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XIII) Les émigrations géorgiennes vers la France : perspectives


vendredi 23 novembre 2012, par Mirian Méloua

Treizième partie du Dossier : les émigrations géorgiennes vers la France au XXème et au XXIème siècles (2012).

-  Une communauté géorgienne divisée en « communautés géorgiennes »

-  Un flux migratoire géorgien faible vers la France, mais qui n'a aucune raison de s'estomper

-  Des perspectives difficiles à extrapoler à partir du passé.

 

Une communauté géorgienne divisée en « communautés géorgiennes »


Divisée par la date d'immigration en France (années 1920, années 1940, années 1990 et années 2000), divisée selon l'obédience politique (sociale démocrate ou nationale démocrate, voire sociale fédéraliste / zviadiste ou antizviadiste / favorable à la Révolution des Roses ou défavorable), divisée par la religion (athées, agnostiques, musulmans, juifs, fidèles de la Paroisse Sainte Thamar ou fidèles de la Paroisse Sainte Nino), divisée par la nationalité (ex-apatride, nationalité française, double nationalité, nationalité géorgienne en règle avec la législation française, nationalité géorgienne en attente de régularisation française), divisée par le destin recherché (intégration définitive à la société française, séjour professionnel de moyenne ou longue durée, survie économique grâce aux aides sociales, etc.), divisée par la langue et par bien d'autres facteurs, la communauté géorgienne en France n'est plus « une », elle est devenue « plurielle ». Il convient de parler aujourd'hui « des communautés géorgiennes » en France.

La division par l'interprétation de l'Histoire

Les plus anciens facteurs de division concernent l'interprétation historique de la Ière République de Géorgie (1918-1921), celle de l'insurrection nationale de 1924 et celle des activités de lutte contre le régime soviétique à partir de l'étranger (Mouvement Prométhée, Groupe Caucase, IIème guerre mondiale). S'il convient de laisser l'Histoire aux Historiens, les images renvoyées sont parfois singulières.

Elles ressemblent à des petits arrangements comme l'affirmation de l'existence d'une présidence de la République. En 1926, lors du suicide du président de l'Assemblée constituante géorgienne à Leuville-sur-Orge, la presse française titrait « L'ancien président de la Géorgie s'est suicidé », à tort. Selon une autre source, un comité (dont le lieu, la date et la représentativité restent à préciser) aurait attribué le titre de président de la République au dernier président de Gouvernement, en exil, de son vivant. Malkhaz Matsabéridzé, constitutionnaliste, professeur à l'Université d'Etat Ivané Djavakhichvili démentait à Tbilissi, en mai 2011 : ... « l'institution du président de la République était considérée comme inappropriée pour le développement de la démocratie » ... [et n'existait pas dans la Constitution de la Ière République de Géorgie].

Elles ressemblent surtout à de grands arrangements, comme la négation du poids historique des différentes obédiences ayant contribué à la restauration de l'indépendance (regroupées dans les deux premiers gouvernements d'union nationale de la Ière République), ou à propos de l'infiltration soviétique au sein de l'émigration (attestée par les archives récemment ouvertes).

La division sur l'avenir de la propriété d'exil de Leuville-sur-Orge

Depuis deux décennies, l'avenir de la résidence d'exil des hommes politiques de la Ière République de Géorgie en France -propriété de droit privé mais achetée avec l'argent réputé public, appartenant aujourd'hui aux héritiers et aux mandataires des sept porteurs de part initiaux de la société civile immobilière « Le Château de Leuville-sur-Orge »- est un facteur de division.

Si les comités se sont succédés, si le principe du retour à l'Etat géorgien a maintes fois été réaffirmé, il n'a jamais été conclu.

Le mémorandum signé en mai 2011 avait pour objectif d'aboutir à un accord en mai 2012, après implication de la société civile immobilière, des autorités françaises et des autorités géorgiennes.

Il n'est pas certain que le changement de majorité parlementaire d'octobre 2012, en Géorgie, accélère l'avancement du projet.

-  Géorgie : Le château de Leuville, un avenir difficile à dessiner (2005)

-  Signature du mémorandum de dévolution de la résidence d'exil de la Ière République de Géorgie (2011).

La division par la religion

Le plus récent facteur de division est l'ouverture de la Paroisse Sainte Thamar de Villeneuve-Saint-Georges (et de son église) rattachée directement à l'Eglise orthodoxe, apostolique et autocéphale de Géorgie, donc hors Assemblée des Evêques orthodoxes de France contrairement au droit canon.

À l'exemple de l'Eglise orthodoxe et autocéphale de Serbie, ainsi que de celui de l'Eglise orthodoxe et autocéphale de Russie, l'Eglise de Géorgie profite de la faiblesse du Primat de Constantinople -contraint par les autorités turques- et développe un prosélytisme actif hors de son territoire géographique.

Si la récente ouverture de la Paroisse Sainte Thamar à Villeneuve-Saint-Georges s'est effectuée avec l'accord des autorités civiles françaises, elle marque une fracture importante entre ses fidèles (généralement en France depuis les années 1990 et 2000) et les fidèles de la Paroisse Sainte Nino de Paris (généralement issus des émigrations antérieures et rejoints par une partie des émigrés d'aujourd'hui).

Voir :

-  La Paroisse orthodoxe géorgienne Sainte Thamar de Villeneuve-Saint-Georges (et son église)

-  Paroisse géorgienne Sainte Nino de Paris : communication relative à la visite d'Ilia II en France (2009)

-  Les rapports entre la diaspora géorgienne et l'Eglise de Géorgie, histoire et "controverse" actuelle (février 2010).

La division par les institutions fédératives

Contrairement à la période qui a suivi la Révolution des Roses, durant laquelle toutes les espérances étaient permises, « les communautés géorgiennes » en France supportent aujourd'hui de manière contrastée une Géorgie officielle fracturée par la cohabitation politique.

Les efforts des équipes successives de l'ambassade de Géorgie auprès de la dizaine d'associations franco-géorgiennes ont été réels. Les efforts du ministère d'Etat géorgien aux Diasporas -dont le titulaire a longtemps été germanophone et germanophile et qui avait perdu son seul élément francophone- sont restés lointains. Les dégustations de « khatchapouri » et de vin de Kakhétie ont leurs limites.

Les missions prioritaires des représentants de la Géorgie officielle d'aujourd'hui sont la promotion de la politique des autorités de Tbilissi, quitte parfois à instrumentaliser l'émigration géorgienne en France : peut-il en être autrement ? Tout au plus serait-il attendu qu'ils n'exacerbent pas les tensions.

L'Association géorgienne en France possède la légitimité historique pour rassembler : elle peine à le faire comme à d'autres époques. Encore faudrait-il que les différentes composantes de ces « communautés géorgiennes » en aient le souhait.

En contre-point aux missions de ces deux institutions fédératives, il convient de mentionner l'indifférence à l'esprit communautaire (une sorte « d'individualisme à l'occidentale » que la crise mondiale accentue) et l'esprit partisan (voire le « clanisme » que les Géorgiens savent souvent cultiver).

Des divisions, somme toute, traditionnelles aux émigrations

À en croire les universitaires français en charge de ces questions, la distanciation et la division ne sont pas des facteurs spécifiques à la diaspora géorgienne. De tels phénomènes existent depuis longtemps au sein des diasporas arméniennes et russes en France : ils ont certainement été retardés par la petite taille de l'émigration géorgienne et par les espérances soulevées par la Révolution des Roses.

 

Un flux migratoire géorgien faible vers la France, mais qui n'a aucune raison de s'estomper


A l'échelle macro-économique, tant que le revenu moyen par habitant en Géorgie reste bas (600 euros par an en 2002, 6 fois plus aujourd'hui, à l'inflation cumulée près), l'attirance pour les pays voisins à revenus supérieurs comme la Russie ou la Turquie, ou l'Union européenne, trouve justification.

A l'échelle individuelle « le vent du large » souffle pour les jeunes citoyens du XXIème siècle, surinformés par les réseaux sociaux et pour qui les filières d'émigration à l'ancienne sont obsolètes. Pour cette population, éduquée et maîtrisant la langue anglaise, jouer avec les règlements européens (et nationaux) et aboutir à un meilleur destin personnel, est fondamental.

La Russie, aujourd'hui repoussoir de l'émigration géorgienne

Avant même la guerre russo-géorgienne d'août 2008, la Russie avait rétabli les visas pour les Géorgiens, sauf pour les Ossètes du Sud et les Abkhazes. Malgré les centaines de milliers de Géorgiens et de Russes d'origine géorgienne vivant sur le territoire russe, l'apaisement des relations entre la Russie et la Géorgie n'est pas pour demain. Si la volonté géorgienne d'adhérer à l'OTAN semble à l'origine des tensions, l'évolution de la situation du Nord Caucase devient un facteur supplémentaire de complication. Il est vraisemblable que les émigrations à venir continueront à peu s'effectuer vers la Russie, ne serait-ce que pour une question linguistique : la langue russe se perd sur le territoire géorgien.

La Turquie, pays de transit pour l'émigration géorgienne

La Turquie, premier partenaire économique de la Géorgie, attire peu les jeunes générations géorgiennes. Elle est avant tout une plaque tournante de l'immigration clandestine vers l'Union européenne (par la Grèce) et un relai de transports aériens -à moindre coût- vers les capitales européennes.

L'Union européenne, cible de l'émigration géorgienne

L'Union européenne prépare sa politique de voisinage vers l'Est : elle se dote d'un arsenal réglementaire et budgétaire susceptible de mieux contrôler les flux migratoires. Pourtant, l'un des objectifs affiché de son Partenariat oriental est la libre circulation des hommes. La réticence des pays adhérents aux accords de Schengen est forte, compte tenu des traumatismes des opinions publiques nationales.

Elle reste néanmoins, avec les Etats-Unis, la cible d'émigration pour les jeunes générations géorgiennes qui ont grandi avec l'espoir de l'intégration européenne et avec le drapeau européen jouxtant le drapeau géorgien.

Les facteurs d'incitation à l'émigration géorgienne vers la France

Les gouvernements français cherchent depuis une dizaine d'années à mieux contrôler l'immigration : encadrement de l'accueil des étrangers en court séjour, limitation du nombre d'étudiants étrangers restant en France après leurs études, limitation du nombre de professions pour lesquelles l'offre nationale est réputée déficitaire et pouvant accueillir des étrangers, limitation du droit d'asile, accélération de la reconduite à la frontière des immigrants clandestins.

Au-delà des effets d'annonce, ces dispositions se traduisent sur le terrain. La majorité présidentielle parvenue au pouvoir en mai 2012, ne semble pas les changer fondamentalement.

Pourtant, outre la présence sur le territoire français de « communautés géorgiennes », outre l'existence sur le territoire géorgien d'écoles françaises (Ecole Brosset par exemple), outre la traditionnelle coopération universitaire franco-géorgienne, l'ouverture en 2010 d'un lycée français (l'Ecole française du Caucase à Tbilissi, forte de 300 élèves), la langue française pourrait devenir un facteur supplémentaire d'incitation à l'emigration vers la France.

Alors que la langue russe régresse dans cette partie du monde, alors que la langue anglaise gagne pratiquement toutes les écoles secondaires, il n'est pas inintéressant de constater que la langue française s'y maintient (population francophone de 50 000 à 100 000 personnes selon les niveaux). Faut-il s'en plaindre ? L'Ambassadeur de France en Géorgie, nommé début 2012, Renaud Salins, en a fait une priorité.

Voir :

-  France : nouvelles dispositions au 1er juin 2009 pour les visas long séjour (cas des ressortissants géorgiens)

-  Dispositions des autorités françaises en matière d'expulsion des immigrés clandestins (2005)

-  Géorgie, le mot de l'ambassadeur de France (juin 2012) .

 

Des perspectives difficiles à extrapoler à partir du passé


Durant les précédentes décennies, la plupart des pays en voie de développement n'ont pas réussi à juguler l'évasion des cerveaux et des bras sans lesquels la reconstruction d'un pays est difficile : pourquoi la Géorgie y parviendrait ?

En février et mars 2004, le leit-motiv de Mikheïl Saakachvili avait été d'encourager le retour des diasporas géorgiennes d'Allemagne, des Etats-Unis et de France. La réponse a été négative, même si les statistiques géorgiennes officielles avançaient dernièrement un léger mieux.

En place depuis octobre 2012, le nouveau Premier ministre, Bidzina Ivanishvili, et sa nouvelle majorité parlementaire, changeront-ils la donne sur le plan émigration ? Rien n'est moins certain. C'est pourtant l'un des défis des pouvoirs politiques géorgiens.

À moyen terme, aucune analyse ne permet de dire que le flux d'émigration géorgienne vers la France diminuera.

Quantifiable annuellement à quelques centaines de personnes, il devrait toucher

-  en priorité une population qualitativement formée (prête à une déclassification professionnelle pour rejoindre le territoire français),

-  dans une moindre mesure une population se réclamant encore des situations sud ossète et abkhaze, voire de la minorité yézide, afin d'obtenir un droit d'asile.

Non quantifiable, car elle constitue un sous-ensemble du flux tournant au sein de l'espace Shengen, l'immigration clandestine géorgienne (entrant autrefois par la Pologne, aujourd'hui par la Grèce et demain par tout autre maillon faible), ne devrait logiquement pas diminuer.

Finalement, le XXème siècle a illustré que l'intégration des émigrés politiques géorgiens à la société française s'est trouvée favorisée par la longévité du régime soviétique et qu'elle a été conforme au modèle souhaité par la République française.

L'intégration des émigrés économiques géorgiens de la fin du XXème et du début du XXIème siècles relève d'un autre modèle que la République française tarde peut-être à définir (comme pour toutes les autres immigrations). Les intéressés vivent d'ailleurs leur situation comme relevant plus « d'une bi-nationalité » que d'une citoyenneté française pleine : l'épreuve du temps permettra de dire si elle a réussi.

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