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Géorgie, Turkestan, Suisse, Ukraine, Roumanie et France : Sossipatré Assathiany (1876-1971), directeur de l'Office des réfugiés géorgiens


mardi 26 mars 2013

Sossipatré Assathiany est né le 8 septembre 1876 (1) à Dgnorissa, district de Letchkhoumi (Géorgie), d'Edith et de Samson Assathiany, dans une famille aisée.

Il effectue ses études secondaires au lycée de Koutaïssi, puis rejoint l'Ecole d'agriculture de Kichinev, en Bessarabie (Moldavie actuelle).

Il se mariera une première fois en Géorgie avec Olga Guelovani : ils auront une fille, Paraskevi, dite Dodona (1903-1970). D'une deuxième union, à Genève, avec Sarah Koutik, ukrainienne, (1892-1966), il aura trois enfants, Roland (1910-2008) (2), Lucette (1921-1995) et Mireille (née en 1927) (3).

 

L'opposition à l'Empire russe, la prison et l'exil en Suisse


En 1903, il s'engage clandestinement au sein du Parti ouvrier social-démocrate de Russie. Il est arrêté à plusieurs reprises, notamment après avoir détruit au revolver un portrait du tsar Nicolas II, et est exilé au Turkestan pour une année.

Il revient à temps pour la révolution de 1905, y prend part et est à nouveau arrêté et incarcéré à Koutaïssi. Connaissant sa future destination, la Sibérie, il décide de creuser un souterrain avec plusieurs détenus et de s'échapper. Il parvient à ses fins. Pourchassé une nouvelle fois par les gendarmes russes, il se réfugie un temps au monastère de Guélati, puis prend le chemin de l'exil, passager clandestin d'un bateau de la compagnie Paquet voguant de Batoumi à Marseille.

Courant 1908, il atteint Genève, refuge des proscrits politiques, et y retrouve des camarades de lutte, dont David Charachidzé (4). Il s'inscrit à l'Université et obtient une licence de droit.

 

Le retour en Géorgie, les missions diplomatiques


En 1917, il revient à Tbilissi après huit années d'exil et un long périple par l'Allemagne et la Russie en guerre, et participe au développement de la Ière République de Géorgie.

Fin 1917, il est nommé gouverneur de deux provinces de la Géorgie occidentale.

En 1918, il devient chef de la mission diplomatique géorgienne en Ukraine, puis en Roumanie.

En 1919, il fait partie, aux côtés de Nicolas Cheïdzé et d'Irakli Tsérétéli, de la délégation géorgienne à la Conférence de la Paix de Paris.

 

L'opposition au régime soviétique et l'exil en France


La Légation géorgienne

Le 27 janvier 1921, la France reconnaît de jure la Ière République de Géorgie (5). Une Légation géorgienne est ouverte à Paris : Sossipatré Assathiany, en est nommé Premier secrétaire et en devient ensuite le Chargé d'affaires.

En février, les armées de la Russie soviétique envahissent la Géorgie. La classe politique se réfugie d'abord à Constantinople, puis en France. La Légation géorgienne reste le dernier symbole de l'indépendance.

L'Office des réfugiés géorgien

Le 16 mai 1933, la signature du pacte de non-agression entre l'URSS et la République française a pour conséquence la fermeture de la Légation de Géorgie. Elle est remplacée par un Office des réfugiés géorgiens, organisme reconnu par le ministère français de Affaires étrangères : il a pour mission de délivrer des pièces administratives d'identité et de voyage aux apatrides géorgiens. Sossipatré Assathiany en est nommé directeur.

La période mouvementée de la guerre et de l'immédiat après-guerre

En 1942, après la fermeture des Office de réfugiés et la création d'un Bureau des apatrides avec délégation pour les territoires occupés (6 Cité Martignac, Paris VII) par les autorités de Vichy, Sossipatré Assathiany intervient au titre des réfugiés géorgiens.

En paralléle, les autorités allemandes créent un Office des réfugiés caucasiens dont la section géorgienne est confiée à un émigré géorgien ayant vécu en Allemagne, Sacha Korkia. [... Dès octobre 1940, Adrien Marquet (ancien membre de la SFIO et de la délégation socialiste ayant visité la Géorgie en 1919, ministre du maréchal Pétain), informe Evguéni Guéguétchkori (6) du danger qui menace les juifs géorgiens exilés en France. Quelques mois plus tard, Michel Kédia (homme politique géorgien en exil, proche des autorités allemandes) (7) est sollicité pour une intervention. En juillet 1941, Ferdinand de Brinon (ambassadeur et délégué général du gouvernement de Vichy à Paris) fait exempter officiellement par ordonnance les juifs géorgiens de l'enregistrement et du tampon "JUIF" sur les papiers d'identité...]

Un trio, hors structures officielles, composé de Sossipatré Assathiany, Sacha Korkia et Joseph Eligoulachvili (représentant de la communauté juive d'origine géorgienne en France) (8) oeuvre afin "d'élargir" le champ d'application de la mesure d'exception : il sauve 243 familles juives de la déportation en leur délivrant des "certificats d'authenticité de nationalité géorgienne", dont une bonne part est originaire d'Espagne, des Balkans, d'Iran et du Turkménistan et dont les patronymes ont été "géorgianisés" (9).

En février 1943, Sossipatré Assathiany est arrêté, sur dénonciation, par les autorités allemandes et conduit au fort de Romainville, d'où il sera libéré un mois et demi plus tard grâce à l'intervention de Sacha Korkia.

En avril 1943, sa femme Sarah sera arrêtée à son tour et conduite au camp de Drancy, d'où elle sera libérée également grâce à l'intervention de Sacha Korkia.

En 1945, avant même le rétablissement des Offices de réfugiés par les autorités françaises, il reprend ses missions d'avant-guerre dans le cadre du Conseil géorgien des réfugiés.

A partir de janvier 1947 et jusqu'en décembre 1951, il oeuvre comme conseiller technique auprès de l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR) créée par les Nations unies.

L'OFPRA

De janvier 1952 à septembre 1952, période séparant la fin de mission de l'OIR et la mise en place d'un organisme français de protection des réfugiés, il milite activement aux côtés de Vassili Maklakof et de Mentor Bouniatian (10), en particulier, pour accélérer la décision de création de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Il intègre ensuite l'OFPRA, où il prend la responsabilité de la section géorgienne jusqu'en 1958.

Le dernier repos à Leuville

Il meurt en 1971 : il repose auprès de sa femme Sarah (1892-1966) au "carré géorgien" du cimetière communal de Leuville-sur-Orge, lieu symbolique du combat des Géorgiens de sa génération.

Mirian Méloua

 

Notes


(1) L'année de naissance de Sossipatré Assathiany n'est pas connue avec exactitude : 1876 sur sa pierre tombale, 1879 selon son fils Roland dans son autobiographie, 1881 à l'OFPRA. Cette imprécision est attribuée au fait qu'il a voyagé sous de fausses identités, changeant d'Etat-civil.

(2) Roland Assathiany (1910-2008), militant au service de l'éducation spécialisée, d'origine géorgienne.

(3) Mireille épousera Jacques Moreau, et après une carrière à l'UNESCO rejoindra la CIMADE.

(4) Géorgie, Suisse et France : David Charachidzé (1885-1935), député et journaliste

(5) La reconnaissance par la France de la Ière République de Géorgie est annoncée par une lettre d'Aristide Briand à Evguéni Guéguétchkori.

(6) Géorgie et France : Evguéni Guéguétchkori (1881-1954), homme d'Etat transcaucasien

(7) Géorgie, Allemagne, France et Suisse : Michel Kédia (1902-1952), homme politique

(8) Géorgie et France : Joseph Eligoulachvili (1890-1952), figure de la communauté juive

(9) Le 16 octobre 1944, le Grand Rabbin, au nom du Consistoire de Paris, écrit la lettre suivante au gouvernement géorgien en exil : ... J'ai été informé par Monsieur Joseph Eligoulachvili de la sollicitude et de la générosité que vous avez bien voulu témoigner à vos compatriotes de religion juive. Grâce à vos bons offices, ils ont été préservés, au cours des quatre années d'occupation, des pénibles conséquences de l'application des lois raciales. Je sais la profonde gratitude qu'ils conservent pour vous. J'ai à coeur, au nom de la communauté israélite de paris, de m'associer aux sentiments qu'ils éprouvent pour votre grande bonté et votre esprit de justice. ....

(10) Vassili Maklakof était président de l'Office central des réfugiés russes en France (organisme qui coiffait trois offices à Paris, Marseille et Nice). Mentor Bouniatian, Arménien de Géorgie et ancien professeur d'économie à l'Université de Tiflis, était directeur de l'Office central des réfugiés arméniens issu de la fusion de plusieurs offices et comités. Au premier semestre 1952, un vif débat parlementaire oppose en France les partisans d'un organisme international ayant une vision globale des réfugiés d'Europe de l'Est (Daniel Mayer en particulier) et les partisans d'un organisme national plus près des réalités du terrain (Robert Schuman et Maurice Schumann en particulier). Un compromis est adopté : le débat décale la date de création de l'OFPRA.

 

Sources


-  entretiens avec Mme Mireille Moreau Assathiany, fille de Sossipatré Assathiany,

-  archives familiales,

-  archives de l'Office des réfugiés géorgiens,

-  archives de l'OFPRA,

-  "Des Géorgiens pour la France. Itinéraires de résistance. 1939-1945" de Françoise et Révaz Nicoladzé, Editions l'Harmattan, Paris, juin 2007,

-  "Les combats indépendantistes des Caucasiens entre URSS et puissances occidentales. Le cas de la Géorgie (1921-1945)" de Georges Mamoulia, Editions l'Harmattan, Paris, juillet 2009.

-  "Roland Assathiany. Un militant de l'éducation spécialisée" de Martine Ruchat et Alain Vilbrod, Editions L'Harmattan, Paris, 2011.

 

Voir aussi


-  La Ière République de Géorgie (1918-1921)

-  La Ière République de Géorgie en exil en France

-  La Légation géorgienne en France, l'Office des réfugiés géorgiens, le Bureau des apatrides, le Conseil géorgien pour les réfugiés et l'OFPRA .

 

Remerciements


A Mireille Moreau Assathiany, à Aline Angoustures (Chef de la Mission histoire et exploitation des archives de l'OFPRA) et à Claire Mouradian (directeur de recherches à l'EHESS).



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