Les Russes en Lituanie : une communauté hétérogène
lundi 8 janvier 2007
Les Russes sont, après les Lituaniens, le troisième groupe national du pays (340.000 individus). Il s'agit, dans leur large majorité, de résidents urbains (90 %) et 60 % d'entre eux habitent les villes de Kaunas, Klaïpeda et Vilnius, où ils représentent 20 % de la population. En zone rurale, ils ne constituent au contraire que 1,5 % des résidents.
La population russe de Lituanie est très hétérogène. Il faut d'abord distinguer ceux qui vivent dans le pays depuis des siècles (souvent le XVI° siècle) et ceux qui sont arrivés pendant la période soviétique (surtout dans les années cinquante). Les premiers, représentant aujourd'hui environ la moitié du total, sont parfaitement intégrés, mais non assimilés, en ce sens qu'ils ont conservé leur langue, leurs coutumes et leur religion. Vivant surtout dans le Sud-Est du pays, ils sont chez eux en Lituanie et n'ont, ni ne posent, aucun problème particulier. L'autre moitié, qui correspond à des immigrés plus récents, est en revanche moins bien intégrée : on rencontre parmi eux un assez important pourcentage de cas sociaux et d'individus marginaux ou asociaux (1). Ils sont concentrés dans quatre zones : Vilnius, où l'armée et l'industrialisation des décennies communistes les a attirés ; le Nord-Est (région de Visaginas), où la construction de la centrale nucléaire d'Ignalina a requis beaucoup de main d'œuvre ; la région de Mazeikiai, avec sa raffinerie de pétrole et le grand port industriel de Klaïpeda, l'ancienne Memel, où ils ont remplacé les Allemands au départ de ceux-ci après 1944.
Les plus anciens résidents russes sont souvent des "Vieux - croyants", ayant conservé l'ancien rite orthodoxe de l'époque de Catherine II.
Les immigrés plus récents présentent aussi, pour la partie la plus éduquée d'entre eux, un profil original. Comme l'a souligné Irmina Matonyté (2), "les Russes immigrés en Lituanie étaient particulièrement bien éduqués et hautement qualifiés, ils étaient à ce titre sur-représentés dans les secteurs de l'informatique, des télécommunications et de la recherche". Rien d'étonnant, dans ces conditions, que 33,4 % d'entre eux, en 1989, aient connu la langue lituanienne et même que 2,5 % aient considéré le lituanien comme leur langue maternelle.
Paradoxalement, l'une des difficultés de la communauté russe est - comme lors de la première indépendance- son manque d'organisation. Peu informés sur la vie publique, encore largement ignorants du fonctionnement et du rôle des ONG, les Russes - surtout ceux appartenant au second groupe évoqué ci-dessus - sont parfois peu intégrés dans le tissu social du pays.
Les schismatiques, Vieux - Croyants ou Pomors
Il s'agissait à l'origine d'une communauté purement religieuse de Russes traditionalistes adeptes du Raskol (le schisme), d'où leur nom russe de Raskolniki. Refusant les réformes liturgiques ressenties alors comme "modernistes", initiées par le patriarche Nikon en 1653-1666, des communautés populaires de Staroobratsi (vieux-croyants) s'installent dès cette époque dans le Grand Duché de Lituanie, en terres culturellement lituaniennes, notamment au nord de Vilnius (districts de Rokiskis, Svencionis et Zarasai), pour échapper à la pression des autres orthodoxes.
À la fin du XIIe siècle, le roi Jean III Sobieski leur accorde une autorisation officielle de séjour sur le territoire, ainsi que le droit d'y pratiquer leur culte en toute liberté. En 1772, ils étaient plus de 10 000 sur le territoire du Grand Duché (4).
Présentant toutes les caractéristiques de groupes minoritaires, ces communautés de Staroviery Pomortsy, dépourvues de véritable hiérarchie ecclésiastique et parfois même de pope, mais extrêmement attachées à la forme ancienne du rituel, ont connu nombre de brillants succès économiques et notamment commerciaux. Jusqu'en 1940, les Pomors ont représenté numériquement l'essentiel des Russes installés en territoire lituanien.
Leur très long isolement d'avec les courants russes orthodoxes majoritaires a conféré aux Vieux-croyants des traits sociologiques particuliers (ainsi nombre d'hommes portent une longue barbe), qui permettent de les considérer comme une véritable minorité (4).
Bien insérés dans leur environnement, ils sont considérés comme des citoyens exemplaires et leur église (5) est numériquement la seconde du pays après l'église catholique (6). Après une marginalisation lors de la période soviétique, les Vieux-croyants vivent aujourd'hui une sorte de renaissance.
NOTES
(1) On les désigne couramment du nom péjoratif de Sbrod (bande de vagabonds), de bredite = errer.
(2) Diversité des Pays baltes, La nouvelle alternative, N° 45, mars 1997.
(3) G. Potasenko, in National Minorities in Poland and Lithuania, an introductory Paper, p. 84.
(4) Leroy-Beaulieu, Anatole. L'empire des tsars et les Russes. R. Laffont, Bouquins, 1990, 1121s.
(5) Pomorskaya Drevnie Pravoslavnaya Tserkov ou, en lituanien Pomoriu sentikiu Baznycia.
(6) On estime leur nombre entre 30 et 60.000.
Yves Plasseraud, président du Groupement des Minorités (GDM) et professeur à l'Université de Vilnius
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