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La prostitution en Europe centrale et orientale : un phénomène en constante expansion (2004)


mercredi 14 janvier 2004

Si la prostitution est ancienne et a toujours existé à l'Est de l'Europe, le phénomène prostitutionnel est en constante expansion depuis la disparition du rideau de fer. La situation reste cependant assez peu connue, si ce n'est dans les pays du groupe de Visegrad, plus développés, plus proches de l'Ouest et où s'est multipliée une prostitution organisée et importante. Pour les pays baltes, la Roumanie ou la Slovaquie, les informations sont plus rares. En Russie et dans les pays de la CEI où les problèmes Économiques et sociaux sont très aigus, les autorités s'intéressent moins à la prostitution. Les informations proviennent essentiellement d'associations ou de journalistes et ne concernent que les grandes villes. Enfin, les autres pays de la péninsule balkanique (et tout particulièrement ceux de l'ex-Yougoslavie) ne laissent filtrer presque aucune information et leur Étude est impossible.

 

L'EVOLUTION RECENTE


Les pays d'Europe centrale et orientale ont en commun d'avoir été soumis depuis 1948 à un régime communiste soviétique, de l'avoir abandonné entre 1989 et 1991 et de traverser actuellement une phase de "transition post socialiste", particulièrement propice au développement de la prostitution sous toutes ses formes.

La prostitution sous l'ère soviétique

La stratégie du Parti communiste de l'Union soviétique fut d'ébranler la famille et les moeurs anciennes mais aussi d'instaurer un règne de vertu. Dans la logique du système marxiste léniniste, toute l'énergie du citoyen devait servir la révolution. Ainsi devait il y avoir une vie amoureuse réduite au minimum, seulement en vue de la procréation. Dans cette perspective, l'amour nest plus une aventure individuelle mais un prétexte à transformer la société. Dans sa volonté de contrôler les individus pour faire progresser la révolution, l'appareil est allé jusqu'à considérer l'acte sexuel incontrôlé comme un défi au système. La prostitution est donc non seulement peu acceptable mais aussi en contradiction avec le triomphe de la révolution. Idéologiquement, elle ne peut exister dans un état véritablement socialiste. Voulant éliminer complètement le phénomène de la prostitution, le régime en efface officiellement toutes les traces. Dans les années vingt, le délit de prostitution est proscrit du Code pénal, la société soviétique n'ayant plus de raisons économiques, sociales ou morales la justifiant. Des peines sévères restent cependant prévues pour le délit de proxénétisme.

Malgré le discours idéologique, la prostitution existait dans l'URSS. En 1987, la Direction principale des affaires intérieures du comité exécutif de la ville de Moscou souligne qu' "ont été recensées un peu plus de mille prostituées, dont la moitié [est] des femmes de 18 à 25 ans. Parmi celles ci, il y en a qui ne travaillent pas, mais aussi des étudiantes, des femmes mariées, des mères et même des diplômées ès sciences. 99 % de toutes les prostituées recensées exercent leur "métier" avec des étrangers." Ce chiffre, très certainement sous estimé, recouvre néanmoins une réalité. Selon le quotidien Lettonie soviétique 'janvier 1988), la prostitution prospérait à Moscou, Leningrad, Riga, mais également dans des villes qu'on ne pouvait en aucun cas considérer comme des centres touristiques ou portuaires. La répression de la prostitution est alors d'autant plus difficile qu'il n'existe plus d'articles s'y rapportant dans le Code pénal. Les condamnations peuvent porter sur le vagabondage, le parasitisme 'si les prostituées ne bénéficient pas de revenus procurés par un travail) ou la spéculation 'si elles détiennent produits étrangers ou devises). Mais beaucoup disposent d'une " couverture " en étant inscrites sur le registre du travail comme femmes de ménage ou gardiennes. On ne sait à peu près rien des pays communistes extérieurs à l'Union soviétique mais la situation, comme la législation, sont comparables.

L'ouverture au libéralisme et le changement des mentalités

Pour comprendre la progression de la prostitution dans ces pays après leffondrement du communisme, il convient de prendre en compte trois facteurs socio économiques aux conséquences considérables :
-  Ces pays ont traversé une crise économique d'ampleur, très spécifique qui s'est notamment traduite par une baisse générale des revenus et une paupérisation d'une part importante de la population ;
-  La libéralisation politique et économique s'est traduite dans les mentalités sous diverses formes : repli identitaire, relativisme moral, idéal matérialiste, pragmatisme politique, soif de liberté, etc
-  Enfin, une profonde désorganisation sociale et politique s'est manifestée,au moins dans les premiers temps, dans tous ces pays. Les situations constatées aujourd'hui sont très différentes, mais les autorités policières et judiciaires d'Europe centrale et orientale sont loin d'avoir l'efficacité de leurs homologues d'Occident, même si ces dernières connaissent des problèmes d'efficacité face au problème de la prostitution. De plus, une économie souterraine particulièrement propice à l'expansion de la prostitution a vu le jour.

Dans un contexte de relative pauvreté et de volonté d'accéder au marché des biens de consommation, la prostitution peut apparaître comme une issue, ou même un modèle. Le corps tend à devenir une marchandise, que l'on peut vendre pour survivre ou améliorer son mode de vie. Comme un retour de bâton après la période de puritanisme communiste, une attitude extrêmement libérale à l'égard de la prostitution s'est développée. "L'amour libre" est considéré comme une nouvelle liberté offerte par l'économie de marché. Et puisque le marché du sexe est devenu un produit rentable, les autorités gouvernementales le considèrent comme un des nouveaux domaines du droit où elles s'impliquent peu.

 

L'EXPLOSION DU PHENOMENE AUJOURD'HUI


L'explosion du phénomène prostitutionnel dans les ex pays de l'Est se fait dans deux directions : l'expansion d'une prostitution de proximité et le développement de la traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle.

L'essor de la prostitution locale

La prostitution des femmes majeures et des enfants des deux sexes est devenue un commerce inévitable dans les villes d'Europe de l'Est. Les minorités hongroise en Roumanie, russe dans les pays baltes, tsigane un peu partout, particulièrement touchées par la misère et donc plus fragiles, sont surreprésentées parmi les prostituées.

Par ailleurs, la "demande" s'est développée avec l'intensification du tourisme, les nombreuses prostituées devenant un produit d'appel pour les touristes. Budapest y a déjà gagné un surnom : la Bangkok de l'Europe et le nombre de touristes intéressés par des prostituées, de tous sexes et de tous âges, croît beaucoup plus vite que la fréquentation touristique globale, déjà en forte hausse. La demande étrangère de prostituées n'est cependant pas le seul fait de touristes. Le phénomène s'étend aux zones frontières et le long d'importantes routes internationales, où les établissements faisant le commerce du sexe sont fréquentés par une population bigarrée d'étrangers en transit, en majorité des chauffeurs routiers.

Enfin, il ne faut pas oublier que la prostitution est très souvent importante à proximité des concentrations de troupes. Les grands établissements militaires représentent toujours un "marché" pour la prostitution, et la présence de troupes de l'ONU ou de l'OTAN autour ou dans les pays de l'ex Yougoslavie encourage le développement de la prostitution. La nouvelle demande de prostituées émane aussi des nationaux. Un nouveau type de client fait son apparition : une partie de la nouvelle élite économique sans scrupules, tout particulièrement les magnats de l'économie parallèle, ont fréquemment recours à des prostituées. Mais l'industrie du sexe, sous toutes ses formes, gagne aussi l'ensemble de la population, comme en occident. A la fin des années 90, en Hongrie, les prostituées étaient 3.000 à 4.000 dans les rues de Budapest, de 1.500 à 2.000 dans les autres villes ou le long des routes nationales et 5.000, dont la moitié étrangères, proposaient leurs services dans les bars ou les hôtels. À Prague, le nombre de prostituées est estimé à 30 000, professionnelles ou occasionnelles, Tchèques, Roms, mais aussi Russes ou Ukrainiennes.

La réapparition de la traite des blanches

Ce phénomène est un corollaire de l'évolution précédemment évoquée : la pauvreté ou le mythe de l'Occident jette dans les bras des trafiquants un grand nombre de femmes ou de jeunes filles plus ou moins crédules. Le trafic est motivé par une demande forte dans les pays de l'Est eux mêmes, comme dans les pays occidentaux. La traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle s'effectue À l'échelle nationale comme internationale et les mouvements sont multiples :
-  Des PECO vers les pays de l'Union européenne, la Turquie, Israël, le Japon ou la Thaïlande : les filles viennent majoritairement de zones proches 'pays baltes, groupe de Visegrad), sans toujours en être ressortissantes ;
-  Entre les PECO, souvent des pays les moins développés de la CEI vers les pays plus avancés 'groupe de Visegrad, pays baltes). Ces pays peuvent n'être qu'une étape du mouvement précédent ou en constituer la destination définitive ;
-  À l'intérieur des pays d'Europe de l'Est, souvent des zones rurales peuplées vers les zones urbaines, touristiques, ou frontalières.

Les Russes, les Ukrainiennes et les Biélorusses sont les groupes les plus importants impliqués dans ce trafic, avec le concours des puissantes mafias locales. En Ukraine, "le nombre de candidates au départ est ahurissant. Jusqu'a 400.000 femmes âgées de moins de 30 ans sont parties depuis dix ans, si l'on en croit le ministère de l'Intérieur". Concernant lAlbanie, autre pays particulièrement concerné, l'ONG Save The Children estimait en avril 2001, que 30.000 femmes et adolescentes albanaises se prostituaient en Europe occidentale.

Le recrutement s'opère sans originalité, par publicité 'mensongère) ou directement par des amis, dans les bars, les discothèques, ou même au sein des institutions de jeunes filles. Le plus souvent, on fait miroiter aux filles un emploi quelconque, mais d'apparence honnête 'mannequin, secrétaire, femme de ménage), avant de les contraindre à la prostitution une fois arrivées dans le pays de leur rêve. Autre méthode couramment utilisée : les mariages arrangés.

Il existe des groupes de trafiquants très organisés et structurés au niveau international, telle la mafia albanaise, et des structures plus petites, parfois familiales, qui font travailler les femmes pour leur propre compte. Les proxénètes organisent le voyage, fournissent les papiers 'passeport et visa, vrais ou faux), le billet d'avion ou le passage des frontières en bus, en voiture ou à pied.

Les réseaux de prostitution albanais constituent la forme de violence la plus primaire. Il existe des camps de soumission, où les femmes sont achetées et violées collectivement, puis elles sont acheminées jusque dans les grandes villes européennes. À Bruxelles, où la moitié des prostituées est de nationalité albanaise, la justice belge évoque ces sinistres "centres de formation" situés en Albanie. Les jeunes femmes y sont vendues pour aller "travailler" à Londres, Hambourg ou Paris. Vendues pour quelques dizaines d'euros, elles prennent ensuite la destination des trottoirs européens : selon leur beauté, leur don pour les langues étrangères et leurs aptitudes "professionnelles", leur prix de vente à la fin 1999 allait de 1.500 à 2.300 Euros. Des marchés aux femmes existent aujourd'hui dans l'Europe balkanique, au vu et au su de tous, tel l'"Arizona Market" en Bosnie. à Milan, il existerait un véritable "marché aux femmes" où les différents réseaux passent commande.

Une fois en Europe, la surveillance des proxénètes est à peu près invisible et s'effectue essentiellement par portable. Les véritables proxénètes résident dans les pays voisins ou restent dans les pays d'origine. Pour la surveillance rapprochée, ils recrutent des délinquants locaux.

Retour au Dossier : la prostitution en Europe centrale et orientale (2004).

Dossier réuni en novembre 2003, pour la lettre du COLISEE, par Florence Carton, avec le concours de la Fondation Scelles, auteur de l'ouvrage paru chez Èrès "La prostitution adulte en Europe".



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