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La Géorgie et la Russie, tels David et Goliath, s'affrontent depuis deux siècles (décembre 2006)


vendredi 15 décembre 2006, par Mirian Méloua

Les tensions entre la Géorgie (70 000 km2, 4 millions d'habitants) et la Russie (17 075 000 km2, 150 millions d'habitants) ont commencé en 1801, année de l'annexion de la Géorgie par la Russie. Durant les périodes d'indépendance géorgienne (de 1918 à 1921 et après 1990) la Russie en a parfois été à l'origine ; aux autres périodes la Géorgie n'a jamais oublié de se manifester. Le climat ne fut jamais serein : pas plus que leurs prédécesseurs, Mikheïl Saakachvili et Vladimir Poutine ne trouvent aujourd'hui d'entente.

Les Géorgiens et les velléités russes

Le soutien russe aux sécessionnistes géorgiens en Abkhazie et en Ossétie du Sud (porteurs de passeports russes depuis peu), le maintien du visa à l'entrée de la Russie pour les citoyens géorgiens (rare nationalité de la CEI dans ce cas), l'embargo décidé le 7 mai 2006 par la Russie sur l'importation des produits géorgiens (vins, alcool, eaux minérales ...), la suspension le 2 octobre 2006 par la Russie des transports aériens, ferroviaires, routiers et maritimes avec la Géorgie, la suspension à la même date des échanges postaux, le besoin de contrôler au 4ème trimestre 2006 les Géorgiens résidant en Russie, l'augmentation du prix de gaz russe pour la Géorgie annoncée le 3 novembre 2006 (quadruplement en 2 années) seraient selon Tbilissi l'expression d'une Russie qui n'aurait toujours pas accepté le principe du retour à l'indépendance de la Géorgie.

La présence militaire russe s'éteindra
-  fin 2006 pour le Quartier Général de Transcaucasie, à Tbilissi (1),
-  le 1er octobre 2007 pour la 62éme base d'Akhalkalaki au Sud de la Géorgie (2),
-  le 1er octobre 2008 pour la 12éme base de Batoumi au Sud Ouest de la Géorgie (2).

La base de Vaziani est évacuée depuis plusieurs années, celle de Goudaouta (Abkhazie) est réputée l'être sans qu'elle puisse être visitée. Pierre Lelouche, député français et président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, s'en est vu refuser l'accès en 2006.

Les forces de paix russes restent en Abkhazie et en Ossétie du Sud sans qu'elles puissent être évaluées avec précision, certainement supérieures à un millier d'hommes, sans compter les groupes paramilitaires venus de la Fédération de Russie et n'appartenant pas à l'armée régulière russe.

Edouard Chévardnadzé, ancien ministre des Affaires étrangères de l'URSS (3) et ancien président de la Géorgie, disait en privé "le complexe militaro-industriel russe ne me pardonnera jamais d'avoir oeuvré à l'évacuation de l'Armée rouge d'Europe de l'Est sous l'autorité de Mikhaïl Gorbatchev, moi un Géorgien". Mikheïl Saakachvili s'est peut-être attiré les mêmes inimitiés en laissant Salomé Zourabichvili négocier, en 2005, l'évacuation à terme de l'armée russe de Géorgie, à l'exception de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud.

Les Russes et les velléités géorgiennes

Le maintien de forces de paix russes, l'utilisation de la monnaie et de la langue russes, le rattachement à la Russie seraient selon Moscou le souhait des populations abkhazes (150 à 200 000 personnes) (4) et ossètes du Sud (50 à 100 000 personnes). Les transferts de devises initiés par les émigrés économiques géorgiens entre la Russie et la Géorgie représenteraient 20% du Produit intérieur brut géorgien, soit plus que toute l'aide internationale réunie. La qualité sanitaire des produits géorgiens expliquerait l'embargo russe. Les quatre officiers russes arrêtés à Tbilissi, et renvoyés en Russie en septembre 2006, n'appartenaient pas aux services de renseignements militaires mais préparaient l'évacuation des troupes russes. Les augmentations de prix proposées par Gazprom à la Géorgie correspondraient, toujours selon Moscou, au rattrapage des cours mondiaux.

Les récentes chasses aux Caucasiens à Saint-Pétersbourg et à Moscou (jusque dans les écoles) ne seraient que des opérations de contrôle d'immigration afin de différencier clandestins et réguliers (5). Les rapatriement aéroportés vers la Géorgie, via un pays tiers, obéiraient aux règles internationales.

La communauté internationale, et les intérêts nationaux

Si la communauté internationale (Nations Unies, OSCE, Conseil de l'Europe, Union Européenne, OTAN) reconnaît la souveraineté de la Géorgie sur les territoires abkhazes et ossètes du Sud (et ignore les sécessionnistes), elle est fort embarrassée depuis une quinzaine d'années pour trouver une solution. Les résolutions du type "Entendez-vous entre ex-belligérants" se succèdent sans grand succès.

Si les anciens pays d'Europe de l'Est sont généralement partisans d'une entrée proche de la Géorgie dans l'OTAN, ceux qui proviennent d'Europe occidentale (et plus particulièrement la France) sont réservés à l'égard d'un élargissement de l'Alliance.

Si la France encourage la politique de bon voisinage de l'Union Européenne avec la Géorgie, elle se garde bien de déplaire à la Russie, en particulier sur les questions abkhazes et ossètes du Sud.

L'affaiblissement de la position de George W. Bush a certainement constitué un élément de durcissement de la position de Vladimir Poutine vis-à-vis de la Géorgie. Non seulement le statu quo abkhaze et ossète du Sud lui convient, mais il repousse de facto toute adhésion géorgienne à l'OTAN : l'Alliance ne peut accueillir un pays sur le territoire duquel un conflit n'est pas résolu, toute présence indésirable dans l'Etranger proche russe serait ainsi retardée.

Le climat de la réunion de l'OSCE, à Bruxelles, le 4 décembre 2006, fut qualifié de digne de la guerre froide, le ministre russe des Affaires étrangères précisant publiquement que ce n'était pas le cadre pour faire avancer les solutions abkhazes et ossètes du Sud.

En termes d'énergie, la stratégie russe peut se durcir dans le Caucase Sud sans risque réel de voir son allié iranien se substituer à elle (Téhéran a trop besoin de Moscou pour son dossier nucléaire) et sans risque de voir la diplomatie américaine s'en offusquer trop fort. Washington se contenterait de garder l'Iran éloigné du Caucase Sud et d'inciter la Turquie à libérer quelques contingents de gaz en provenance d'Azerbaïdjan au bénéfice de la Géorgie.

Les situations politiques intérieures russes et géorgiennes

Les groupes de pression qui se préparent aux échéances présidentielles russes de 2008, si divisés qu'ils soient, s'accordent à constater que le président des Etats-Unis dispose d'un peu moins de liberté pour soutenir la Géorgie. Profitant de cette évolution, ils ont peut-être trouvé à moindre risque le thème qui rassemblerait les Russes derrière leurs candidats respectifs. Lors des précédentes élections, le thème de la Tchétchénie terroriste n'avait-il pas rassemblé derrière Vladimir Poutine ?

De toute manière, l'ingratitude géorgienne vis-à-vis de la Russie ne peut que réunir les tenants du panslavisme (à l'extrême droite de l'échiquier politique), les populations (souvent nostalgiques de l'époque soviétique) qui ont vu leurs conditions économiques se dégrader et attribuent la situation aux immigrés caucasiens, le complexe militaro-industriel qui vit mal l'évacuation de l'armée de Géorgie (et l'implantation des Etats-Unis sous couvert de l'OTAN).

En Géorgie, bien que les élections présidentielles soient plus lointaines, les élections législatives devraient se dérouler en 2008 : tout comme lors des élections territoriales de 2006, les tensions avec la Russie favoriseraient une victoire de la majorité.

Le départ du gouvernement géorgien d'un jeune ministre de la Défense (33 ans), originaire de la région sécessionniste d'Ossétie du Sud et considéré comme le chef de file des faucons est parfois considéré comme un signe de détente. Son remplacement par l'ancien patron de la Police financière (29 ans), organisateur de brigades munies de cagoules, armées de Kalachnikov et intervenant en commando auprès des grands fraudeurs fiscaux ne confirme pas.

Rien n'est réglé sur le fond, à l'exception de l'évacuation pour fin 2008 de l'armée russe du territoire contrôlé par Tbilissi. Pour la résolution des questions abkhazes et ossètes, David devra faire preuve de persévérance, Goliath comptant sur l'usure du temps.

*

Notes :

(1) Au printemps 2006, les Géorgiens ont pu entrevoir une trentaine de convois routiers et ferroviaires qui commençaient à évacuer les 12 et 62èmes bases militaires russes vers la Russie via l'Azerbaïdjan (358 véhicules dont 113 blindés et chars) et vers l'Arménie (369 véhicules dont 35 blindés et chars vers la 102éme base russe de Gumri), et pas moins de 2626 tonnes d'équipement et de munitions.

(2) A l'automne 2006, c'était le tour de trois convois ferroviaires qui commençaient à évacuer le Quartier général russe de Tbilissi vers la Russie via l'Azerbaïdjan (100 véhicules, 350 tonnes d'équipement et de munitions, 387 hommes).

(3) Edouard Chévardnadzé avait lié des relations priviliégiées avec James Baker, secrétaire d'Etat de George Bush père. Le retour de James Baker sur la scène politique, à la tête de la commission concernant l'Irak, pourrait donner une sensibilité complémentaire à la diplomatie américaine sur les affaires géorgiennes.

(4) 200 à 300 000 Géorgiens furent expulsés d'Abkhazie par la force au début des années 1990, avec 10 000 morts. Leur retour entraînerait un changement de majorité ethnique.

(5) Un million de personnes d'origine géorgienne vivrait en Russie. Les uns ont gardé leur nationalité, d'autres se sont russifiés : la plupart aurait souhaité une normalisation des relations d'Etat à Etat, à l'exception de quelques opposants politiques, comme l'ancien chef de la sécurité du président Chévardnadzé (et auteur présumé d'un attentat contre son patron) ou l'ancien dirigeant de l'Adjarie. Par ailleurs, plusieurs personnalités d'origine géorgienne sont proches du pouvoir russe comme l'ancien ambassadeur de Russie en Géorgie, le président de l'Académie des Beaux-Arts de Moscou ou différents hommes d'affaire : certains de ces derniers se sont désengagés de la Russie comme le ministre géorgien actuel des Réformes économiques ou l'ancien propriétaire du journal Kommersant, un temps sollicité pour la mairie de Tbilissi.



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