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Géorgie, France et URSS : Serge Tsouladzé (1916-1977), psychiatre et traducteur


vendredi 9 décembre 2011, par Mirian Méloua

Serge Tsouladzé est né en 1916, à Tbilissi, de Marguerite Gordéladzé (1893-1963) et de Basile Tsouladzé (1890-1969) (1), dans une famille originaire de Gourie.

 

L'exil en Turquie


En février 1921, devant l'avancée des armées de la Russie soviétique, sa famille -avec ses soeurs Thamara (2) et Nino- prend le chemin de l'exil à Constantinople. Ses soeurs fréquentent une école de Soeurs religieuses françaises. Serge fréquente une école de Pères catholiques et y apprend la langue française.

En 1924, après l'échec de l'insurrection nationale géorgienne, il voit arriver un nouveau flux d'exilés.

En 1925, la famille part pour Paris : Basile Tsouladzé les rejoint en 1928.

 

L'exil en France


La famille s'installe à Leuville-sur-Orge, à Paris, puis à Sceaux, et à nouveau à Paris : Serge est d'abord pensionnaire à Montlhéry, où il côtoie Véronique Cheidzé -fille du président de l'Assemblée constituante et du Parlement- et Victor Homériki -fils du ministre de l'Agriculture-.

Il rejoint ensuite le lycée Lakanal de Sceaux.

Les études

"Elève frondeur, frôlant l'indiscipline", il s'avère un bon gymnaste et envisagera un temps une carrière professionnelle de football : il joue dans la même équipe que Jacques Chaban-Delmas. Il y est le condisciple d'Akaki Ramichvili, fils du premier président du Conseil des ministres de la Iére République de Géorgie ("président du gouvernement") (3).

Il est exclu, suite à un poème satirique sur l'un de ses professeurs, et fréquente tour à tour les lycées Buffon et Condorcet.

Il obtient son baccalauréat en 1935.

Il entreprend parallélement des études à la Faculté de Médecine et des études de philosophie et d'histoire à la Sorbonne -jusqu'à la licence-.

La littérature

Si, comme beaucoup de jeunes géorgiens de sa génération, il se passionne pour la poésie et écrit, il se tourne vers le surréalisme et fréquente le groupe d'André Breton. Il se lie à différentes époques de sa vie avec des personnalités comme Maurice Nadeau (né en 1911) -homme de lettres, venu du marxisme dans sa variante trotskiste et membre du mouvement surréaliste- ou avec Adolphe Acker (1913-1976) -médecin, également militant trotskiste et membre du mouvement surréliste-.

Tant durant les années Sorbonne, où les groupes antifascistes unissent socialistes et communistes, que durant les années de guerre, la littérature fait partie intégrante de sa vie.

 

La guerre


Il est mobilisé en 1939 dans le Service de Santé qu'il quitte en octobre, pour entrer en Résistance.

Différentes hypothèses sont émises pour motiver cet engagement, le chemin parcouru dans le cadre des comités antifascistes, la déception générée par la politique de non-intervention du gouvernement du Front populaire pendant la guerre d'Espagne, la déportation en 1940 et l'éxécution en 1941, à Chateaubriant, du médecin Maurice Termine parce que communiste.

Selon Françoise et Révaz Nicoladzé (4)

[... Serge Tsouladzé fait partie des "marges de l'Organisation spéciale (OS), branche du PC qui réalisait des attentats et dont les membres se tenaient prêts à aider les combattants en cas de besoins" témoigne Pierre Daix qui a "apprécié, en ces temps difficiles, son courage, sa loyauté, son ouverture et son indépendance d'esprit" ... En 1942, l'OS disparaît, laissant la place aux Francs Tireurs et Partisans (FTP) qui poursuivent le combat armé ...]

[... L'année précédant la Libération, Serge connaît donc "l'intensité du vécu clandestin" et vit, muni de sa fausse carte d'identité (...Jean, Serge, Henri Tavernier ...). Il fait partie du Comité parisien de l'Union des étudiants patriotes (UEP) ...]

[... Un document de novembre 44 témoigne de son combat à partir du 6 juin 1944 : "En service commandé, Serge Tsouladzé participe activement à l'insurrection, depuis le débarquement allié" en Seine-et-Oise. Certificat destiné à justifier l'interruption de ses études durant l'année 43-44 à la Faculté de Médecine et signé Pierre Kast ...]

En 1950, il présente une thèse sur la psychopathologie de la personnalité et devient docteur en médecine.

En 1951, il épouse Madeleine Verdeaux : ils auront quatre enfants, Noutsa, Louka, Guela et Djaba.

 

Le retour en Géorgie


Serge Tsouladzé est né sujet de l'Empire russe, puis a bénéficié en 1918 de la citoyenneté géorgienne pour la perdre en 1921 et devenir apatride : statut qu'il conserve plus de trois décennies.

Le 14 juin 1946, un décret du Praesidium du Soviet suprême de l'URSS permet à "tout sujet de l'Empire russe en date du 7 novembre 1917" d'obtenir la citoyenneté soviétique.

Il en fait la demande, l'obtient mais attend pendant dix ans le visa permettant le retour en Géorgie.

En 1958, il prend le chemin de Tbilissi, avec sa femme et leurs enfants.

Différentes hypothèses ont été émises pour motiver cette décision, l'idéologie (démentie par ses proches) (5), l'appel du pays natal, la volonté de ne jamais se voir traiter d'étranger (à l'image du traitement infligé aux Juifs en France durant la guerre).

La psychiatrie et la psychanalyse

Médecin psychiatre et psychanaliste, il est d'abord chercheur à l'Institut de psychologie Dimitri Ouznadzé, où il travaille avec le professeur Pranguichvili.

De 1961 à 1977, il dirige le département de psychiatrie à l'Hôpital psychiatrique "Assatiani" de Tbilissi.

Il prépare le premier "Symposium international de psychanalyse de l'Union soviétique" -sur l'inconscient-, prévu en 1978 à Tbilissi, mais n'a pas le temps d'y participer.

Il meurt d'une crise cardiaque, le 2 juillet 1977, à Moscou, lors d'un Congrès de psychiatrie.

Comme il sera écrit plus tard [...Il y eut en Géorgie, d'autres ouvertures surprenantes. Serge Tsouladze, un psychiatre venu de France, tente dans les années 60 de briser le tabou qui entoure la psychanalyse depuis la fin des années vingt ...] (6)

Le passeur de langue française et de culture géorgienne

Il traduit en français,

-  "Le martyre de Chouchanik" de Jacob Tsourtavéli,

-  "Le martyre d'Abo Tbiléli" de Ioné Sabanisdzé,

-  des parties de la "Tamariani" de Tchakhroukhadzé,

-  "Le chevalier à la peau de tigre" de Chota Roustavéli, avec le concours du professeur Noutsoubidzé, et reçoit en 1964 le Prix Langlois de l'Académie française.

Il publie également

-  en 1964, un essai en français, "Connaissance de Roustavéli",

-  en 1982, à titre posthume, une anthologie consacrée à "La Poésie géorgienne Ve au XXe siècles".

La revue "Lettres soviétiques" (Oeuvres et Opinions, numéro 222) publiera à titre posthume, à Moscou, en juillet 1977, un article dans lequel il écrit :

[ ... Comment pourrait-on concevoir de véritables échanges culturels entre les peuples, j'entends des échanges qui soient faits davantage réciproques, de ceux où chacun reçoit et donne également, comment pourrait-on les concevoir si l'art de la traduction ne figurait pas en bonne place dans le commerce des valeurs spirituelles les plus importantes ?

Cette règle ou clause a été fort heureusement mis en application dans le cas des relations depuis longtemps établies entre la France et la Géorgie, puisque les oeuvres les plus importantes de la littérature française ont été au fur et à mesure traduites en géorgien à partir du début du XIXème siècle, dès qu'eut été de façon suivie et par la médiation de la Russie, renoué le fil ancien des relations qui dataient des croisades, et qui avait été brisé par l'éffondrement de Byzance ...] (7).

 

Notes


(1) Basile Tsouladzé, dit "Vasso", secrétaire du Parti ouvrier social démocrate de Géorgie en charge des finances, opposé aux bolchéviks, député, signataire de la Constitution de la Ière République de Géorgie, devient vice-ministre au Travail et au ravitaillement dans les gouvernements de la Ière République de Géorgie (1918-1921). Il émigre à Constantinople de 1921 à 1928, année d'expulsion des éxilés géorgiens par les autorités turques sous pression des autorités soviétiques. Il recense, auprès de l'ex-ambassadeur de Géorgie en Turquie, Simon Mdivani, le flux des réfugiés géorgiens qui fuit le régime soviétique. Il vit difficilement le retour de son fils en Géorgie.

(2) Sa soeur Thamara Tsouladzé, née le 11 avril 1918 à TBilissi, épouse Tarassachvili, tient durant 25 ans une galerie d'art à Paris, la galerie Darial, où étaient exposées les oeuvres de la peintre géorgienne Vera Pagava (1907-1988).

(3) Voir :

-  Géorgie, Russie et France : Nicolas Chéidzé (1864-1926), homme d'État russe et géorgien

-  Victor Homériki (1910-1994), ancien président de l'Association géorgienne en France

-  Géorgie et France : Noé Ramichvili (1881-1930), président du 1er gouvernement de la Ière République.

(4) "Des Géorgiens pour la France", pages 108, 110 et 111.

(5) Le témoignage de Madeleine Riffaud, résistante au Comité santé du Front national sous la responsabilité de Serge Tsouladzé, avant de rejoindre la clandestinité des FTP, laisse place à interprétation : [... Nous savions qu'il était Géorgien et comme nous avions un culte pour le futur vainqueur de Stalingrad, l'idée d'avoir un chef soviétique nous galvanisait ...]. Le témoignage de Jean-Pierre Vernant, condisciple à la Sorbonne, laisse penser que Serge Tsouladzé songeait à retourner en Géorgie dès 1936. ("Des Géorgiens pour la France", pages 109 et 103).

(6) Forum civique européen.

(7) L'extrait de la revue "Lettres soviétiques" est cité dans la préface de l'"Anthologie de la poésie géorgienne Ve-XXe siècles".

*

Sources multiples :

-  archives familiales,

-  "Des Géorgiens pour la France. Itinéraires de résistance 1939-1945" de Françoise et Révaz Nicoladzé, Editions L'Harmattan, Paris, juin 2007,

-  "Anthologie de la poésie géorgienne Ve-XXe siècles" de Serge Tsouladzé, Editions Ganatleba, Tbilissi, 1982,

-  Office des réfugiés géorgiens (par OFPRA),

-  Websites, dont Patrimoine littéraire européen (anthologie en langue française, volume 13 par Jean-Claude Polet, page 576, communication de Gaston Bouatchidzé, 1987) et Forum civique européen (Jean-Marie Chauvier, "Géorgie, un paradis perdu", 22 avril 2004).

Remerciements à Elisso Tarassachvili, nièce de Serge Tsouladzé pour sa contribution.



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