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Le Mouvement Prométhée (1926-1939) et la confédération caucasienne


vendredi 18 mars 2011, par Mirian Méloua

La chute de l'Empire russe en février 1917 tient certainement à de multiples facteurs, l'aveuglement du régime tsariste et son incapacité à résoudre les problèmes sociaux, les coups de boutoir de l'Empire allemand, le reveil des nationalités (baltes, biélorusse, polonaise, ukraïnienne, géorgienne, arménienne, azerbaïdjanaise, nord caucasiennes, centre asiatiques, ...) et bien d'autres raisons. Elle a donné à ces nationalités l'espoir de ne plus subir le diktat grand-russien et de bénéficier d'une certaine autonomie au sein d'une vaste Confédération multi-culturelle, voire de l'indépendance.

Le coup d'Etat bolchévique d'octobre 1917 change la donne : à l'impérialisme "blanc" de l'Empire tsariste succède l'impérialisme "rouge" de l'Empire soviétique imposé par la force de son Armée rouge. Le diktat grand-russien est de retour.

Avec l'appui de la Pologne, certains rêvent à la mise en place d'une confédération caucasienne.

La Pologne, qui avait pourtant disparue de la carte de l'Europe au XIXe siècle, résiste à l'URSS. Jozef Pilsudski et ses partisans comprennent qu'il est de leur intérêt de s'allier avec les autres nationalités de l'ex-Empire russe et de les aider à recouvrer leur indépendance : la pression de Moscou en sera ainsi partagée. Les Azerbaïdjanais, les Géorgiens et les Nord Caucasiens qui avaient pu constituer des Etats indépendants en 1918, et dont les gouvernements vivent difficilement en exil depuis l'invasion de leur pays par l'Armée rouge, trouvent ainsi une précieux mentor, diplomatique et financier. Le Mouvement Prométhée est né.

Ce mouvement essaiera d'entraîner d'une part la Turquie, d'autre part les Arméniens, les Ukraïniens et les Turkestanais en exil, sans succès. Ankara considère qu'elle a intérêt à ménager Moscou, ne serait-ce que pour conserver certains acquis (les districts d'Ardahan et d'Artvin par exemple). Les Arméniens sont divisés, ceux dont l'origine se situe en Arménie soviétique et ceux dont l'origine se situe en Arménie "turque" rescapés du génocide de 1915.

L'idée de la Confédération du Caucase -avancée par Aristide Briand dès 1921- réunit, du milieu des années vingt à la fin des années trente, les gouvernements en exil de trois Etats, Azerbaïdjan, Géorgie et Nord Caucase. Elle se concrétise par des infiltrations d'agents en territoire soviétique et des alliances secrètes avec la France et la Grande-Bretagne. Elle prend fin avec l'invasion de la Pologne en 1939.

Le Mouvement Prométhée connait trois centres de gravité géographique,

-  Varsovie d'où les fonds partent, où certains militaires caucasiens se sont réfugiés et ont parfois intégré l'armée polonaise,

-  Constantinople où un grand nombre de civils caucasiens se sont réfugiés ainsi que certains politiques (comme le représentant du gouvernement géorgien en exil Simon Mdivani), où l'ambassadeur de Pologne Roman Knoll est très actif, où des bases aux actions clandestines vers le Caucase peuvent être établies,

-  Paris où certains gouvernements caucasiens en exil siègent.

 

La revue Prométhée (1926-1939)


Elle commence à paraître en français, à Paris, en 1926, à 1000 exemplaires. Son rédacteur en chef en est Georges Gvazava, national démocrate géorgien.

 

Le Comité de l'indépendance du Caucase (1926-1935), à Constantinople


Dès le mois d'octobre 1924, une déclaration d'întention est signée par Khosrobek Soultanov (ancien ministre de la Guerre, dirigeant du Parti "Ittihad"), Abdoul Ali Emirdjan et Cheikh Oul Islamov (ancien ministre de l'Agriculture et du travail, Parti "Himmet") pour les Azerbaïdjanais, par Alexandre Assathiani (Parti national démocrate), David Vatchinadzé (Parti national démocrate) et Mikheïl Tséréthéli (ancien membre du Comité de l'indépendance de la Géorgie, à Berlin, de 1914 à 1918) pour les Géorgiens, par Vassan Guirey Djabagui (ancien ministre des Finances), Alikhan Kantemir (ancien diplomate) et Aitek Namitok pour les Nord Caucasiens.

Elle aboutit à la création du Comité de l'indépendance du Caucase le 15 juillet 1926. Il rassemble pour une même nation des représentants d'obédiences politiques différentes. En sont membres

-  Mamed Emin Rassoul Zadé (ancien président du Conseil national, dirigeant du Parti "Moussavat") et Moustafa Vekilli (ancien vice-ministre de l'Intérieur, Parti "Moussavat") pour l'Azerbaïdjan,

-  Noé Ramichvili (ancien président du Conseil des ministres, Parti social démocrate) (1) et Nestor Magalachvili (ancien membre du Comité de l'indépendance de la Géorgie, à Berlin, de 1914 à 1918) pour la Géorgie,

-  Mouhammad Saïd Chamil (petit-fils du héros nord caucasien) et Alikhan Kantemir pour le Nord Caucase.

Il coordonne l'action de trois Centres nationaux (azerbaïdjanais, géorgien, Nord caucasien) considérés par Varsovie comme des "gouvernements en exil".

Les différences politiques et les rivalités de personne au sein d'une même nation rendent parfois difficile le fonctionnement de cette organisation : elle parvient néanmoins à mener des actions clandestines dans le Caucase à partir de la Turquie (2).

Rapidement les Soviétiques mesurent le danger. Ils demandent aux autorités turques d'expulser les Caucasiens. Ils infiltrent leur police secrète (OGPU) (3) au sein des différentes émigrations, ne se privent pas d'attiser les rivalités ou de faire assassiner des acteurs gênants, comme Noé Ramichvili à Paris en 1930.

 

Le Conseil de la Confédération du Caucase (1935-1939), à Paris


Dès le mois de novembre 1924, une déclaration d'intention est signée par Ali Mardan Bey Toptchibachy (ancien ministre des Affaires étrangères) et par Djeikhoun Hadjibeïli (journaliste) pour les Azerbaïdjanais, par Akaki Tchenkéli (ancien ministre des Affaires étrangères, Parti social démocrate) (4), Noé Ramichvili (ancien président du Conseil des ministres, Parti social démocrate) et Spiridon Kédia (leader du Parti national démocrate) (5) pour les Géorgiens, par Abdoul Medjid Tchermoev (ancien Premier ministre de la République des Montagnards du Nord Caucase) (6), H. Haïdarov et Haïdar Bammate (ancien ministre des Affaires étrangères) (7) pour les Nord Caucasiens.

Ce "comité caucasien" se donne trois objectifs, la restauration des indépendances, l'union militaire et douanière des trois Etats dans une Confédération, l'étude d'une constitution pour cette Confédération.

Après moult rebondissements, en particulier la mise en sommeil du Comité de l'indépendance du Caucase de Constantinople (due aux difficultés provoquées par les autorités turques) (8), cette déclaration d'intention aboutit le 23 février 1935 à la création du Conseil de la Confédération du Caucase.

Il est composé de 12 membres (4 par nationalité) et est présidé par Mamed Emin Rassoul Zadé (ancien président du Conseil national, Parti "Moussavat") pour l'Azerbaïdjan, Noé Jordania (ancien président du Conseil des ministres, Parti social démocrate) (9) pour la Géorgie, Guiry Sounche pour le Nord Caucase. Akaki Tchenkeli est nommé chef de la Commission des affaires étrangères.

Des actions de renseignement et d'activation de cellules de résistance contre l'occupant soviétique sont conduites clandestinement à partir de l'Iran et de la Turquie (10).

L'appartenance des représentants sociaux démocrates caucasiens à la IIe Internationale socialiste irritent les Polonais et les représentants des mouvements nationaux caucasiens. Ainsi Alexandre Assathiani, leader de la dernière tendance des nationaux démocrates encore membre du Centre national géorgien, en démissionne le 22 juillet 1939.

La Pologne est envahie par l'Allemagne et l'URSS le 1er septembre 1939 : le Mouvement Prométhée a vécu.

Notes :

(1) Géorgie et France : Noé Ramichvili (1881-1930), président du 1er gouvernement de la Ière République

(2) Dès mars 1925, Alikhan Kantemir se rend à Kars, David Vatchnadzé dans la région d'Artvin et d'Ardahan, Khosrobek Soultanov en Iran afin d'établir des contacts clandestins avec le territoire soviétique.

(3) Russie soviétique et URSS : les différentes polices politiques, Tchéka, Guépéou, NKVD, KGB

(4) Géorgie et France : Akaki Tchenkéli (1874-1959), homme d'Etat transcaucasien

(5) Géorgie et France : Spiridon Kédia (1884-1948), homme politique

(6) Nord Caucase : "Tapa" Tchermoeff (1882 - 1937), Premier ministre

(7) Nord Caucase : Haïdar Bammate (1890 - 1965), ministre des Affaires étrangères

(8) Fin 1931, 500 réfugiés cherchant à quitter la Géorgie sont capturés par les garde-frontières turcs et livrés aux autorités soviétiques : la plupart sont fusillés.

(9) Géorgie, Suisse et France : Noé Jordania (1868-1953), président des 2e et 3e gouvernements de la Ière République

(10) Chalva Bérichvili est chargé par le Conseil de la Confédération du Caucase (et le Centre national géorgien) de missions clandestines en Géorgie à partir de la Turquie et de l'Iran (1930, 1934, 1936, 1939 en particulier). Il a la responsabilité d'un réseau parmi lequel se trouvent Simon Gogobéridzé, David Erkomaïchvili, Léo Pataridzé. Voir : Géorgie, France et URSS : Chalva Bérichvili (1899-1988), agent secret.

*

Sources multiples

-  Géorgie, bibliographie : histoire, témoignages et romans historiques

-  "Les combats indépendantistes des Caucasiens entre URSS et puissances occidentales. Le cas de la Géorgie (1921-1945)" de Georges Mamoulia, L'Harmattan, Paris, 2009,

-  Archives familiales.

Voir aussi : La Ière République de Géorgie en exil en France.



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