Edwige d'Anjou, à l'origine de l'union polono-lituanienne (XIV° s.)
lundi 21 juillet 2003, par Gilles Dutertre
D'après le Dossier de l'Art hors série sur l'exposition « L'Europe des Anjou » à l'abbaye royale de Fontevraud .
Edwige d'Anjou, à l'origine de l'union polono-lituanienne
Les Anjou d'Europe Centrale
Au début de cette dynastie d'Anjou au destin extraordinaire était Charles 1er (1227 - 1285) , frère du Roi de France Louis IX ( Saint Louis) ; avec l'appui du Pape , qui se sentait un peu trop entouré de possessions du Saint Empire Germanique (c'est l'épisode des guelfes et des gibelins) , il conquiert Naples et devient Roi des Deux Siciles en 1266 .
Son fils , Charles II d'Anjou , épousa Marie de Hongrie et ils eurent 13 enfants !
Par un concours de circonstances , un de leurs petit-fils , Charles-Robert (ou Carobert) , s'imposa comme Roi de Hongrie en 1310 , puis fut reconnu comme Roi de Croatie et enfin épousa Elisabeth , fille du Roi de Pologne . La rencontre de Viségrad , qui réunit en 1335 , autour de son initiateur Charles-Robert , les Rois de Pologne et de Bohème , marque l'apogée hongroise et montre son rôle moteur dans le combat contre l'hégémonie naissante des Habsbourg .
A la mort de Charles-Robert en 1342 , lui succède son fils dont les actions lui vaudront le nom de Louis le Grand . Il poursuit et renforce les réformes économiques , administratives et judiciaires de son père et pousse son pays à devenir l'égal des grands pays par son développement intellectuel et artistique . Le traité de Turin signé avec Venise en 1381 après une victoire terrestre contre la Sérénissime assure l'autorité hongroise sur les villes Dalmate ; par ailleurs , Louis porte alors ses efforts vers la Pologne dont il devient l'héritier , conduisant à ce titre les opérations militaires contre ses agresseurs lituaniens , contre Charles de Luxembourg et contre l'ordre teutonique . Il est couronné Roi de Pologne en 1370 .
Une succession difficile
La succession de Louis le Grand posait de sérieux problèmes du fait qu'il laissait trois filles , Catherine , Marie et Edwige et aucun héritier mâle . En effet , le traité de 1355 passé avec la noblesse polonaise stipulait que la Pologne serait libre de se choisir un souverain en l'absence d'un prince angevin ; il dut être reconsidéré .
Par le Grand Privilège signé en 1374 , la diète polonaise reconnaissait la princesse Marie comme souverain , et le vœux du roi de ne pas séparer les deux couronnes de Hongrie et de Pologne se voyait exaucé .
En fait , dès la mort du roi Louis le Grand le 10 septembre 1382 , sa veuve , la reine Elisabeth , met en place une double régence à son profit et scinde en deux ses territoires ; elle engage également des pourparlers de mariage pour Marie avec Louis d'Orléans , auquel la Hongrie était promise ; le mariage a d'ailleurs lieu par procuration en avril 1385 . De son côté , Edwige reçoit la Pologne .
Mais une présence française en Europe centrale n'est nullement appréciée par les états voisins et l'empereur Charles IV dépêche prestement son fils Sigismond de Luxembourg , margrave de Brandebourg , pour contrer Louis d'Orléans . Fort d'une bonne escorte , Sigismond arrive le premier et épouse Marie d'Anjou-Hongrie en avril 1385 ! Ce mariage mécontente la reine Elisabeth , les Polonais encore plus , et les Croates encore d'avantage ! Ceux-ci appellent à régner Charles III d'Anjou-Duras , roi de Naples , qui pénètre en Hongrie , exige (et obtient) de Marie qu'elle renonce à sa couronne , mais se fait assassiner à l'instigation des deux reines le 7 mars 1386 , quelques semaines après son arrivée .
Sigismond de Luxembourg revient alors dans le pays de son épouse , avec laquelle il partage le pouvoir jusqu'en 1395 , année de la mort de la reine .
Edwige et la Pologne
(N.B. : Hedwige , Edvige , Edwige , Jadwiga , Jadvgal , j'ai vu toutes les orthographes en fonction de la nationalité de l'auteur . Je retiendrai celle d'Edwige choisie par Leonas TEIBERIS , journaliste lituanien , dans son ouvrage « La Lituanie » )
De son côté , la jeune princesse Edwige est couronnée le 15 octobre 1384 en tant que "roi" de Pologne , et son intention d'épouser Wilhelm de Habsbourg reçoit l'agrément général ; elle connaissait d'ailleurs déjà son futur mari pour avoir passé quelques années à la cour de Vienne .
Malheureusement pour Edwige , mais heureusement pour notre sujet , des raisons politiques vont bouleverser ce projet .
Menacée par la Lituanie , la Pologne dut se prémunir contre une invasion qui se profilait dangereusement et contre laquelle les Polonais n'auraient pu lutter qu'avec difficulté . Mais , dans une démarche aussi inattendue que stupéfiante , des envoyés lituaniens proposèrent le mariage de la reine de Pologne avec leur grand duc , perspective plus qu'étonnante si l'on considère que la Lituanie et son prince étaient païens alors que les Capétiens de quelque branche que ce fût , avaient toujours clamé leur foi chrétienne .
En effet , le grand duc Jogaila cherche les moyens de renforcer ses positions dans sa lutte contre les Chevaliers Teutoniques et à réaffirmer son pouvoir à l'intérieur de l'état , face notamment à son neveu Vytautas .
Deux solutions s'offraient à lui :
Soit l'union avec le grand duché de Moscovie par le mariage avec la fille de son souverain , Dimitri Donskoï , à condition de se convertir à l'orthodoxie ;
Soit l'union avec le royaume de Pologne par le mariage avec la reine Jadwiga / Edwige à condition d'adopter le catholicisme .
Jogaila choisit donc cette deuxième solution qui permettait en outre de faire front à l'expansion des Chevaliers Teutoniques en délégitimant auprès des Etats occidentaux leurs prétentions aux croisades en territoire lituanien « infidèle » .
De l'autre côté , l'offre des Lituaniens apparut d 'autant plus digne d'intérêt à la pieuse reine qu'elle contenait , en cas d'acceptation de l'union , la promesse de conversion du grand duc ainsi que de tous ses sujets , puis l'incorporation de la Lituanie au royaume de Pologne !
Le 14 août 1385 est conclue entre la Lituanie et la Pologne l'Union de Kreva (actuellement en Belarus) . Dédommagés par 200 000 florins , les Habsbourg se retirent , le grand duc Jogaila reçoit le baptême le 15 mars 1386 et épouse Edwige trois jours plus tard . Il est couronné roi de Pologne sous le nom de Ladislas II . La dynastie des Jogaila (Jagellon en polonais) s'installe sur le trône polonais bien que la reine n'abandonnât jamais son pouvoir , acceptant seulement de le partager . Le pays connut une période de gloire et de prestige , malgré les tentatives de déstabilisation toujours conduites par l'Ordre Teutonique .
En 1399 , Edwige met au monde une fille qui ne vécut que trois semaines ; sa mère la rejoignit peu après dans le tombeau puisqu'elle décéda le 17 juillet 1399 . Sa bonté , sa générosité et sa foi la firent rapidement vénérer par son peuple et , en 1997 , le Pape Jean-Paul II procéda à sa canonisation .
Avec Edwige s'éteignent les Anjou d'Europe centrale qui , malgré des guerres multiples , avaient attaché leur nom à un âge rempli d'éclat et de grandeur . Après elle la dynastie des Jagellon s'installe vraiment sur le trône polonais ; elle y restera jusqu'au 7 juillet 1572 , à la mort de Sigismond Auguste qui sera remplacé , certes brièvement , par un prince français (retour de l'Histoire) , Henri de Valois , futur Henri III .
Conclusion
Il est certes erroné de dire qu'une princesse française d'Anjou , par son mariage avec Jogaïla , fut à l'origine de l' « union perpétuelle » entre la Pologne et la Lituanie ; car Edwige était bien une princesse polonaise . Mais on peut se dire toutefois que cette dynastie , qui avait commencé avec Charles 1er , comte d'Anjou (1227 - 1285) , frère de Saint Louis , et qui s'est terminée avec René d'Anjou , dit le Bon roi René (1409 - 1480) , duc d'Anjou , comte de Provence , duc de Bar et de Lorraine , roi de Naples et de Jérusalem , n'est pas étrangère à la constitution de grands royaumes d'origine française en Europe centrale et méditerranéenne .
La Lituanie et les Chevaliers Teutoniques
Il n'est pas possible de terminer ce paragraphe sans évoquer brièvement les Chevaliers Teutoniques dans leurs relations avec la Lituanie , l'ennemi de toujours .
Dès leur arrivée en Livonie (à peu de chose près la Lettonie et l'Estonie actuelles) en 1237 , les Teutoniques entrent en conflit avec le grand duché de Lituanie ; la cause en est simple : outre le fait que les Lituaniens étaient toujours païens , il était vital pour l'ordre de créer un lien notamment commercial entre la Prusse et ses possessions de Livonie , particulièrement en hiver lorsque la Baltique est gelée .
Par ailleurs , à la suite des invasions mongoles en Russie , les habitants des principautés de Russie occidentale , de Moldavie et d'Ukraine , acceptent de se soumettre à l'autorité du grand duc de Lituanie qui leur garantit le droit à pratiquer leur religion et leur promet d'assurer leur défense . La « grande Lituanie » devient alors la seule force en Europe capable de faire face aux Mongols , dont l'avancée était observée avec inquiétude par la cour pontificale . Une fois les Lituaniens convertis , le pape , l'empereur et tous les autres souverains changent donc aisément de position dans les rapports entre les Baltes et les Teutoniques !
De là ce paradoxe : à partir du dernier quart du XIV° siècle , les Teutoniques de Prusse mènent leur combat contre des Chrétiens ! ! Une nouvelle guerre éclata en 1409 mais se termina le 15 juillet 1410 par la bataille de Žalgiris (connue aussi sous le nom de Tannenberg ou Grünwald) , une des plus importantes batailles du Moyen-Age , où l'armée polono-lituanienne de Jagellon détruisit totalement les forces teutoniques , grand maître en tête . (Il est à noter qu'aujourd'hui encore des équipes sportives lituaniennes , telle celle de basket de Kaunas , championne d'Europe en 1998 , portent le nom de Žalgiris , sans doute en signe de victoire éclatante !)
Gilles DUTERTRE
Secrétaire exécutif du COLISEE
membre de la Coordination France - Lituanie
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