Élection présidentielle biélorusse : et maintenant ? (mars 2006)
mardi 21 mars 2006
Alexandre Loukachenko a remporté "son" élection présidentielle avec 82,6 % des votes. Le représentant de l'opposition, Alyaksandr Milinkevich a qualifié le bilan de l'élection de « coup d'État anticonstitutionnel ». Vladimir Poutine a félicité Loukachenko pour sa réélection : « témoignant de la confiance accordée par les électeurs à la ligne que vous appliquez… ». L'OSCE, de son côté, a trouvé que la présidentielle a été ni libre ni démocratique. Par contre, le chef des observateurs de la CEI. (Communauté des États Indépendants) a estimé, lui, que les élections s'étaient déroulées en conformité avec la loi biélorusse. Les États-Unis ont ajouté la Biélorussie sur la liste des États voyous. Quant à l'Union Européenne, elle n'est pas parvenue à prendre une décision claire sur les sanctions à imposer à la Biélorussie. Bref, chacun est à la place où on l'attendait.
Mais que peut-il se passer maintenant ?
Sur le terrain, un village de tentes de manifestants de l'opposition a réussi à se monter dans la nuit du 20 au 21 mars sur la place d'Octobre à Minsk, sous l'étroite surveillance de la police. On pourrait donc penser à un scenario à l'ukrainienne. Que l'installation n'ait pas été détruite par la police est déjà une victoire en soi, mais un nombre important d'opposants ont toutefois été arrêtés au matin. Ils étaient 10 000 à manifester dimanche soir, 4 à 5 000 lundi soir, combien seront-ils ce soir (mardi 21 mars) ? Car on est loin des foules qui, à l'époque, avaient pris d'assaut le centre de Kiev. Le régime semble jouer sur le pourrissement de la situation, en mettant bien sûr des bâtons dans les roues des manifestants, mais en évitant - pour l'instant - une intervention directe trop musclée.
M. Milinkevich le reconnaissait : « Le plus important, c'est qu'il y ait une pression internationale, de la part des États-Unis, de l'Europe, de la Russie ».
Une pression de la Russie semble tout à fait illusoire, et, bien au contraire, le soutien appuyé de Moscou à Minsk reflète sa peur de perdre son allié le plus proche face à l'agrandissement de l'OTAN vers l'est. Mais, à côté des intérêts stratégiques, la Russie a bon nombre de raisons de soutenir Loukachenko :
Le Kremlin était inquiet de voir la répétition de la révolution orange ukrainienne qui a porté un Viktor Iouchtchenko pro-occidental au pouvoir en 2005 ;
Quelques observateurs disent également qu'en mettant Loukachenko en vedette, le régime de Poutine espère détourner l'attention de ses propres violations de droits ;
En outre, les liens étroits entre les deux régimes permet au géant gazier russe Gazprom de contrôler la section du pipeline Yamal - Europe qui transporte 10 % du gaz exporté par la Russie par l'Europe.
En retour, le « miracle économique » biélorusse repose, pour beaucoup, sur la possibilité de recevoir des matières énergétiques russes à vil prix et sur l'accès des exportations biélorusses au marché russe. La Biélorussie paye 47 US$ les 1 000 m2 de gaz (contre 230 US$ sur le marché mondial) et 27 US$ le baril de pétrole (contre un prix mondial moyen de 60 US$). Le gaz russe est d'ailleurs revendu 2 fois plus cher au consommateur biélorusse, la différence servant à alimenter le « fonds présidentiel » (source : Le Monde) L'Union Européenne, pour sa part, est divisée. Le 20 mars, la Lituanie, la République Tchèque et la Pologne ont insisté pour que l'UE refuse d'octroyer des visas aux personnalités les plus emblématiques du régime biélorusse, ainsi que pour imposer des sanctions économiques. Plus modérée, la présidence de l'Union a différé au 10 avril sa décision sur des sanctions plus ciblées. Cette retenue des « grands pays », France et Allemagne en tête, agace les nouveaux États membres, toujours prompts à dénoncer l'alliance stratégique entre Moscou et Bruxelles.
Enfin, on ne voit pas quel autre type de sanctions les États-Unis, déjà empêtrés en Iraq et voyant se profiler un nouveau front face à l'Iran, pourraient opposer à la « dernière dictature en Europe ».
Il faut donc sans doute se faire à l'idée que Loukachenko est président de la Biélorussie jusqu'au moins 2011. Reste à la communauté internationale la responsabilité de faire en sorte que l'opposition démocratique ne se fasse pas écraser, physiquement ou moralement.
Gilles Dutertre
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