Dette publique : 2/3 des pays de la zone euro hors norme (septembre 2011)
lundi 12 septembre 2011, par Pierre Appruzzel
En 1997, la création d'une union monétaire au sein de l'Union européenne s'est accompagnée d'une recommandation fixant le niveau maximal d'endettement public d'un pays membre à 60 % de son Produit intérieur brut (PIB).
Pourtant, bien avant la crise financiére mondiale de 2008, la France et l'Allemagne ont transgressé la recommandation qu'elles avaient édictée, empruntant encore plus auprès des marchés internationaux (autres Etats disposant de réserves de devises (1), banques (2), assurances, fonds divers) et se sont rendues vulnérables vis-à-vis de leurs créanciers.
D'autres pays -moins solides économiquement- n'ont pas manqué de les suivre, mettant en difficulté toute la zone euro.
Les dettes publiques de 15 des 17 pays de la zone euro
Pour 2011, et avant la restructuration de la dette publique grecque décidée le 21 juillet, le Fonds monétaire international [FMI) prévoyait que
2/3 des pays ne respecteront pas ce critère :
1) Grèce 152,3% (152,5% selon l'OCDE)
2) Italie 120,3% (121,3% selon l'OCDE)
3) Irlande 114,1%
4) Belgique 97,3%
5) Portugal 90,6% (100,7% selon l'OCDE)
6) France 87,6% (84,8% selon l'OCDE)
7) Allemagne 80,1% (83,7% selon l'OCDE)
8) Autriche 70,5%
9) Pays-Bas 65,6%
10) Espagne 63,9% (67,6% selon l'OCDE),
1/3 des pays le respecteront
11) Finlande 50,8%
12) Slovénie 42,3%
13) Slovaquie 45,1%
14) Luxembourg 17,9%
15) Estonie 7,3%.
L'exposition d'un pays membre de la zone euro au risque de faillite ne se résume pas à ce critère : il dépend de sa capacité à rembourser, donc de la vigueur de son économie et de la mise en ordre de son déficit budgétaire.
Le rôle des agences de notation : Fitch, Moody's, Standard & Poor's
Trois agences privées, anglo-saxonnes, quotent les pays emprunteurs selon une notation qui leur est propre et déterminent les taux d'intérêt de ces emprunts sur les marchés internationaux,
quelques pourcents pour les pays à économie solide et en passe de pouvoir rembourser à terme,
dépassant les dix pourcents pour les pays à économie plus fragile, entraînant ces derniers dans le cycle infernal du surendettement et de la faillite.
Le risque systémique pour la zone euro
La mise en faillite d'un Etat de la zone euro signifierait que les créanciers de cet Etat ne seraient pas remboursés et que la confiance créanciers / emprunteurs ne serait plus maintenue. Cette perte de confiance s'étendrait aux autres Etats emprunteurs de la zone euro.
Ce risque, dit systémique (3) car il déclencherait une crise avec toutes les zones monétaires mondiales, pourrait être évité par
la mise place dans le pays concerné de mesures budgétaires drastiques, n'obérant pas sa capacité de remboursement,
un minimum de solidarité des autres pays de la zone euro afin qu'ils s'évitent à eux-mêmes la contagion,
un minimum d'effort des créanciers privés afin qu'ils abandonnent une partie de leurs gains pour sauvegarder les chances de remboursement à terme.
L'accord de Bruxelles du 21 juillet 2011 pour la Grèce
Cet accord répond aux conditions précédentes
mise en place d'un plan de rigueur budgétaire drastique par le gouvernement grec,
reprise d'une partie des dettes publiques de plusieurs Etats de la zone euro en difficulté par la Banque centrale européenne (BCE) -rachat sur le marché "secondaire" (4) de ces dettes publiques à hauteur d'une centaine de milliards d'euros- afin de redonner confiance aux créanciers,
reprise d'une partie de la dette publique grecque creusée auprès de créanciers internationaux par un Fonds européen de stabilité financière -rachat sur le marché "secondaire" (capacité d'intervention de 400 milliards d'euros), diminution des taux d'intérêt et allongement des durées de prêts au profit de la Grèce, et finalement contribution de certains Etats de la zone euro (15 milliards d'euros pour la France, accentuant sa dette publique mais n'aggravant pas son déficit budgétaire),
Analyse du Colisée
Reste que les plans de rigueur budgétaire mis en place, en Grèce, mais aussi au Portugal, en Irlande et en Espagne, sont très lourds car ils introduisent une régression sociale sans espérance de retour à la croissance à court terme. Ils remettent en cause auprès des opinions publiques concernées le dessein européen. Les querelles d'experts entre l'Eurogroupe, la Commission européenne et la Banque centrale européenne, les atermoiements des chefs d'Etat et des chefs de gouvernement de la zone euro au sein du Conseil européen ont encore ajouté à la confusion.
Reste que les marchés financiers internationaux ont anticipé en août et septembre 2011 une dégradation de l'économie européenne suite aux différents plans de rigueur annoncés, rendant leur application plus difficile.
La rigueur budgétaire des Etats devrait être un objectif, et la France n'a pas montré l'exemple ces dernières années. Le rééquilibrage exportation / importation devrait en être un autre. A cet égard la responsabilité de l'Allemagne -fortement exportatrice vers les pays de la zone euro- est grande car elle y creuse indirectement les déficits budgétaires. Son succès économique implique un minimum de solidarité.
La gouvernance européenne est directement mise en cause, mais également "la gouvernance mondiale" des marchés financiers internationaux : elle le restera tant que les Etats-Unis exporteront leur déficit budgétaire par un dollar sous-évalué et la Chine exportera ses biens de transformation grâce à un yuan également sous-évalué.
*
Dans les limites de l'épure européenne, l'essentiel est que les engagements pris par les Etats concernés, le 21 juillet 2011, soient tenus. Il est probable que de nouvelles crises de dette publique toucheront certains pays de la zone euro : les mécanismes mis en place à Bruxelles devront être une nouvelle fois aménagés. La "gouvernance mondiale" des marchés financiers internationaux progresse, elle-aussi, à la faveur des différentes crises. Si le constat n'est pas encourageant, il est réaliste : tant que les intérêts souverains ne sont pas menacés, les Etats ne bougent pas.
Notes
(1) Parmi les Etats disposant de réserves importantes de devises, il convient de citer la Chine (le chiffre de 2000 milliards d'euros est parfois avancé), les pays exportateurs de matières premières (comme la Russie et les pays pétroliers).
(2) Parmi les banques françaises les plus exposées au risque de la dette grecque peuvent être citées le Crédit agricole (présent en Grèce par une filiale issue d'un rachat), BNP Paribas et la Société générale. Ces banques restent généralement discrètes sur les fonds engagés : les médias font parfois référence à plusieurs centaines de millions d'euros, ce qui ne les mettrait pas en danger.
(3) Les créanciers peuvent s'assurer contre le risque de non-remboursement des dettes publiques par des contrats type "Credit Default Swaps" (CDS) proposés par certains organismes sur le marché "dérivé" des dettes publiques. Ces organismes (banques, fonds divers) n'auraient pas la capacité de rembourser leurs assurés en cas de crise systémique.
(4) Au risque direct de non-remboursement des Etats auprès de leurs créanciers (autres Etats, banques, assurances, fonds divers) sur le marché "primaire" des dettes publiques, s'ajoute le risque de non-remboursement des Etats auprès d'organismes qui rachètent sur le marché "secondaire" les dettes publiques auprès des créanciers initiaux.
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