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La société civile sous contrôle en Ukraine


mardi 20 mai 2003

 

La société civile sous contrôle


Malgré l'instauration formelle des attributs de la démocratie, l'Ukraine indépendante demeure largement sous l'emprise de son passé autoritaire. En mettant l'accent sur l'affermissement de l'Etat indépendant, le pouvoir post-communiste ukrainien a essayé, au fil du temps, de freiner la formation d'un système politique pluraliste et le développement de la société civile, des libertés individuelles et des médias indépendants.

En premier lieu, le système politique ukrainien reste faible, avec des partis trop nombreux (plus de 100 formations enregistrées) et minuscules, incapables de s'implanter sur tout le territoire national. Cette situation s'explique par le fait que la vie politique en Ukraine s'est essentiellement réduite, dans la première décennie de l'indépendance, à la lutte interne entre les partis "centristes", c'est-à-dire, les différents groupes claniques du "parti du pouvoir" pour le partage de l'ancienne propriété étatique, le contrôle des secteurs-clés de l'économie, des régions, des exportations, etc. De plus, le mode de scrutin mixte, mi-proportionnel, mi-majoritaire, en vigueur lors des élections législatives de 1998 et de 2002, n'a pas favorisé la nécessaire concentration des partis politiques.

Eu égard au lourd héritage totalitaire, la société ukrainienne s'est montrée, quant à elle, amorphe et conformiste, avec ses élites intellectuelles dépendantes du pouvoir et ses couches d'entrepreneurs issus de l'économie grise ou de la nomenklatura. En même temps, dépourvue de traditions étatiques et marquée par les différences régionales, elle n'est pas parvenue à constituer, pour le moment, une entité politique consolidée et elle a du mal à trouver des repères communs. L'émergence de la société civile ukrainienne est freinée aussi par l'absence de classe moyenne, car la majeure partie de la société continue à vivre dans le sous-développement économique. Enfin, la société civile est coincée entre l'Etat et les lobbies. La plupart des organisations associatives sont créées par l'Etat lui-même ou par les partis oligarchiques et en tant que telles elles ne peuvent pas défendre les droits des citoyens.

Les mass-media n'échappent non plus à cette intervention de l'Etat et des clans oligarchiques dans la vie de la société. Selon le Rapport annuel 2003 de Reporters sans frontières, l'audiovisuel et les agences de presse ukrainiennes sont contrôlés par l'entourage du président Koutchma. Les oligarques se sont même emparés des médias régionaux, aux positions plus indépendantes, afin de les remplacer par des médias nationaux proches du régime. La majorité des grandes chaînes de télévision du pays sont sous le contrôle du Parti des Sociaux-démocrates Réunis, dirigé par le chef de l'administration présidentielle, Victor Medvedtchouk, ou par le parti de l'Ukraine du travail, dirigé par le gendre du président Koutchma, Victor Pintchouk. De plus, l'Administration présidentielle envoie des "recommandations" hebdomadaires ("temnyky") aux journalistes sur la manière de traiter l'information. En automne dernier, près de 500 journalistes ont alors lancé un manifeste contre la censure et entamé une grève générale. Le 15 octobre, le président du Parlement, Volodymyr Lytvyn, a officiellement reconnu l'existence de la censure en Ukraine. D'après un sondage du Centre ukrainien de recherche politique et économique, 62 % des journalistes affirment en avoir été victimes.

Le fonctionnement formel de la démocratie ukrainienne a été bien montré par le scrutin présidentiel de 1999 et les élections législatives de 1998 et 2002. La Mission internationale d'observation a notamment constaté l'abus "systématique et coordonné" des structures étatiques et l'instrumentalisation des médias d'Etat par le président sortant en 1999. En effet, la campagne électorale s'est ramenée à la capacité de contrôler les ressources économiques, les structures étatiques, les médias et, finalement, à la manipulation de l'opinion publique. En absence d'une presse indépendante et impartiale, les électeurs n'étaient, donc, pas en mesure de faire un choix réellement démocratique.

En conclusion, force est de constater que l'Ukraine demeure un pays post-communiste qui se caractérise par l'absence d'une conception transparente de la notion de transition et par l'emprise des structures issues du régime soviétique sur la société et le système politique. Sans concurrence réelle des forces politiques alternatives, l'ancienne nomenklatura et l'appareil bureaucratique ont pu, en effet, imposer leur modèle de construction d'un Etat indépendant à une société civile peu structurée et passive. Ainsi, l'instauration d'une démocratie consolidée en Ukraine, à l'instar des régimes démocratiques établis dans les pays d'Europe centrale, reste en suspens.

Volodymyr Poselskyy, doctorant à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (rattaché au CERI), membre du comité de rédaction de la Lettre du COLISEE.



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