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« La Mouette »


mercredi 25 juin 2003

 

« La Mouette »


de Tchekhov

Je tiens à remercier chaleureusement Jean-Joël Le Chapelain, directeur de L'Apostrophe, Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d'Oise, qui a permis de montrer au public français le travail exceptionnel de Vladimir Moravek avec Les Trois Sœurs (que je n'ai pu voir) et La Mouette par le Théâtre Klicpera de Hradec Kralove.

Moravek se sert de la pièce initiale comme d'une matrice dont il bouscule l'ordre des scènes et dans laquelle il transfuse d'autres personnages de Tchekhov, comme Solioni, le capitaine buveur des Trois Sœurs et Charlotte de La Cerisaie, pour intensifier le rythme et multiplier les images. Avec ce metteur en scène, nous passons de l'ère tchékhovienne à l'actualité, en transitant par le cabaret berlinois. Charlotte, transformée en meneuse de revue, annonce les différents actes, dans une robe-fourreau rouge (couleur de la vie et du théâtre) ou noire (marquant le destin désespéré des protagonistes). Quand elle s'immisce dans le spectacle, elle parade, vêtue et bottée de blanc, même enceinte. Sa présence, non seulement orchestre la mise en scène, mais a un effet redondant qui crée un rapport subtil avec l'intrigue et la scénographie.

La Mouette parle du théâtre à travers le prisme de deux actrices (Irina Arkadina, Nina Zaretchnaïa) et d'un auteur (Konstantin Treplev). Ici, Arkadina en est le personnage central, et non Nina (comme c'était le cas chez Lebl à qui Moravek dédie sa mise en scène). C'est avec Arkadina que Moravek étale la violence et la cruauté des relations humaines jusqu'au paroxysme, en y instillant une forte dose de contemporanéité, comme le refus de vieillir. Une Arkadina énergique qui laisse échapper de ses lèvres un torrent verbal et dont le corps se raidit lors de ses colères non maîtrisées.

Treplev, qu'elle déteste (car il lui rappelle ses 43 ans et non les 32 qu'elle annonce), est en quête d'amour maternel. Dans la maison de son oncle Sorine (le frère d'Arkadina), il se tient en retrait ; il joue souvent du piano, un piano placé à l'avant-scène, séparé du plateau par un fossé herbeux, situé face à cette rangée de cages où des mouettes pondent leurs œufs, des œufs qui seront placés délicatement par Charlotte dans un incubateur richement orné, à la manière d'un samovar impérial. Treplev passe souvent du piano à la scène et sa tête blonde est pareille à celle d'un ange, auréolée d'une couronne de lumière. Sa fraîcheur et sa naïveté se heurtent à la férocité de sa mère. Une mère qui, malgré tout, n'est pas parvenue à couper le cordon ombilical car lorsqu'elle arrange un bouquet de fleurs, elle le porte à son cœur comme si elle tenait un bébé. Lorsque son fils est blessé, elle tire, à travers le plateau, sur la bande qui enveloppe sa tête et ne parvient pas à s'en défaire (une idée qui rappelle la mise en scène d'Otomar Krejca à Paris à la Comédie-Française). Arkadina est néanmoins touchante car elle étale, elle crie, son mal de vivre, comme les autres personnages.

Treplev est bien incompris car il aime Nina, cette graine d'actrice. Chez Moravek, Nina est une jeune fille moderne et ambitieuse qui séduit Trigorine et se laisse abuser par lui. Treplev se comporte comme un enfant près d'elle. Quand ils se revoient pour la dernière fois et qu'elle lui fait part de ses déboires, parlant de son travail, elle intensifie les « a », voyelle qui occupe le sommet dans le triangle vocalique (le spectateur est invité à imaginer un théâtre à Moscou ou à sa périphérie), puis elle est comme vidée de son énergie en prolongeant les « i » (le spectateur est ramené dans la maison de Sorine, près du lac). Les paroles de Nina se transforment en matière sonore picturale. Une lumière terne imbibe les personnages. Cette scène est à mettre en parallèle avec celle où Sorine a failli mourir, les autres étant attroupés autour de lui comme dans un tableau de Rembrandt. Des scènes qui contrastent avec la luxuriance des autres baignées dans une lumière crue. On retrouve le gris terne dans la tenue de Macha, l'ingénue, qui se jette hystériquement sur les sièges montrant son désarroi de ne pas être aimée de Treplev, surtout quand il est au piano. Moravek exulte la polyvalence de la pièce de Tchekhov en invitant les spectateurs à suivre les acteurs dans le hall du théâtre pour « Treplev présente sa pièce, c'est Nina Zaretchnaïa qui joue ». Nina, les cheveux longs défaits, est transformée en dame du lac, s'exprime avec emphase, campe son personnage symboliste à la Sarah Bernhardt.

Moravek dépasse son rôle de metteur en scène, il s'érige en auteur d'un langage spatial, pictural et musical original. Retranscrivant le texte de Tchekhov, il en fait une partition qui tient compte de toutes les interrelations avec les éléments de la représentation. Il établit de nouveaux rapports avec le public. Il nous éblouit et nous fascine.

par Danièle Monmarte

Laboratoire de Recherches sur les Arts du Spectacle - Vice-présidente du COLISEE



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