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Serbie-et-Monténégro : un avenir incertain
lundi 31 mai 2004, par Hervé Collet
L'État commun de Serbie-et-Monténégro est confronté à trois défis majeurs :
L'échelon « fédéral » vient de renouveler ses instances dirigeantes, mais a du mal à fonctionner en tant qu'union de deux républiques dissemblables
La Serbie va enfin se doter d'un président dans quelques jours (scrutins des 13 et 27 juin), mais il s'agira peut-être d'un radical proche de Milosevic
Les autorités monténégrines rêvent toujours d'un référendum d'indépendance au printemps 2005, ce qui peut faire éclater l'Union.
Une union qui a du mal à fonctionner
L'État de Serbie-et-Monténégro a renouvelé ses instances dirigeantes en avril 2004, suite aux élections serbes du 28 décembre 2003. Rappelons que le Parlement de l'Union est monocaméral. Il est composé de cent-vingt-six députés, dont quatre-vingt-onze pour la Serbie et trente-cinq pour le Monténégro. Pendant une période transitoire de deux ans, les membres de ce Parlement sont désignés, à la proportionnelle, par les partis politiques représentés aux Parlements de chacune des deux républiques composant l'Union. Il est actuellement composé de la façon suivante : Serbie : 30 SRS, 20 DSS, 13 DS, 12 G17+, 8 SPO - NS, 8 SPS. Monténégro : 15 DPS, 9 SNP, 4 SDP CG, 2 NS, 2 LSCG, 2 DSS CG. Son président est M. Dragoljub Micunovic (Serbie, DS/Centre démocratique). Il est prévu dans la Charte constitutive de l'État commun de Serbie-et-Monténégro que le Parlement de l'Union soit élu au suffrage universel direct au bout de deux ans, c'est-à-dire au début de 2005.
Par consensus entre les deux républiques et entre les partis composant le Parlement de l'État commun, un nouveau gouvernement de cinq ministres « fédéraux » a été désigné le 17 avril. Il est composé des personnalités suivantes : M. Vuk Draskovic (Affaires étrangères, Serbie, SPO), M. Prvoslav Davinic (Défense, Serbie, G17 +), M. Predrag Ivanovic, (Relations économiques internationales, Monténégro, expert indépendant), M. Amir Nurkovic (Relations économiques internes, Monténégro, SDP) et M. Rasim Ljajic (Protection des droits de l'Homme et des Minorités, Serbie, Parti Démocratique du Sandjak). Pour compenser le fait que la Serbie cumule deux postes stratégiquement importants (Affaires étrangères et Défense), un poste de vice-ministre des Affaires étrangères a été confié à un Monténégrin, M. Predrag Boskovic. Le cabinet des ministres est présidé par M. Svetozar Marovic, président de l'État de Serbie-et-Monténégro (Monténégro, DPS), élu en mars 2003.
Le premier défi que doit relever cette Union de Serbie et Monténégro est de fonctionner comme un seul et unique État, avec la création d'un espace économique unifié, d'une monnaie unique et d'institutions communes qui soient efficientes. Or, chacune des républiques composantes a ses propres lois, sa propre monnaie, ses propres douanes. La tâche est immense et l'on observe peu d'enthousiasme, de part et d'autre, à harmoniser les législations et les pratiques.
Le deuxième enjeu est d'adhérer, à terme plus ou moins rapproché, à l'Union Européenne. Environ 80.000 pages de textes législatifs devraient être approuvées pour préparer les économies des deux États à une compétition au sein d'un marché unique européen. À ce jour, la Serbie et le Monténégro ont rédigé quelques lois importantes, mais bien peu a été fait pour les appliquer. L'Europe exige par ailleurs des réformes dans des secteurs importants comme la justice, la police et l'armée. Enfin, elle demande une pleine et complète coopération avec le tribunal de La Haye. Les dirigeants monténégrins pensent que les deux systèmes économiques sont trop divergents pour répondre aux exigences de Bruxelles. Pour eux, une meilleure voie vers l'Europe passerait par des programmes séparés pour un Accord d'Association et de Stabilisation distinct pour chaque État. Mais l'Union Européenne tient bon.
La Serbie en quête d'un président démocrate
La Serbie est sans Président depuis décembre 2002, date de l'expiration du mandat de Milan Milutinovic, actuellement en détention à La Haye. Pour la troisième fois consécutive en treize mois, après les scrutins des 13 octobre et 8 décembre 2002, qui tous deux avaient vu la victoire de Vojislav Kostunica, ancien Président de la République de la Fédération de Yougoslavie et candidat du Parti démocratique de Serbie (DSS), l'élection présidentielle serbe avait été invalidée, faute d'une participation suffisante. Un nouveau scrutin est fixé pour le 13 juin (deuxième tour le 27).
Le résultat s'annonce incertain, d'autant que 13 candidats sont en lice et que les formations démocrates sont très divisées. Le risque est grand que cette dispersion et cette division profitent au candidat radical, Tomislav Nikolic. Le 16 novembre 2003, ce dernier avait recueilli 45 % des suffrages exprimés à l'élection présidentielle, devançant largement Dragoljub Micunovic, candidat de la coalition au pouvoir à l'époque - Opposition Démocratique de Serbie (DOS), regroupant une quinzaine de formations politiques - qui avait obtenu 36 % des voix. Le deuxième tour se jouera probablement entre Tomislav Nikolic et celui des deux principaux candidats démocrates qui sera arrivé en tête, à savoir Dragan Marsicanin ou Boris Tadic :
Dragan Marsicanin est le candidat de la coalition au pouvoir, rassemblant le Parti démocratique de Serbie (DSS), le G17+ du vice-Premier ministre Miroljub Labus et le Mouvement du renouveau serbe-Nouvelle Serbie (SPO-NS) de l'écrivain Vuk Draskovic, devenu ministre des Affaires Étrangères de l'État commun. La logique voudrait qu'il arrive en tête, dans la foulée de la victoire obtenue en décembre 2003, où la coalition avait totalisé (d'une manière séparée, il est vrai) environ 42 % des suffrages.
Boris Tadic, ancien ministre « fédéral » de la Défense et leader du Parti démocratique (DS) après l'assassinat du Premier ministre Zoran Djindjic, le 12 mars 2003, a déclaré se présenter pour tenter de « stopper la montée du nationalisme », visant ainsi non seulement la candidature de Tomislav Nikolic ou d'Ivica Dacic (leader du SPS, ancien parti de Slobodan Milosevic), mais aussi celle du représentant de la coalition au pouvoir. Sa formation est dans l'opposition, faute d'être parvenue à s'entendre avec le DSS du Premier ministre Vojislav Kostunica nommé après les élections législatives du 28 décembre 2003. Tadic envisage ce scrutin comme un « troisième tour » des élections de décembre et compte rassembler les déçus du Gouvernement Kostunica. Mais il devra compter avec d'autres candidats démocrates ayant le même objectif, tels que Vladan Batic, leader du Parti Démocrate Chrétien ou Ljiljana Arandjelovic, directrice de la radio et télévision Cuprija et candidate du Parti Serbie Unie.
Tout dépendra du report des voix au deuxième tour. Il n'est pas sûr que toutes les formations démocrates appellent à voter en faveur du candidat arrivé en tête, et surtout, il n'est pas acquis que leur électorat les suive - les scrutins précédents le démontrent. Une victoire de Tomislav Nikokic n'empêcherait pas la poursuite des réformes menées par le gouvernement de Vojislav Kostunica : les compétences du Président sont limitées en Serbie , surtout depuis la création de l'Etat de Serbie-et -Monténégro. Mais elle porterait un coup sérieux à l'image du pays, elle rendrait plus difficile un rapprochement avec l'Union européenne et la communauté occidentale, et surtout, elle encouragerait les velléités séparatistes du Monténégro.
Le Monténégro tenté par l'indépendance
La coalition au pouvoir au Monténégro, qui comprend le Parti Démocratique des Socialistes (DPS) de Milo Djukanovic et le Parti Social-Démocratique (SDP), dirigé par Ranko Krivokapic, a assis jusqu'à présent son audience politique sur l'idée d'indépendance de la république. Elle a été contrainte, sous la pression de la communauté internationale, de « surseoir » à ce projet, mais elle est loin d'y avoir renoncé. L'accord de Belgrade du 13 mars 2002 prévoit en effet la possibilité pour chacune des républiques composant l'Union, d'organiser au bout de trois ans un référendum sur une éventuelle indépendance. Même si les autorités monténégrines ne se sont pas officiellement prononcé sur cette question, les principales personnalités responsables de la coalition au pouvoir ont laissé entendre depuis le début de l'année qu'elles entendaient mener à son terme le processus d'indépendance. Le SDP, bien que minoritaire au sein du Gouvernement, monte en première ligne pour la concrétisation de ce projet. En février dernier, Ranko Krivokapic, a déclaré à la presse que l'Union était un fardeau pour le Monténégro : « Elle freine l'intégration du Monténégro, elle ne contribue pas à la démocratisation et au contraire elle mène à la destruction ». Il a ajouté que l'Union coûterait aux électeurs monténégrins des millions d'euros en plus. À elle seule, l'harmonisation des tarifs douaniers de la Serbie et du Monténégro coûterait à la petite république 20 millions d'euros. Il a précisé que la république perdrait aussi de l'argent en finançant l'armée commune. « Cela va se monter au total à plus de 80 millions d'euros de dépenses ». De son côté, M. Svetozar Marovic, président de l'Union de Serbie-et-Monténégro, lors d'une interview donnée à la presse monténégrine, le 17 mars, a clairement affirmé ses sympathies pour un Monténégro indépendant : « Je suis né au Monténégro et je me sens Monténégrin. Je vois l'avenir dans le droit pour le Monténégro de choisir son chemin en toute indépendance ». Milo Djukanovic, dans le cadre d'une visite aux USA a affirmé à la Voix de l'Amérique : « La Serbie et le Monténégro devraient s'engager en Europe et dans les accords euro-atlantiques en tant qu'Etats séparés. Si la Serbie et le Monténégro étaient indépendants l'un de l'autre, ils auraient déjà signé des Accords de Stabilisation et d'Association avec l'UE ». Il a confié à la TV monténégrine une semaine plus tard qu'il gardait confiance qu'un référendum aurait lieu dès la fin du moratoire de trois ans. Pour tâter le terrain, Ranko Krivokapic, a même déclaré, début mars, que ce référendum pourrait avoir lieu en mars de l'année prochaine.
Pourquoi mars 2005 ? C'est au début de 2005 que sont prévues les élections du Parlement de l'Union de Serbie-et-Monténégro au suffrage universel et les dirigeants actuels de la petite république ont toutes les chances de la perdre. Les électeurs qui soutiennent la coalition au pouvoir devraient boycotter ces élections, car ils soutiennent le projet d'un État indépendant. Leur abstention ouvrirait la porte à l'opposition pro-serbe, qui prendrait pied avec une forte majorité au Parlement « fédéral » et mettrait un frein à toute tentative future d'indépendance. Les autorités monténégrines s'appuieraient, pour lancer un référendum dès mars 2005, sur une lecture restrictive du moratoire de trois ans conclu à Belgrade. Certes cet accord est entré en vigueur en 2003, mais il a été signé en mars 2002 : « On peut donc procéder à un référendum dès mars 2005. Ce qui compte, dans les Balkans, c'est l'accord entre les parties signataires », déclare un dirigeant du DPS. Entre janvier ou février et mars 2005, il n'y aurait qu'un retard d'un ou deux mois. Ce même dirigeant ajoute que « c'est une question de logique : ce n'est pas la peine de demander aux électeurs d'élire le Parlement de l'Union si deux mois plus tard, cette Union doit être dissoute. Autant être fixé tout de suite ! ».
L'opposition ne l'entend pas de cette oreille et se déclare prête à mener une bataille politique et juridique contre cette argumentation. Elle fait valoir que le délai de trois ans court, non depuis l'accord de Belgrade, mais depuis la signature de la Charte constitutionnelle, en décembre 2002 : le retard de neuf mois est imputable à Djukanovic lui-même ! L'union Européenne, qui est co-signataire de l'Accord de Belgrade, va encore plus loin : le délai court à compter du moment où les institutions de l'État commun se sont mises en places, c'est-à-dire en mars 2003, ce qui repousse l'échéance à mars 2006.
Une partie de bras de fer risque donc de s'engager entre l'équipe au pouvoir à Podgorica et l'Union Européenne. Il y a tout lieu de penser que Djukanovic table moins sur l'appui de Bruxelles que sur celui de Washington qui, même s'il est tenu officiellement de soutenir la position de l'UE, serait ravi de ce coin ainsi enfoncé dans la politique européenne. Le débat sera en tout état de cause tranché par l'électorat monténégrin. Le résultat du référendum est loin d'être acquis : le sondage le plus récent, d'avril 2004, donne 39,8 % aux partisans de l'indépendance contre 39,7 % à leurs adversaires. C'est dire que l'avenir du Monténégro, et au-delà de lui, de l'État de Serbie-et-Monténégro reste plus que jamais incertain.
Hervé Collet.
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