Mgr Audrys BACKIS : « La religion a été un bastion pour résister »
jeudi 17 juillet 2003
Mgr Audrys Backis : « La religion a été un bastion pour résister »
propos recueillis par Pierre Ganz (RFI) et Alain Louyot
L'Express du 10/07/2003
Le cardinal Audrys Backis est archevêque de Vilnius depuis son retour d'exil, en 1991, année de la renaissance de la Lituanie
Pourriez-vous définir en quelques mots l'identité de ce petit pays balte catholique ?
Nos racines chrétiennes sont évidentes. Le 6 juillet, on a fêté le 750e anniversaire de l'avènement du roi Mindaugas, qui a reçu la couronne du pape Innocent IV en 1253. Nos liens avec la Pologne ont été profonds. Comme me l'a dit le saint-père en plaisantant, c'est un mariage malheureux. Disons qu'il y a eu des hauts et des bas. Je me demande encore comment la Lituanie a conservé son identité au sein du monde slave, à l'ombre de deux géants, la Pologne et la Russie. Probablement par sa langue, très différente, voisine du sanskrit, qui a permis de conserver les coutumes familiales et les traditions. Le catholicisme a aidé à résister à l'occupation tsariste, puis soviétique. Les tsars ont tenté de supprimer l'alphabet latin et de nous convertir à l'orthodoxie. La religion a été le bastion de nos valeurs. C'était la même chose au temps du communisme. L'Eglise était le sanctuaire des libertés de l'homme, des libertés de conscience religieuse, des libertés nationales. En 1979, déjà, je me souviens que le saint-père croyait à l'indépendance des pays Baltes.
Avec le retour à la liberté et l'entrée dans l'Union européenne, ce rôle de sanctuaire qu'a joué l'Eglise ne va-t-il pas se déliter ?
Aussitôt après l'indépendance, les églises étaient pleines. On venait goûter en masse le fruit défendu et on a été déçu. Cela tient au défaut de formation catholique dans un pays où la catéchèse a été interdite pendant cinquante ans et le prêtre coupé de la jeunesse. Reste un respect pour l'Eglise, pour le rôle qu'elle a joué. Dans les sondages, c'est l'institution qui recueille le plus de confiance. Aujourd'hui, je vois venir de jeunes familles. Mais toute une génération, entre 40 et 60 ans, n'a eu aucun contact avec la religion.
Ne craignez-vous pas que l'entrée de la petite Lituanie dans l'Union, l'an prochain, ne s'accompagne d'une perte d'identité ?
Cette peur est partagée par beaucoup de Lituaniens. Pourtant les évêques, dans une lettre commune, ont rappelé que nous faisons partie de la famille européenne, dont nous avons été séparés pendant cinquante ans. On revient à la maison. Et j'espère qu'on y sera accueilli comme un fils qui revient, pas comme un hôte indésirable.
Sentez-vous un enthousiasme des Lituaniens pour cette adhésion ?
Non, mais les Lituaniens savent qu'il n'y a pas d'autre voie. La discussion se fait sur les avantages et les inconvénients. Ce qui me fait peur, personnellement, c'est la bureaucratie européenne. Mais je vois les rêves de la jeunesse. Elle veut voyager, voir cette Europe, la connaître. C'est un désir très sincère de connaître les membres de sa famille.
Que pensez-vous du débat sur la reconnaissance du christianisme dans le préambule de la future Constitution européenne ?
C'est un lapsus, un oubli historique de ne pas parler des racines chrétiennes de l'Europe. Quels que soient ses défauts, le christianisme a créé toute une culture artistique qui fait partie de l'histoire de l'Europe. Enlever cette référence, c'est s'imposer un trou de mémoire.
La libéralisation des mœurs pose-t-elle problème ?
Des excès, en provenance des pays scandinaves, ont été commis dans certaines écoles sur l'éducation sexuelle. L'Eglise a réagi : oui à une éducation à l'amour, mais pas de façon biologique, et respectons le rôle des parents, premiers éducateurs ! La destruction de la famille date de l'ère communiste, mais on n'en parlait pas à l'époque. Beaucoup de gens privés de valeurs se sont alors trouvés désemparés. Permissivité des mœurs, tensions familiales, divorce, avortement : nous avons les mêmes problèmes que l'Europe occidentale.
Comme citoyen lituanien, qu'attendez-vous de l'Union ?
Après le communisme, on attend un respect de la personne et du droit. Nous apportons à l'Europe notre expérience du martyre, de la résistance. Nous avons appris à ne pas plier. Bien sûr, la meilleure partie de notre population a été détruite. Nos intellectuels ont été déportés en Sibérie. Mais je vois chez les jeunes une soif spirituelle. Il faut apprendre le système démocratique, qui ne doit pas se réduire à une lutte entre des petits groupes. Nous avons le modèle des démocraties européennes.
Et la sécurité aussi ?
La sécurité, c'est l'Otan. Nous sommes sur la ligne de front entre la Russie et la Biélorussie. Une crainte persiste dans la population : si quelque chose devait se passer chez nos voisins, comme en Biélorussie, où je vois des signes de régression, on peut imaginer le pire. Et nous ne nous attendons pas à ce que nos amis européens viennent nous aider. L'Histoire peut se répéter.
Source : L'Express du 10/07/2003 - www.lexpress.fr
Voir également l'article sur la "Biographie du Cardinal Backis"
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