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Le groupe "Caucase" (1934-1939) et la confédération caucasienne


jeudi 17 mars 2011, par Mirian Méloua

La chute de l'Empire russe en février 1917 tient certainement à de multiples facteurs, l'aveuglement du régime tsariste et son incapacité à résoudre les problèmes sociaux, les coups de boutoir de l'Empire allemand, le réveil des nationalités (baltes, biélorusse, polonaise, ukraïnienne, géorgienne, arménienne, azerbaïdjanaise, nord caucasiennes, centre asiatiques, ...) et bien d'autres raisons. Elle a donné à ces nationalités l'espoir de ne plus subir le diktat grand-russien et de bénéficier d'une certaine autonomie au sein d'une vaste Confédération multi-culturelle, voire de l'indépendance.

Le coup d'état bolchévique d'octobre 1917 change la donne : à l'impérialisme "blanc" de l'Empire tsariste succède l'impérialisme "rouge" de l'Empire soviétique imposé par la force de son Armée rouge. Le diktat grand-russien est de retour.

Avec l'appui du Japon et de l'Allemagne, certains rêvent à la mise en place d'une confédération caucasienne.

 

L'initiative des Japonais


Le Japon avait déjà aidé les Caucasiens en 1904 et 1905 : les fonds japonais leur avaient permis d'acheter à l'étranger armes et munitions, et de participer activement aux révoltes au sein de l'Empire russe, L'importance stratégique des ressources de pétrole (80% du pétrole soviétique provenait du Caucase), incitait Tokyo à préparer un plan de déstabilisation de la région en cas de conflit avec Moscou. Les attachés militaires japonais prennent discrètement contact en 1934 avec les différents mouvements nationaux caucasiens afin de les aider dans leur tâche : tout naturellement, il s'oriente vers ceux qui ne participent plus au Mouvement Prométhée, soutenu par la Pologne, la France et la Grande-Bretagne.

Pour les Nord Caucasiens, les Japonais choisissent Haïdar Bammate (ancien ministre des Affaires étrangères de la République des Montagnards du Nord Caucase) (1), qui avait participé au Mouvement Prométhée (2) à ses débuts et éditeur de la revue "Le Caucase" à Paris, qui essaie de rassembler les Montagnards du Caucase du Nord. Il s'entoure d'Alikhan Kantemir (ancien diplomate, ancien du Mouvement Prométhée et résidant en Turquie) et Tambi Elekhoti (ancien officier ayant combattu tour à tour l'Armée "blanche" et l'Armée rouge, résidant à Paris).

Pour les Géorgiens en exil, les Japonais contactent de Mikheïl Tsérétheli (ancien membre du Comité d'indépendance de la Géorgie, à Berlin, de 1914 à 1918) et Alexandre Manvelichvili du groupe "Tetri Guiorgui", Guiorgui Kvinitadzé (3) président de l'Union des officiers géorgiens et Spiridon Kédia (4) fondateur du Parti national démocrate (et qui anime la tendance qui s'est éloignée du Mouvement Prométhée). Ils choisissent Chalva Karoumidzé (ancien représentant en Géorgie du Comité de l'indépendance de la Géorgie à Berlin, de 1914 à 1918), éditeur de la revue "Kdlé" à Berlin, qui essaie de rassembler les émigrés tenant du mouvement national.

Pour les Azerbaïdjanais, Haïdar Bammate fait appel à Khalibek Khasmamed (ancien ministre de l'Intérieur) et Khosrovbek Soultanov (ancien ministre de la Guerre, dirigeant du Parti "Ittihad"), adversaires politiques de Mamed Emine Rassoul Zadé (ancien président du Conseil national, dirigeant du Parti "Moussavat" et du Mouvement Prométhée).

 

La revue "Le Caucase"


L'éditorial est assuré par Haïdar Bammate. Les articles sont signés Spiridon Kédia, Mikheïl Tsérétheli, Victor Nozadzé (ancien social démocrate venu au mouvement national), Chalva Amirédjibi (national démocrate), Zourab Avalichvili : les positions des sociaux démocrates, et du gouvernement en exil, sont vivement critiquées.

L'un des points fondamentaux est de s'assurer de la neutralité de l'Iran et de la Turquie, en reconnaissant les frontières actuelles : cette position éloigne fort évidemment les Arméniens.

La revue connaît des éditions en russe, puis en géorgien, en anglais, en allemand et pour un certain nombre d'exemplaire en turc,

 

Le concours des Allemands


En 1914, l'Allemagne avait déjà soutenu le Comité pour l'indépendance de la Géorgie fondé à Berlin par des opposants géorgiens à l'Empire russe. L'affaire avait même abouti à la constitution d'une Légion géorgienne en Turquie, destinée à se battre en Asie mineure aux côtés des forces allemandes et turques contre les forces tsaristes.

En mai 1918, l'Allemagne avait été l'un des premiers pays à saluer la restauration de l 'indépendance de la Géorgie et à reconnaître le jeune république. A la demande de cette dernière, un contingent militaire allemand avait été envoyé en Géorgie afin de contenir les vélléités frontalières de l'Empire ottoman.

En 1936, en accord avec les Japonais, les Allemands décident à leur tour de s'appuyer sur le groupe "Caucase" afin d'affaiblir l'URSS. Il est probable qu'Alexandre Nikouradzé, conseiller d'Alfred Rosenberg (en charge d'un département de la politique extérieure allemande), joue un rôle essentiel.

Si dès sa création le groupe "Caucase" a pour mission de réfléchir à la mise en place d'une confédération caucasienne, il surveille aussi de près le Mouvement Prométhée. Ce dernier le lui rend bien : publications critiques et fournitures d'information au 2ème Bureau français ne manquent pas.

 

Les actions clandestines


Haïdar Bammate et Guiorgui Kvinitadzé initient une série de missions de renseignement en territoire soviétique.

A la demande des Japonais, des actions de sabotage sont envisagées à Bakou et à Grozny sur les installations pétrolières soviétiques : elles n'aboutissent pas.

En juillet 1938, à partir de l'Iran, -où l'ancien général géorgien Vassili Kargaréthéli apporte un support-, Béjan Guiorgadzé, Mikheïl Nikolaïchvili et Guiorgui Vardiachvili entrent en territoire soviétique par le Nakhitchevan pour une mission de renseignement : ils sont arrêtés par le NKVD (5) trois jours après.

En août 1938, Elizbar Vatchnadzé -groupe "Sakartvelos chépitsoulebi" (Les Conjurés de Géorgie) fondé par Khaïkhosro Tcholokhachvili)- et Samson Krouachvili -ancien officier des garde-frontières géorgiens à la frontière turque- gagnent clandestinement la Turquie à partir de Berlin. Devant les difficultés opposées par les autorités turques, ils dirigent deux émissaires vers l'Adjarie afin de recueillir des informations militaires. Ils apprennent que dans cette région de Géorgie, l'Armée rouge a implanté 10 à 12 000 hommes de troupe, 70 chars, 35 automitrailleuses et 30 avions. Ils disposent également d'une liste d'officiers géorgiens suceptibles d'être recrutés.

Les autorités turques, à la recherche d'un bon voisinage avec les autorités soviétiques, établissent des réglements interdisant aux étrangers de se rendre dans les zones frontalières : le groupe "Caucase" est contraint de rapatrier à Berlin son centre de gravité opérationnel.

En octobre 1938, Samson Krouachvili est à nouveau envoyé en Turquie, cette fois avec Alexandre Soulkhanichvili : accompagné d'Osman Tédoradzé et de Kadir Erkendj Oglu, il entre sur le territoire soviétique et oeuvre à la création de cellules de résistance à Batoumi, Koutaïssi, Tbilissi et Vladikavcaz. La cellule du Nord Caucase est confiée à Noé Mitaïchvili, un Kist des gorges de Pankissi.

En août 1939, Samson Krouachvili et Alexandre Soulkhanichvili repartent en mission en Turquie. Le 2 octobre, Samson Krouachvili et Osman Tédoradzé atteignent la région de Batoumi et remettent des fonds aux cellules de résistance. Dès le lendemain, ils sont pourchassés par le NKVD, retournent en catastrophe en Turquie : Osman Tédoradzé est blessé par balles à la jambe.

Personne ne sait que le NKVD a infiltré le groupe "Caucase" en France, en particulier en la personne de Guiorgui Guéguélia.

 

Le pacte germano-soviétique


Avant la signature du pacte germano-soviétique, le soutien du mouvement national géorgien en exil au groupe "Caucase" s'est considérablement dégradé (6).

Le 23 août 1939, le pacte est conclu entre l'Allemagne et l'URSS : les activités du groupe "Caucase" cessent quelques semaines plus retard.

Haïdar Bommate, à partir de sa base en Suisse, essaie d'intéresser l'Italie à l'indépendance du Caucase, sans succès.

 

Notes


(1) Nord Caucase : Haïdar Bammate (1890 - 1965), ministre des Affaires étrangères

(2) Le Mouvement Prométhée (1926-1939) et la confédération caucasienne

(3) Géorgie et France : Guiorgui Kvinitadzé (1874-1970), général

(4 Géorgie et France : Spiridon Kédia (1884-1948), homme politique

(5) Russie soviétique et URSS : les différentes polices politiques, Tchéka, Guépéou, NKVD, KGB

(6) En 1938, le mouvement national géorgien en exil -les "Monarchistes" avec le prince Bagrationi - Moukhranéli, le groupe "Ornati" avec Victor Nozadzé, le groupe "Kartlossi" avec Chalva Maglakelidzé, le groupe "Momavali", le groupe "Tetri Guiorgui" avec Léo Kéresselidzé, "L'Union des officiers géorgiens" avec Guiorgui Kvinitadzé, le groupe "Sakartvelos chépitsoulebi" fondé par Kaïkhosro Tcholokhachvili, la tendance du Parti national démocrate de Spiridon Kédia, celle d'Alexandre Assathiani (solidaire du Mouvement Prométhée), etc, ...- est loin de soutenir la position du groupe "Caucase" sur les frontières : "Afin de gagner la neutralité de la Turquie, il conviendrait d'entériner celles qui ont été fixées par Lénine et Ataturk et qui feraient perdre des territoires historiquement caucasiens". Seuls "L'Union des officiers géorgiens" et "Sakartvelos chépitsoulebi" accompagneront jusqu'au bout le groupe "Caucase".

*

Sources multiples

-  Géorgie, bibliographie : histoire, témoignages et romans historiques

-  "Les combats indépendantistes des Caucasiens entre URSS et puissances occidentales. Le cas de la Géorgie (1921-1945)" de Georges Mamoulia, l'Harmattan, Paris, 2009,

-  Archives familiales.

Voir aussi :

-  La République des Montagnards du Nord Caucase (1918-1920)

-  La Ière République de Géorgie (1918-1921)

-  La Ière République de Géorgie en exil en France



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