L'Islam de Macédoine vit une situation troublée
dimanche 15 octobre 2006
Il semble que des divisions profondes minent la Communauté islamique de Macédoine qui en principe se réfère au sunnisme. Depuis le début des années 1990, la confrérie bektashi, depuis toujours présente dans le pays se fait fort remarquer par son association à l'identité nationale albanaise. Il s'y ajoute l'implantation plus récente des mouvements comme les fethullaci venus de Turquie (courant moderniste depuis le XVIIIe siècle) et proches des dirigeants actuels de cette dernière, ainsi que différents courants salafistes (des charismatiques dans le langage chrétien).
Une aile radicale guidée par l'ancien mufti de Skopje cherche à prendre le pouvoir. Mais d'autres imams résistent à la dérive extrémiste que représenterait cette prise de pouvoir. Depuis le début de 2004, la Communauté islamique de Macédoine est lacérée de divisions internes. L'organisation, qui représente les croyants musulmans du pays, a même connu au cours des derniers mois des affrontements de plus en plus violents : passages à tabac, enlèvements, menaces, autant de signaux perçus comme alarmants et préoccupants par les autorités locales et les services de renseignement occidentaux.
Il est difficile de se faire une idée précise des événements, ainsi que des personnes impliquées. Tout porte à croire qu'une aile radicale, guidée par le controversé Zenun Berisha, ancien mufti de Skopje, cherche à prendre la tête de la Communauté sans se préoccuper des moyens qu'elle déploie pour atteindre cet objectif. Zenun Berisha a été élu mufti de Skopje il y a plusieurs années, lors d'élections dans lesquelles beaucoup ont perçu de la manipulation, mais qui ont néanmoins été reconnues par le Reis-ul-Ulema Arif Emini, principal représentant de la communauté musulmane du pays. Berisha a ensuite été accusé d'avoir géré sa charge en autocrate. En 2003, par exemple, il a bloqué le salaire des imams pour ne pas avoir reçu leur soutien à l'une de ses propositions. Berisha a préféré travailler avec un cercle fermé de personnes qui lui sont fidèles. La persistance de cette situation a conduit la communauté des imams à demander au Reis Emini la révocation de Berisha. En octobre 2005, 150 religieux ont signé une pétition allant dans ce sens. Sans résultat. Les imams « dissidents » ont poursuivi leur action en élisant celui qui devait être le successeur de Berisha, Taxhedin Beslimi. Mais ce dernier n'est jamais entré en fonction. Berisha a refusé de lui céder son poste. De son côté, le Reis Emini a adopté une position en retrait et n'a, de fait, jamais levé d'obstacles contre Berisha. Il s'est réfugié derrière des raisons de santé (ce que, selon les imams, il fait souvent quand la situation est difficile) et a évité les journalistes. Beaucoup estiment que le Reis Emini s'est comporté ainsi afin de protéger sa vie.
En septembre 2004, selon un article publié dans la presse macédonienne, des hommes armés liés à Berisha auraient fait irruption dans les bureaux de la Communauté islamique et auraient menacé Emini avec des armes pour le pousser à engager des étrangers proches de l'univers du fondamentalisme islamique. Cette information n'a jamais connu de confirmation officielle. Mais le choc médiatique est venu de la publication par plusieurs quotidiens nationaux d'un entretien où il est question d'une madrasa (école islamique) du village de Kondovo (près de Skopje), financée par des pays arabes. Selon plusieurs services de renseignement européens, Berisha joue le jeu des Saoudiens, comme d'autres personnes en Europe orientale et occidentale, en favorisant l'apparition d'un Islam wahhabite (ce que l'on appellerait une orientation fondamentaliste chez les chrétiens). Suite à cette information, le ministre macédonien de l'Intérieur s'est contenté de confirmer qu'il y avait des craintes liées à l'implantation d'un Islam radical en Macédoine.
De nouvelles élections ont été programmées à la mi-juin 2005 dans la madrasa de Kondovo pour désigner le nouveau mufti de Skopje. Mais le scrutin a été interrompu par des hommes armés qui auraient tiré en l'air, ainsi que menacé et frappé Arif Emini. Quelques jours plus tard, le Président de l'assemblée de la Communauté islamique, Metin Izeti, a démissionné en avançant « l'impossibilité de remplir sa fonction. » La semaine suivante, le Reis Emini a pris la même décision, pour les mêmes raisons mais aussi pour des problèmes de santé. La Communauté islamique est donc à présent dépourvue de guide. Les imams qui avaient entrepris la résistance contre Berisha ont formé un groupe dont le but est de maintenir une présence stable dans les bureaux de la Communauté en la surveillant jour et nuit.
Au cours des jours suivants, les représentants de la Communauté islamique ont élu comme président ad interim Ruzhdi Ljata, un imam de Debar. Sa fonction aurait été de guider la Communauté jusqu'aux élections prévues pour la fin du mois de juillet 2005. Mais dix jours après sa nomination, Ljata a donné sa démission en expliquant avoir reçu des menaces de mort et avoir été suivi régulièrement par des inconnus.
Récemment, Ali Ahmeti, le leader du BDI (Union Démocratique pour l'Intégration, qui représente la communauté albanaise dans la coalition gouvernementale), a rencontré Fatos Nano, le leader du parti socialiste albanais à Korca, en Albanie. Les deux hommes se sont dits préoccupés par l'apparition de « musulmans radicaux » à Kondovo.
Après plus d'un an de turbulences, les affrontements au sein de la Communauté islamique de Macédoine semblent encore éloignés de toute solution. Une escalade est même toujours possible. Jusqu'à présent, le gouvernement et la communauté internationale se sont contentés d'observer le cours des événements. Cela est dû en partie à la tendance de la Communauté islamique à résoudre ses problèmes à huis clos. Mais les autorités gouvernementales ne semblent pas parvenir à se décider sur une position à assumer dans ce débat interne à une communauté religieuse.
Extrait d'une étude publiée sur Internet par Pax Christi Wallonie-Bruxelles, titrée « Conflit balkanique : la situation religieuse en Macédoine », sous la signature de Nicolas Bárdos-Féltoronyi, membre de la Commission « Europe : cultures et élargissement » de Pax Christi Wallonie-Bruxelles et professeur émérite de l'Université catholique de Louvain
Lire l'intégralité de l'étude sur le site :
www.paxchristiwb.be/2005/queproposo...
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