Géorgie : le Parlement adopte un texte visant à l'évacuation des bases russes (mars 2005)
vendredi 11 mars 2005, par Hervé Collet
Jeudi 10 mars, le Parlement géorgien a adopté une résolution sur les bases militaires de la Fédération de Russie sur le territoire de la Géorgie.
Rappelons qu'après le démantèlement de la base russe de Goudaouta (Abkhazie), la Russie garde toujours deux autres bases en Géorgie, l'une à Batoumi (Adjarie) et l'autre à Akhalkalaki (à proximité de la frontière arménienne). D'autre part, à Tbilissi siège l'état-major du Groupe des forces russes de Transcaucasie.
La présidente du parlement géorgien, Nino Bourdjanadze, avait prévenu son homologue russe, Boris Gryzlov, que les bases russes pourraient être déclarées hors la loi. Bourdjanadzé et Gryzlov s'étaient entretenus à Vienne, à la session de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. La déclaration de Bourdjanadzé a suivi peu après un voyage de travail du ministre russe Serguéi Lavrov en Géorgie (17-18 février). L'incompréhension qui avait précédé cette visite s'est traduite notamment par le fait que certains députés géorgiens ont demandé de bloquer l'activité des bases militaires russes. Selon une information officieuse, au cours de la visite de Lavrov en Géorgie les deux parties se seraient entendues pour mettre en place à l'intention des militaires russes un régime simplifié d'entrée en Géorgie, mais cette entente n'a encore pas commencé à être matérialisée.
Un texte comminatoire
Le projet de résolution avait été préparé par trois comités : pour les relations extérieures, pour les questions juridiques et pour la défense et la sécurité.
Dans le projet définitif, il est stipulé que "les bases militaires russes doivent quitter la Géorgie : telle est la volonté du gouvernement et du peuple de Géorgie".
Par rapport à la première version du texte, le délai accordé aux parties russe et géorgienne pour s'entendre sur le délai du retrait des bases a été prolongé du 1er au 15 mai prochain.
On lit notamment dans le texte de la résolution : "En cas d'absence d'ententes sur les délais du retrait des bases d'ici le 15 mai prochain exiger de la Fédération de Russie qu'elle suspende sa présence militaire sur le territoire de la Géorgie d'ici le 1er janvier 2006. Si d'ici le 15 mai 2005, on n'arrive pas à s'entendre avec la Fédération de Russie sur les délais concrets du retrait des bases, délais qui arrangent la partie géorgienne, le Parlement charge les autorités exécutives de la Géorgie d'adopter les mesures prévue par la législation en vigueur » (visant notamment à bloquer l'activité des militaires russes en Géorgie : refus de leur accorder le visa d'entrée nécessaire à la rotation du personnel, coupure de l'approvisionnement en eau et en électricité, etc).
Dans ce but, le ministère des Affaires étrangères de la Géorgie est chargé de suspendre la délivrance des visas d'entrée sur le territoire géorgien. Le ministère des Finances est chargé d'établir le montant de l'endettement financier des bases militaires russes vis-à-vis du budget géorgien et d'évaluer cet endettement à titre de dette d'Etat de la Russie face à la Géorgie. Les ministères de la Défense et de l'Intérieur doivent, eux, élaborer un régime spécial de la circulation du matériel de guerre, des cargaisons militaires et des effectifs de l'armée de Russie à travers le territoire de la Géorgie. Lesdits ministères doivent aussi instaurer leur contrôle sur la mise en application du régime en question. Le ministère de l'Intérieur et le Parquet général de la Géorgie sont chargés d'étudier tous les faits de violation de la législation géorgienne par des militaires russes et d'y réagir juridiquement en conséquence. Le ministère de la Protection de l'environnement est chargé d'évaluer l'envergure du dommage infligé par les exercices militaires sur les polygones se trouvant provisoirement en disposition de la Russie aux bases militaires en Géorgie.
Les réactions russes
La Russie a déjà annoncé qu'elle n'accepterait pas le langage de l'ultimatum pour régler le problème du retrait de ses bases.
Guennadi Ziouganov estime que la Géorgie applique une politique erronée à l'égard des bases militaires russes. "La Russie insistera pour que les bases militaires russes restent sur le territoire géorgien le plus longtemps possible", a déclaré, le 10 mars, le président de la Douma d'Etat (chambre basse du parlement russe), Boris Gryzlov.
"La principale question qui doit être discutée par les représentants de la Russie et de la Géorgie est celle de l'évacuation des bases et de la compensation pour les biens qui se trouvent sur le territoire géorgien. Jusqu'ici, aucune entente n'est intervenue ", a dit Boris Gryzlov.
Selon lui, il a été convenu que des experts russes et géorgiens prépareront d'ici deux mois des documents susceptibles de servir de base pour les discussions sur un éventuel statut des bases russes. Il a également relevé qu'un centre de lutte contre le terrorisme pourrait être créé au Caucase du Nord à partir des bases russes, notamment de celle de Batoumi (en Adjarie).
En même temps, selon une source haut placée au sein du ministère russe de la Défense, les bases militaires russes ne seront pas évacuées de la Géorgie avant trois ou quatre ans, après que de nouvelles brigades de chasseurs alpins seront créées au Caucase.
Le leader du groupe parlementaire du Parti communiste à la Douma d'Etat (chambre basse du parlement russe), Guennadi Ziouganov, avait déclaré le 9 mars, qu'il ne fallait pas se hâter d'évacuer les bases militaires russes du territoire géorgien. Pour lui, les bases russes jouent un rôle pacificateur et stabilisant dans cette région "extrêmement dangereuse".
Pour le leader du groupe de députés "Rodina" ("Patrie") à la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe), Dimitri Rogozine, interrogé par Ria-Novosti, les bases militaires russes en Géorgie constituent un facteur de stabilité sur l'ensemble du Caucase, "Le fait même de la présence des bases militaires, c'est la garantie pour la Russie que dans le Caucase, c'est-à-dire à proximité immédiate de la frontière russe et tout près de trois "points chauds" que sont notamment l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie (républiques autoproclamées sur le territoire de la Géorgie), ainsi que le Haut-Karabakh (région en Azerbaïdjan à population arménienne), la situation ne sera pas déstabilisée, et que des troupes étrangères n'y apparaîtront pas pour pratiquer une politique inamicale".
"Si la direction géorgienne pouvait nous donner les garanties que des militaires étrangers n'apparaîtront jamais sur le territoire de la Géorgie, nous pourrions évidemment considérer autrement la question du retrait de nos bases militaires du territoire géorgien", avait déjà déclaré Dimitri Rogozine, en commentant dans les couloirs de la Douma la déclaration de la direction géorgienne sur une éventuelle déclaration "hors la loi" des bases militaires russes en Géorgie. Cela dit, le député a précisé qu'il fallait s'entendre sur le fond quant au retrait des bases militaires. "Somme toute, il s'agit sans doute là d'une sorte de malentendu. Pour la Géorgie, la présence sur son territoire des bases militaires russes équivaut à la présence d'Etats étrangers sur son territoire, alors que pour la Russie, l'aspiration de la Géorgie à se débarrasser de ces bases militaires est une preuve d'attitude bel et bien inamicale".
De l'avis de certains experts, le délai du retrait des bases dépend pour une large part de la conclusion d'un accord entre les deux pays sur la création de centres antiterroristes communs. Moscou estime que ces centres doivent être créés en se fondant sur l'infrastructure existante, mais Tbilissi ne voit dans cette proposition qu'un "changement d'enseigne". D'autre part, la Géorgie estime qu'il ne peut s'agir d'aucun centre : elle est privée de toute composante militaire et disposée à créer une seule structure antiterroriste spécialisée dans l'information et l'analyse.
Le problème du retrait des bases dépend aussi de la capacité de Tbilissi à persuader Moscou qu'après le retrait, la Géorgie n'accordera pas son territoire pour y déployer d'autres bases étrangères. Sous ce rapport, Moscou insiste pour obliger la Géorgie de stipuler un engagement approprié dans le traité-cadre bilatéral dont la rédaction n'est pas encore achevée. La partie géorgienne refuse d'insérer un tel engagement dans ce document.
Les réactions géorgiennes
La Géorgie est disposée à participer partiellement au financement du retrait des bases militaires russes de son territoire, a déclaré le chef adjoint du comité de la défense et de la sécurité du parlement géorgien, Nikolaï Rouroua, en réponse aux déclarations du président de la chambre basse du parlement russe, Boris Gryzlov. Celui-ci, rappelons-le, avait affirmé que le principal problème auquel devaient s'atteler les représentants des deux pays était celui de la compensation pour le matériel qui restait sur le territoire de la Géorgie.
"Je ne comprends pas de quelle compensation le président de la Douma, Monsieur Gryzlov, a parlé aujourd'hui. S'il entendait par là le financement du retrait des bases, la Géorgie participera, naturellement, à ces dépenses", a déclaré Nikolaï Rouroua aux journalistes, en commentant les propos de B.Gryzlov.
Il a cependant ajouté que "la Russie reste redevable à la Géorgie de 300 à 400 millions de dollars de loyer et d'autres droits qu'elle ne verse pas".
Le président du comité des relations extérieures, Konstantin Gabachvili, estime, quant à lui, que la Géorgie ne doit rien à la Russie compte tenu des "deux siècles de domination" russe. "Je ne comprends absolument pas pourquoi la Géorgie doit payer la Russie pour les deux siècles de domination russe sur notre terre. Si une organisation internationale confirme qu'un pays annexé doit payer la domination d'un autre pays sur son territoire, nous serons prêts à y réfléchir", a-t-il déclaré aux journalistes.
Synthése de dépêches de RIA-Novosti en date des 9 et 10 mars, établie par Hervé Collet.
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