Monténégro : l'irrésistible renaissance de la souveraineté nationale (2006)
mercredi 29 novembre 2006, par Hervé Collet
Le Monténégro, dernier-né des États européens, a recouvré son indépendance le 11 juillet 2006, après avoir décidé, le 21 mai, lors d'un référendum, de se séparer de la Serbie. Ainsi se conclut l'odyssée de deux peuples jumeaux que les contingences historiques ont tour à tour séparés et réunis sous la contrainte.
Un État historiquement indépendant
Les victoires ottomanes de la fin du XIVème siècle (bataille historique du Kosovo en 1389) séparent Serbes du nord, placés sous domination directe de la Sublime Porte, et Serbes du sud protégés par le relief montagneux (massif du Durmitor). Ces derniers connaissent alors une évolution culturelle, religieuse et administrative spécifique et prennent au fil des temps l'appellation de Monténégrins : le nom Monténégro - en serbe Cerna Gora, la Montagne Noire - est pour la première fois mentionné au XVème siècle. Pendant les quatre siècles suivants, le Monténégro bénéficie d'un statut de principauté indépendante, bien que placée théoriquement sous la suzeraineté de l'empire ottoman. La résistance de ce territoire aux attaques turques a pour résultat de renforcer sa dimension d'État, ce qui lui vaut d'être reconnu internationalement en 1878. Il est déclaré royaume le 1er août 1910, sous le règne de Nikola 1er, de la dynastie des Petrovic. Le Monténégro a donc fonctionné pendant quarante ans comme un État à part entière - au même titre que la France ou l'Angleterre - avec Cetinje comme capitale, où se sont installées les délégations étrangères. Pendant la 1ère guerre mondiale, allié aux Serbes dans les guerres balkaniques et contre Vienne, son territoire est envahi par l'armée autrichienne en 1915. Le démembrement de l'empire austro-hongrois entraîne la création de nouveaux États balkaniques. Le Monténégro est alors rattaché au Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes - qui comprend les deux royaumes de Serbie et du Monténégro, ainsi que des territoires croates, la Dalmatie, la Bosnie-Herzégovine et la Slovénie. Pendant la 2ème guerre mondiale, le Monténégro combat aux côtés des Forces Alliées. En 1948, il devient l'une des six républiques constitutives de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie (RSFY), créée par le Maréchal Tito, chacune conservant une certaine autonomie administrative et budgétaire.
En 1992, après la dissolution de l'ex-Yougoslavie, alors que les autres provinces choisissent de devenir indépendantes, les citoyens du Monténégro décident par référendum de conserver le pays au sein de la nouvelle République Fédérative de Yougoslavie, dont la constitution a été adoptée par le Parlement fédéral le 27 avril 1992, aux côtés de la République de Serbie. À cette époque, Milo Djukanovic est premier ministre de la province du Monténégro et plaide en faveur du maintien de la Fédération yougoslave (qui sera réduite à la Serbie et au Monténégro). Issu de la Ligue des Communistes, qui s'est muée en Parti démocratique des Socialistes du Monténégro (DPS), il joue en effet la carte de l'alliance avec Milosevic. Il se sépare de ce dernier en 1996-97, alors que la Serbie voit monter en puissance les forces d'opposition.
Le plan de reconquête de la souveraineté nationale
Peu à peu, Djukanovic prépare les bases d'une indépendance politique et économique du pays : il se dote d'une « police » - qui constitue en réalité une véritable armée - et d'une administration publique, avec des modes de financement sur lesquels tous les acteurs de la vie politique - opposition comprise - s'accordent à fermer le yeux. Lors de la confrontation de la Serbie avec l'OTAN, le Monténégro - fortement appuyé par les États-Unis - est un allié de la communauté internationale.
La fin des hostilités et la chute de Milosevic redistribuent les cartes. La communauté internationale n'est pas disposée à multiplier le nombre d'États reconnus, surtout en Europe centrale, où les tentations séparatistes sont nombreuses (cas, en particulier, du Kosovo). Elle impose au Monténégro de rester lié à la Serbie. Le 13 mars 2002, les deux pays signent à Belgrade, sous la pression internationale, un accord visant à former un nouvel État, officiellement baptisé Serbie-et-Monténégro. Les espoirs d'indépendance semblent s'évanouir. L'accord de Belgrade prévoit bien la possibilité pour chacune des républiques composant l'Union d'organiser au bout de trois ans un référendum sur une éventuelle indépendance. Mais l'Union européenne prend soin de bloquer les velléités de séparatisme en imposant un seuil de 55 % en cas de référendum au Monténégro pour reconnaître le nouvel État. Jusqu'à présent, les sondages en faveur de l'indépendance n'ont jamais réussi à dépasser 51/52 % et ce seuil apparaît comme infranchissable. Mais c'est sans compter sur la détermination de Djukanovic. On connaît la suite : le 22 février 2006, les autorités du Monténégro - arguant que le nouvel État commun ne fonctionne pas - font savoir qu'elles proposent à la Serbie de se séparer à l'amiable et qu'elles envisagent d'organiser un référendum en ce sens. La consultation populaire se tient le 21 mai. Avec une participation record de 86,6 %, le oui obtient 55,4 % des voix, dépassant de peu le seuil exigé par l'Union Européenne. Le Monténégro recouvre son indépendance. La communauté internationale la reconnaît, au risque d'entraîner un « effet domino » sur tous les territoires d'Europe ou du Caucase « à statut particulier ». Mais elle s'appuie sur le fait qu'il s'agit d'un retour aux sources et non d'un « séparatisme ». L'équipe au pouvoir, dans la foulée, gagne les élections législatives du 10 septembre. À la surprise générale, son chef, Djukanovic, déclare le 3 octobre qu'il ne souhaite pas se représenter en tant que Premier ministre. Ainsi se retire, sur la pointe des pieds, celui qui aura été, contre vents et marées, l'architecte de la renaissance de l'État monténégrin.
Hervé Collet, rédacteur en chef du site Internet du COLISEE. Article à paraître dans les Annales de la Gouvernance, édité par l'Institut pour un nouveau débat sur la gouvernance (IRG), en avril 2007.
NB. L'IRG, une initiative de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme, est un espace de débat international et interculturel sur la gouvernance. Au croisement de différentes écoles de pensée et de diverses approches culturelles, l'Institut stimule l'échange entre chercheurs, universitaires, journalistes, professionnels de la fonction publique, des organisations internationales, de la société civile, etc. Au service de cette ambition, une base de données sur Internet, des publications, des rencontres internationales, le soutien à des travaux d'étudiants et à des échanges inter-universitaires.
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