Le dynamisme de la diplomatie lituanienne
mardi 10 mai 2005
Un esprit curieux d'en savoir plus sur les événements qui se déroulent actuellement dans l'espace compris entre la Russie et l'Union Européenne, aura remarqué que l'on rencontrait souvent la diplomatie lituanienne dans les points chauds de cette partie de l'Europe.
Tout d'abord, il est bon de rappeler que la Commission de Bruxelles n'avait pas convié la Lituanie à la premiere vague d'ouverture à l'Est de l'Union Européenne. Ce n'est que lors du Conseil Européen d'Helsinki, le 10 Décembre 1999, que ce pays avait été invité à débuter les négociations d'adhésion. On sait ce qu'il en est advenu : la Lituanie a rejoint l'Union Européenne moins de cinq ans plus tard, le 1er Mai 2004, et présente aujourd'hui l'économie la plus dynamique des Nouveaux États Membres (NEM), se permettant des chiffres de croissance du PIB "à la chinoise" : 9,7 % en 2003, taux le plus élevé d'Europe, et 7,2 % en 2004.
Appuyée sur cette économie désormais performante, la Lituanie a repris son rôle historique de "pont" entre entre deux aires économiques et culturelles distinctes, l'une l'aire de Moscou, embrassant l'héritage des empires tsariste et communiste, l'autre l'aire de l'Europe démocratique dans son processus d'unification. Cette ambition de la "petite" Lituanie (qui est toutefois, rappelons-le, plus étendue que la Suisse, le Danemark ou tout le Bénélux) avait à l'époque fait sourire avec condescendance les chancelleries des "grands" pays de la "vieille Europe". C'était en quelque sorte "La Lituanie, combien de divisions ?".
Or, on constate aujourd'hui que la "petite" Lituanie est présente sur les fronts diplomatiques les plus chauds où beaucoup d'autres ne s'aventurent même pas.
Ce furent tout d'abord, lors de la "révolution orange" ukrainienne, les bons offices des présidents lituanien, Valdas Adamkus, et polonais, Aleksander Kwasniewski, en appui de Javier Solana, lors de tables rondes entre le pouvoir et l'opposition, fin novembre - debut décembre 2004. Après le succès que l'on connait d'un troisième tour non truqué d'élections présidentielles, l'Union Européenne est sortie grandie de cette épreuve et a ajouté de la crédibilité à sa politique de "nouveau voisinage". À l'inverse, la Russie, qui avait ouvertement, et bien que tardivement, soutenu le candidat du pouvoir, Viktor Ianoukovitch, est sortie affaiblie de la crise. De plus, non seulement Moscou, mais aussi Washington, devront désormais compter avec l'Union Européenne dans cette région.
Le 13 Avril, le ministre lituanien des Affaires Étrangères, Antanas Valionis, a rencontré à Kiev le Président ukrainien Viktor Ioushenko et son homologue des Affaires Étrangères, Borys Tarasyuk. Les deux parties ont échangé des idées pour intensifier le dialogue trilatéral entre la Lituanie, la Pologne et l'Ukraine, afin d'augmenter le soutien aux aspirations européennes et euro-atlantiques de l'Ukraine. L'idée de créer une assemblée parlementaire trilatérale, lancée en décembre 2004 par le président de la Seimas (le Parlement lituanien), Arturas Paulauskas, fait par ailleurs son chemin.
Ce fut aussi, encore plus récemment, la participation du président Adamkus au sommet du GUAM (Georgie-Ukraine-Azerbaijan-Moldavie) à Chisinau (Moldavie), a la mi-avril 2005. Le président géor-gien, Mikhail Saakashvili, a apporté un soutien appuyé à son homologue lituanien, soulignant que la Lituanie avait toujours été le chef de file du processus démocratique dans la région. Le président géorgien a par ailleurs soutenu la proposition de son homologue lituanien de faire apparaitre dans le communiqué final le droit du peuple biélorusse à pouvoir exprimer librement sa volonté.
La conséquence de ce dernier point ne s'est pas faite attendre. À Vilnius, lors de la rencontre des ministres des Affaires Étrangères de l'OTAN le 21 avril 2005, en compagnie du président Adamkus, que Condoleezza Rice a proclamé qu'après la Géorgie et l'Ukraine, "le temps du changement [était] venu pour la Biélorussie", qualifiant le régime de Loukachenko de "dernière dictature d'Europe". Rappelons que Minsk est seulement à 200 km de Vilnius. Le président Bush a fait d'ailleurs voter une "loi pour la démocratie", qui permet le financement par Washington d'ONG chargées de démocratiser la Biélorussie.
Ukraine, Moldavie, Biélorussie, pour qui connaît un tant soit peu l'histoire de la Lituanie, il est naturel d'y trouver là sa diplomatie. En effet, entre les XIIIème et XVème siècles, notamment sous le règne de Vytautas le Grand (1392 - 1430), la Lituanie a été le plus grand État d'Europe, s'étendant de la Baltique à la Mer Noire, englobant les actuels territories de la Biélorussie, de la Pologne, de l'Ukraine et de la Moldavie. Cette influence que la Lituanie, nouveau membre de l'Union Europeenne, cherche à retrouver aujourd'hui n'est qu'un juste retour à la tradition historique après des siècles passés d'abord à l'ombre de la cousine polonaise, puis sous le joug de la Russie, tsariste puis communiste.
Gilles Dutertre
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