l'historien Georges Mamoulia, s'appuyant sur les archives soviétiques, "A l'été 1940, Chalva Bérichvili propose ses services au NKVD. A l'automne, il est conduit de Tbilissi à Moscou, rencontre Lavrenti Béria et est recruté sous le nom de code Omeri". Il est renvoyé en Turquie et transmet durant deux années des informations sur les émigrations géorgiennes en Turquie, en France et en Allemagne. Fin 1942, il est arrêté par le NKVD. En 1944, il est condamné à 25 ans de prison, peine qu'il accomplit à 280 kilomètres de Moscou.

La famille Bérichvili conteste cette version et met en doute en avril 2011 la "qualité" d'historien de Georges Mamoulia : "Chalva Bérichvili a effectué six missions clandestines en Géorgie sous contrôle complet du gouvernement géorgien en exil (1930, 1934, 1936, 1939, 1940 et 1943). Lors de sa dernière mission, il est arrêté par le NKVD et condamné à mort. Sa peine est commuée en emprisonnement, il sera libéré 25 ans après".

 

L'homme


Réputé courageux physiquement, Chalva Bérichvili était originaire d'une région de Géorgie qui avait proclamé son indépendance au début du XXe siècle afin de former une éphémère République sociale démocrate de Gourie. Traversée par tous les courants "d'agitation et de propagande", cette région a fourni de nombreux cadres politiques à l'Empire russe, à la République démocratique de Géorgie, à l'URSS et aujourd'hui à la République de Géorgie, de Noé Ramichvili à Edouard Chévardnadzé.

Marxiste intransigeant selon ses contemporains, s'opposant fondamentalement aux composantes du mouvement national géorgien (9), il aurait informé, à partir de l'automne 1940, le NKVD des agissements des émigrés politiques géorgiens (selon l'historien Georges Mamoulia).

Il travailla directement auprès de Noé Jordania (2e président du Conseil des ministres de la Géorgie, son mentor, qui défendait de son exil à Leuville-sur-Orge l'indépendance de son pays), et fut amené à rencontrer Jozef Pilsudski (président de la Pologne, soucieux d'affaiblir l'URSS, financier d'opérations tournées contre elle), le général Weygand (chef des opérations françaises en Méditerrannée orientale, à l'époque de l'alliance entre l'URSS et l'Allemagne), une noria d'officiers supérieurs de différents services secrets, ainsi que Lavrenti Béria (Géorgien au service de l'URSS, adjoint direct de Staline et chef du NKVD), toujours selon Georges Mamoulia. Après sa libération, il a vécu une vingtaine d'années en Géorgie sous le régime soviétique et est mort en 1988.

Agent secret, voire agent double, deux versions s'opposent aujourd'hui au sujet de Chalva Bérichvili, comme elles s'opposaient hier au sein de la communauté géorgienne en exil en France.

 

Notes


(1) La famille Bérichvili est d'origine paysanne et compte 8 enfants, Malakia (1893-1921), Nina (1896-1939), Chalva, Tité (1902-1939), Géronti (1904-1984). Noé (1906-1996). Vincenti (1915-1942) et Mamia (1917-2003). Ce dernier enrôlé comme médecin dans l'Armée rouge, sera fait prisonnier par l'armée allemande et émigrera en France à la fin de la IIe Guerre mondiale, avant d'être envoyé lui aussi en mission clandestine en Géorgie par le gouvernement social démocrate géorgien en exil, en 1949, 1951 et 1953.

(2) Géorgie et France : Noé Ramichvili (1881-1930), président du 1er gouvernement de la Ière République

(3) La Ière République de Géorgie (1918-1921)

(4) Si l'insurrection nationale géorgienne des 28 et 29 août 1924 permet au gouvernement social démocrate en exil d'attirer l'attention des grandes puissances internationales sur le sort de la Géorgie et de différer la reconnaissance de l'URSS, elle ne libère pas le pays : le prix en est lourd, des milliers d'éxécutions sommaires et des milliers de déportations sous la pression de la police politique soviétique, la Tchéka.

(5) Géorgie, Suisse et France : Noé Jordania (1868-1953), président des 2e et 3e gouvernements de la Ière République

(6) Le groupe "Caucase" (1934-1939) et la confédération caucasienne

(7) Un bataillon géorgien, fort de 150 hommes, soldats de métier, mobilisés, volontaires, tous d'origine géorgienne, est formé en mai 1940 à Barcarès dans les Pyrenées Orientales, commandé par le capitaine Georges Odichélidzé, issu de la Légion étrangère française : il est destiné à rejoindre l'armée du général Weygand en Syrie et à participer à l'attaque du Caucase : "Non pour son efficacité numérique, mais pour le choc psychologique qu'il provoquerait sur la population géorgienne occupée par l'URSS".

(8) En 1957, au lieu-dit Le Jubilé à Leuville-sur-Orge (Seine et Oise), après être descendu d'un bus "Phocéens cars" en provenance de Paris, Porte d'Orléans, David Erkomaïchvili s'engage pour traverser la Nationale 20 qui semble dégagée de toute circulation, lorsqu'il est fauché par une voiture qui prend la fuite : il est mortellement blessé. Certains témoignages affirment que la voiture a accéléré avant l'impact, d'autres n'ont rien remarqué de semblable. La gendarmerie ne relève aucune trace de freinage.

(9) Peuvent être cités, les "monarchistes géorgiens", le groupe "Tethri Guiorgui" de Léo Kéresselidzé, l'Union des officiers géorgiens de Guiorgui Kvinitadzé, le groupe des "Conjurés de Géorgie" de Khaïkhosro Tcholokhachvili, le groupe "Caucase", le Parti national démocrate fondé par Spiridon Kédia.

Sources multiples dont

-  "Les combats indépendantistes des Caucasiens entre URSS et puissances occidentales. Le cas de la Géorgie (1921-1945)" de Georges Mamoulia, Paris, L'Harmattan, 2009, basé sur les archives du gouvernement géorgien en exil (BDIC, langue géorgienne), sur les archives du ministère de la Sécurité de la Géorgie (langue russe) et sur les archives du NKVD de l'URSS (langue russe),

-  "Des Géorgiens pour la France, Itinéraires de résistance, 1939-1945" de Françoise et Révaz Nicoladzé, L'Harmattan, 2007,

-  Internet : blog Aimé Blutin,

-  archives familiales.

Voir aussi :

-  Russie soviétique et URSS : les différentes polices politiques, Tchéka, Guépéou, NKVD, KGB



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