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La noblesse géorgienne


vendredi 1er novembre 2013, par Nicolas Tchavtchavadzé

Extraits par le Colisee de "L'Ordre de la Noblesse", volume premier, familles d'Europe enregistrées in Ordine Nobilitatis, du 1er janvier 1977 au 30 juin 1978, dont l'auteur pour la Géorgie est Nicolas Tchavtchavadzé (édité par Jean de Bonnot).

Un retour très rapide vers les premiers temps historiques de la Géorgie -ceux qui ont précédé l'instauration au IIIe siècle avant J.-C. du premier roi d'Ibérie retenu par les annales, Pharnaoz Ier- est nécessaire pour discerner l'originalité de la structure sociale, et plus tard, de la féodalité géorgienne.

 

L'ancienneté des structures patriarcales


Les clans : le titre de roi n'est apparu, en effet, que vers le IIIe siècle avant notre ère. Ce titre, mépé, contraction de mé upali, littéralement « moi-seigneur » ou « seigneur par moi-même », fut précédé du terme mamasakhlisi, longtemps en vigueur en Géorgie, désignant le chef de famille, puis par extension le chef de clan ou bien, si l'on tient au mot à mot : « le père de la maison ». La langue géorgienne semble être la seule au monde où le vocable mama évoque le père et non la mère ! La Géorgie connut donc, dès son origine, la structure patriarcale des clans. Toutes les familles (gvari), regroupées en clans, avaient à leur tête des chefs de famille, sortes d'autocrates qui, au fil de l'histoire et de l'évolution des fusions tribales, constitutèrent la base de l'aristocratie géorgienne de l'Antiquité. Le premier d'entre eux, le chef de la maison gouvernant Mtskhéta, l'ancienne capitale de la Géorgie, se faisait appeler méupémamasakhlisi avant que ne survienne l'instauration de la royauté.

D'après les anciennes chroniques, Pharnaoz Ier, luttant contre le pouvoir des mamasakhlisi locaux, nomma huit éristavni à la tête de huit grandes régions. Ces grandes régions dont le nombre, la dimension et les titulaires évoluèrent constamment, se transformèrent, quelques siècles plus tard, en principautés vassales du roi de Géorgie.

Les éristavni : le terme éristavi porte à l'origine deux significations que les linguistes ne réussissent pas à démêler. Il signifie à la fois tête (tavi) de l'armée et/ou du peuple (éri). Eri veut bien dire peuple en géorgien, mais ainsi que le rappelle G. Charachidzé dans son ouvrage sur la féodalité, « le composé éris-tavi n'est attesté dans l'Evangile qu'au sens de « chef d'armée ». Cela prouverait peut-être que, dès l'origine, connaissant les aptitudes guerrières des Géorgiens, la confusion entre les notions de peuple et d'armée n'était pas fortuite.

En plus des huit éristavani, le roi Pharnaoz Ier institua la fonction de spaspeti, second du royaume et commandant en chef, ayant pouvoir sur tous les éristavni. Ceux-ci, à leur tour, commandaient des spasalari et des chiliarques chargés de couvrir les places fortes du territoire et de récolter les impôts. Cette organisation de Pharnaoz, calquée sur le modèle perse, sera conservée tant bien que mal au travers des différentes invasions, jusqu'au VIe siècle après J.-C.

 

VIe siècle : trois classes de princes, « mtavari » ou « mépé », « éristavt-mtavari », « éristavt-éristavi »


Dès le VIe siècle, il semble que les éristavni, après avoir occupé des fonctions de chef d'armée, puis de gouverneur de province (pitiakhch) se transformèrent petit à petit en véritables princes autonomes.

Le professeur G. Charachidzé situe l'acte de naissance des principautés en 570, l'année où la Perse abolit complètement la royauté géorgienne, à la mort du roi Bakou. Préférant « diviser pour mieux régner », les Perses reconnurent les droits héréditaires des princes qui s'engagèrent à leur tour à payer tribut à leurs nouveaux « patrons » (au sens féodal du terme géorgien patronqmoba, dérivé de l'expression latine patronus). Dans le même temps, l'affaiblissement des Sassanides persans à la fin du Vie siècle permit à Byzance de progresser vers l'Est. Les princes géorgiens de l'époque réagirent immédiatement en s'empressant de faire reconnaître et confirmer auprès de leurs nouveaux maîtres les privilèges acquis avec les Perses. Ce qui fut fait. La chronique géorgienne mentionne les difficultés rencontrées à cet égard par le premier roi bagratide, Gouram le Curopalate (575-600) : « il (Gouram) régnait en bonté et sans désordre. Mais il ne put mouvoir les princes géorgiens (karthliens) de leur principautés, car ils tenaient du roi des Perses et du roi des Grecs des chartes pour l'hérédité de leurs principautés, mais ils étaient soumis à Gouram le Curopalate ».

Le renforcement de l'autonomie et de la puissance des princes suivit une courbe opposée à celle de l'autorité royale. Il faut noter à ce propos que le fils de Gouram, Stéphanos Ier, n'osa pas, en succédant à son père, prendre « le nom de roi par crainte des Perses, et prit le titre de éristavmtavari (le prince des princes ou, exactement, celui qui est à la tête des princes).

Ce titre de mtavari sera longtemps le seul qu'utiliseront les rois (sans couronne) de Géorgie, se situant ainsi au niveau d'un seigneur au-dessus d'autres seigneurs. Il fut parfois remplacé dans les textes par la désignation éristavt-éristavi : prince des princes. Le retour de l'autorité royale vit la réapparition du mot mépé, et les termes mtavari et éristavt-éristavi s'appliquèrent dorénavant à des chefs de grandes familles dont l'ascendance pouvait ne pas être royale. Certaines provinces étaient gouvernées par les mtavari et d'autres par les éristvat-éristavi. Ceux-ci étaient placés au-dessus des témis-éristavni (« éristavi de district »), des aznaouri (hommes libres ou nobles) et des tsikhistavni (chefs de fort qui n'étaient pas obligatoirement d'origine noble).

 

XIe siècle, « tavadi » et « aznaouri »


La dignité désignée par le terme de prince dans la plupart des pays de la chrétienté, correspond en Géorgie aux mtavarni et aux éristavni, connut à partir du XIe siècle une nouvelle dénomination (qui longtemps cohabita avec les précédentes), celle de tavadi. Tavadi, comme les autres titres, dérivait du mot tavi, « tête ». Le titre de tavadi, remplaçant petit à petit les autres, prédominera à la fin du XVIIIe siècle et trouvera dans les textes russes et français (la langue diplomatique) son équivalent dans le mot prince.

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La question des titres et de la position hiérarchique des hauts personnages de Géorgie se trouvait encore compliquée du fait de l'existence d'une autre notion, celle de didébouli (équivalent de « grand »).

Sous le règne de la reine Thamar (1184-1213), les annales distinguent les princes (éristavni), les « grands » (didéboulni) et les nobles (aznaourni] (1). Il semble que la didébouléba, c'est-à-dire la qualité de « grandeur » n'était pas héréditaire, et ne s'appliquait qu'à des hauts personnages du royaume seuls habilités dans leur famille ou clan à porter ce titre. Par la suite le terme didéboula put s'appliquer aussi bien à un tavadi (prince) -et un seul par clan- ou à un aznaour. Au XVIIIe siècle, ainsi que le code des lois du roi de Karthlie, Wakhtang VI, le titre de didébouli tavadi devint héréditaire et ne concerna que le chef de clan.

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XIXe siècle, la russification des titres de noblesse géorgiens


L'article 9 du traité [de Georgiyevsk entre la Géorgie et la Russie en 1783] spécifiait que Sa Majesté impériale faisant « preuve de sa grande bienveillance vis-à-vis des princes et nobles de ce royaume … décrète que ceux-ci auront les mêmes privilèges et avantages que les nobles de Russie ». Encore Catherine II voulait-elle procéder à des vérifications avant de prendre de telles mesures. Elle demanda en conséquence que « le tsar géorgien envoie à la cour de Sa Majesté des listes concernant ces personnes ». Ces listes furent effectivement envoyées, aussi bien pour les familles nobles de Karthlie / Kakhétie que, par la suite, pour celles du royaume d'Iméréthie et des principautés autonomes de la Géorgie occidentale. Les familles géorgiennes portées sur ces listes furent, durant le XIXe siècle, l'objet d'un long processus de vérification et d'homologation jalonné de proclamations d'un grand nombre de décrets (« décisions ») du Sénat dirigeant de l'Empire russe, portant généralement sur l'attribution aux familles retenues, soit d'un titre russe équivalent, soit du statut nobiliaire.

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Il est exact, néanmoins, que devant le grand nombre de noms inscrits dans les listes …, les commissions d'homologation ne conférèrent le titre de prince russe qu'à près de la moitié des maisons princières géorgiennes, accordant aux autres les privilèges et les avantages propres à la noblesse de l'Empire.

 

Note


(1) Le terme aznaour que nous rendons par l'expression « noble » est d'origine arménienne. Aznaour signifiait « homme libre » et aussi fils de famille au sens idiomatique français. A l'intérieur de cette classe, on distinguait deux catégories : les aznaourni dididni, grands nobles détenant un fort, un monastère, un cimetière familial, et les autres nobles, les asnaouri-mtsiréni. Les aznaouri appartenant à un domaine royal dépendaient directement du roi, les autres relevaient soit d'un prince, soit dans le cas des domaines religieux, du catholicos ou des évêques.

 

Voir aussi


Nicolas Tchavtchavadzé, chef de service de presse, d'origine géorgienne.

 

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