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Le voeu pieux du combat contre le crime organisé dans les Balkans (2003)


vendredi 27 juin 2003

 

Le voeu pieux du combat contre le crime organisé dans les Balkans


Ce qui n'est pas bon pour les sociétés de l'Europe occidentale, l'est forcément pour les Balkans. C'est le constat étonnant qu'on peut tirer du mini-sommet entre l'UE et les cinq pays des Balkans (Albanie, Macédoine, Serbie-Monténégro, Bosnie-Herzégovine et Croatie) organisé à Salonique en marge du grand sommet des Quinze, le 21 juin 2003.

Il y a un an, le tout-répression décidé par Nicolas Sarkozy en France a été sévèrement critiqué comme une politique qui négligerait, selon ses détracteurs, la paupérisation sociale à l'origine de l'augmentation de l'insécurité. Pour mettre de l'eau dans son vin, le Premier ministre Raffarin a depuis lancé une série de mesures économiques en faveur de l¹emploi des jeunes ou en faveur de la famille. Sur un plan international en revanche, notamment en ce qui concerne les pays balkaniques, la seule voie jugée efficace à leur intégration rapide à l'UE, se résume dans une politique de répression tous azimuts des trafics et du crime organisé florissant dans cette région. La lutte contre les trafics dans cette périphérie de l'Europe s'érige donc en priorité absolue, imposée sans discuter, aux pays balkaniques comme une condition préalable à l'adhésion. Bref, c'est à prendre ou à laisser. Entre le discours social prévalant dans nos sociétés, et celui policier auquel nous entendons soumettre les pays balkaniques. La logique "deux poids et deux mesures" prévaut plus que jamais.

Cette iniquité peut avoir trois explications. Elle peut découler de la naïveté des dirigeants occidentaux qui penseraient candidement que la lutte contre les trafics dans les Balkans constitue à coup sûr la clé magique de leur entrée à l'Union. Mais ce traitement différent pourrait également être dicté par un intérêt égoïste qui tient plus compte de la sécurité intérieure de l'espace européen que du souhait d'intégration des Balkans. Moins de trafics mafieux en provenance des Balkans, c'est plus de sécurité pour l'Europe. Tant pis si cette perspective ne garantit en rien une amélioration de niveau de vie des populations balkaniques et un accès sûr à l¹espace européen après la "décapitation" du crime organisé. Enfin, le calcul des pays occidentaux pourrait être autrement plus diabolique. En posant comme préalable la lutte contre les trafics - une exigence claire dans les principes mais floue dans les détails et dans le "cahier des charges" - l'UE pourra retarder à volonté l'intégration européenne des Balkans. La lutte contre le crime organisé constitue en effet une condition dont la satisfaction est difficilement quantifiable au regard, par exemple, des ravages que produisent la corruption et les trafics dans les pays occidentaux eux-mêmes, notamment en Italie et en France. Que va-t-il se passer maintenant ? Bien évidemment, les dirigeants des pays balkaniques ont applaudi comme des élèves zélés à la proclamation des désirs du Prince européen qui souhaite voir le crime terrassé partout dans les Balkans. Mais comment vont-ils s'y prendre ? Le crime organisé est devenu la seule source économique viable pour les sociétés balkaniques exténuées par les plans de restructuration économiques imposés par le FMI. Au point qu'on peut parler aujourd'hui de sociétés "escobarisées", à l'image de cette contrée de la Colombie soutenue économiquement par le chef du cartel de la drogue de Medellin, Pablo Escobar, dont la mort en 1993 causa un sincère chagrin dans la population locale. Aujourd'hui, la seule mafia albanaise réalise - dit-on - un "chiffre d'affaires" annuel de plus de 4 milliards de dollars, dépassant le PIB du pays. Une partie de cet argent permet aux familles albanaises ayant les plus faibles revenus de survivre, tandis que d'autres s¹équipent de tous les produits phares occidentaux (voitures de luxe, téléphone portables, villas, etc).

Dans un contexte de chômage flirtant avec les 30 %, soit la lutte contre le crime organisé sera un échec patent, soit les éventuels résultats positifs s'accompagneront d'une explosion sociale qui aboutira à la liquidation physique de cette partie de la classe politique qui se sera risqué à entreprendre le combat, comme cela s'est produit en Serbie. Promouvant la lutte contre les trafics comme une priorité dans les Balkans, l'UE se fourvoie. Car, comment peut-on mesurer les résultats de cette lutte ? Va-t-on dire aux pays Balkaniques que, pour l'année 2003, l'Union européenne souhaite voir 100, 1000, ou dix mille trafiquants arrêtés, autant de tonnes de drogues saisis, ou autant de jeunes filles sauvées des mains de trafiquants ? Il est impossible, voire surréaliste de fixer des normes dans ce domaine. En revanche, ce qui est tout à fait réalisable, c'est de demander la création sur une année de tant d'emplois. Il y a fort à parier que la création d'emploi dans les Balkans ira de pair avec la baisse des trafics. Mais pour cela, l'Europe doit donner à ces pays les moyens de leur développement économique. Moins de programmes d'assistance judiciaire et policière, pour plus de projets à caractère économique. Il pourrait être rétorqué que l'Europe fait déjà beaucoup dans ce domaine. Les chiffres sont là pour le démontrer : 7 milliards de dollars alloués aux Balkans depuis 1991. Peu de choses ont cependant changé, ce qui conduit les occidentaux à changer de stratégie : obliger les gouvernements balkaniques à couper la tête des réseaux mafieux plutôt que de s'employer à nettoyer le marécage social dans lequel ceux-ci se développent. Autant dire que c'est un combat perdu d'avance, car d'autres monstres naîtront de la même boue.

Faut-il pour autant renoncer à l'allocation des fonds encourageant le développement économique dans l¹espace balkanique ? Bien sûr que non, et personne ne réclame d'ailleurs leur suppression. Il faudrait en revanche les diriger vers d'autres destinataires, mieux à même de faire fructifier ces fonds. Les sommes en question sont consacrées dans la plupart des cas à la réalisation de grands ouvrages publics : routes, ports, canalisation pour l'agriculture etc. Comme tels, ils sont gérés par les pouvoirs publics des pays balkaniques, dont les éléments les moins scrupuleux n'hésitent pas à tirer des profits personnels. Par conséquent, les réalisations ne sont pas à la hauteur des moyens mis à disposition. Pire, le chômage continue à augmenter au lieu de baisser, bien que plus de routes, de ports et de canaux d'irrigations signifient plus d¹activité économique et plus d'emploi. Ce qu'il faudrait expérimenter, c'est le changement des destinataires des fonds. Les aides publiques européennes ne doivent plus être octroyées aux seules autorités des pays balkaniques, mais directement aux créateurs d'emploi de ces pays, par le biais d'achat de machines-outils et autres technologies de pointe. Car, lorsqu'il faut faire une route, c'est souvent une compagnie occidentale qui remporte le marché, faute d'équipements nécessaires des compagnies locales. C¹est de l¹aide aux entreprises privées balkaniques, en contrepartie de la création d¹un nombre déterminé d'emploi par an, dont dépendra la réussite de la lutte contre le crime organisé, autrement dit, la réussite de l'intégration des Balkans dans l'Union européenne.

Auteur : Genç Burimi , journaliste à RFI

N.B. : les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et non le COLISEE



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