"Fin du monde chez Gogo"
mercredi 25 juin 2003
« Fin du monde chez Gogo (Histoires d'un cabaret de Prague) »
par le Divadlo na voru, qui s'est associé avec la compagnie française du Soleil Bleu, pour proposer sous un chapiteau installé à Paris, dans le Parc de Choisy, près de la Place d'Italie, un petit coin de Bohême à Paris.
Un spectacle où des chansons tchèques et allemandes alternent avec des dialogues ou des soliloques traduits la plupart en français par Catherine Servant. Un spectacle qui retrace l'histoire de chez Goldschmied, cabaret de la Vieille Ville de Prague où se côtoyaient les Tchèques, les Allemands et les Juifs.
Dans un décor de petite gare désaffectée, des êtres se frôlent, se croisent, se rencontrent, se lient un court instant et dévoilent comme dans un mirage - un mirage accentué par leurs nombreuses valises ‑ avec un bonheur et une émotion qu'ils savent faire partager au public, un peu de cette Prague mythique, dans une lumière tantôt impalpable, tantôt froide nimbée d'étoiles. Une lumière qui dématérialise parfois les acteurs et les assimilent à des marionnettes impressionnistes. La distribution, faite de comédiens et de chanteurs français et tchèques, renforce cette sensation.
Premysl Rut, dans son habit noir, joue le maître de cérémonie, imprime le rythme au piano et chante avec une naïveté et une spontanéité touchantes des airs populaires de la fin du XIXe et du début du XXe siècles. Il est aussi accompagné au violon par Petr Ruzicka, ô combien aujourd'hui apprécié des Français, et par Jiri Neuzil et Zdenek Frolich qui font office d'hommes orchestre. Katia O' Wallis, avec une voix superbe et une tenue osée, rappelle Lily Marlene. Les comédiens interprètent des histoires de gens ordinaires qui oscillent entre humour et gravité, des histoires propres à la Mittle Europa. Ce sont des micro-séquences à partir de textes empruntés à Milena Jesenska, Kafka, Werfel, Udirzil, Polacek… où le comique emboîte, avec une vélocité à vous couper le souffle, le pas de l'affectif. Un pur grotesque, basé sur la cassure, qui procure une dynamique particulière à l'ensemble de la production.
Frederika Smetanova, nichée sur le toit arrondi de la gare, telle une marionnette sur une pendulette, nous livre les impressions égarées de Milena sur Prague et Vienne. Vladimír Javorsky-Kafka, avec son chapeau noir, balance entre deux tableaux, d'homme inhibé par sa promenade du soir et de pantin désarticulé, son jeu est si prégnant que certains spectateurs se lèvent pour mieux l'observer. Perché sur un siège au milieu du public, Alexander Komlosi raconte avec conviction sa mésaventure lors d'une recherche d'emploi à la façon d'une harangue. Marketa Potuzakova, en vieille dame craintive qui se promène les pieds rentrés en serrant sa valise, clame que sa bonne est « fade »… Des duos inattendus chassent ces solistes. William Mesguisch et Zbigniew Horoks, en soldats gaillards de l'empire austro-hongrois, s'amusent de la régénération des nations grâce à leurs implications avec les filles ; un bel exemple de métissage est fourni par K. O' Wallis et M. Potuzakova, en commères, qui racontent sous forme de canon succulent, le fruit issu d'une institutrice tchèque et d'un roi abyssin… Un duo inoubliable de cuisiniers qui font voltiger leurs légumes : celui de Mr Blum (Z. Horoks) se plaignant à Mr Blau (A. Komlosi) d'avoir à donner trop d'argent pour la synagogue….Pendant que les uns parlent ou chantent, les autres assis sur leurs valises les regardent et brusquement, tel un conteur avec ses grandes boucles blondes, W. Mesguisch joue les perturbateurs en lançant avec fougue une phrase morale ou philosophique… Tout cela se déroule dans un tourbillon généreux avec des acteurs qui excellent autant dans leur prestation vocale que dans leur gestuelle.
Fin du monde chez Gogo véhicule une énergie bienfaitrice, tout en étant emprunt de nostalgie ; il suscite à la fin des questionnements encore aigus sur les années 1930 et le fascisme. C'est une réflexion poétique sur la tolérance. C'est une belle leçon de convivialité en ce nouveau millénaire où les relations ont tendance à se déshumaniser. Le finale est chanté en chœur par tous les artistes qui invitent les spectateurs à danser.
par Danièle Monmarte
Laboratoire de Recherches sur les Arts du Spectacle - Vice-présidente du COLISEE
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