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La crise politique au Kirghizstan


mercredi 23 avril 2003

 

La crise politique au Kirghistan


Rapport de ICG* - juillet 2002

Le premier rapport de l'ICG sur le Kirghizstan publié en août 2001 avait présenté ce pays comme un éventuel lieu de conflits dans l'avenir. A cette époque, la communauté mondiale ne se souciait pas trop de l'Asie Centrale.

Après le 11 septembre 2001, cette région s'est trouvée au centre de l'attention politique mondiale. Près de 2000 militaires américains et ceux des forces de la coalition internationale sont basés à l'aéroport "Manas" de Bichkek, capitale du Kirghizstan, dans le cadre des opérations anti-terroristes en Afghanistan, ce qui a donné au Kirghizstan une position stratégique importante. Dans ces conditions, la communauté mondiale est sérieusement intéressée par la stabilité politique à l'intérieur du pays qui s'est nettement détériorée depuis le début 2002.

Le pouvoir kirghize durcit son attitude envers l'opposition en espérant quelque part que la présence des Etats Unis lui donnait une plus grande liberté d'actions. En janvier 2002, le député Azimbek BEKNAZAROV** a été incarcéré et quelques journaux fermés. Cette arrestation a soulevé une vague de protestation populaire et notamment celle de ses électeurs à Ak-Sy (région de Djalal-Abad). En mars 2002, une manifestation s'est terminée dans un bain de sang : cinq manifestants tués par les forces de l'ordre. La tension a monté et les revendications sont allées jusqu'à exiger la démission de AKAEV, Président de la République. Les sympathisants de BEKNAZAROV n'ont arrêté leurs manifestations qu'après l'acquittement de ce dernier.

La situation politique n'a été stabilisée que provisoirement sans régler les principaux problèmes socio-économiques, vraies raisons d'un si important mécontentement populaire. Le danger d'une déstabilisation de la situation dans le pays demeurera jusqu'à ce qu'une analyse profonde de la politique intérieure ne soit faite et ne seront pas prises des mesures sérieuses de sa normalisation. Le précédent étant créé, les manifestants conscients de l'efficacité de cette tactique, sans doute, l'utiliseront à nouveau. A l'approche des élections présidentielles de 2005, la lutte pour le pouvoir s'étend et l'éventualité des conflits augmente.

Le développement d'une crise dépend de plusieurs facteurs qui agiront chacun de différentes manières, soit positive, soit négative :
-  Premièrement, c'est le système politique et la lutte pour le pouvoir. La concentration du pouvoir autour de la famille présidentielle et ses partisans suscite un fort mécontentement de l'élite concurrente qui souhaiterait d'étendre sa participation tant à la vie politique du pays que dans le milieu des affaires. L'usurpation généralisée du pouvoir par l'élite gouvernante a provoqué une crise de légitimité du gouvernement, des systèmes juridiques et politiques du pays. Plus le pouvoir est cumulé dans les mains d'un groupe plus il utilise des méthodes autoritaires pour garder ses privilèges et faire taire les critiques. Le renforcement de l'autoritarisme est un facteur évident de l'actuelle crise. Le caractère pacifique de cette lutte pour le pouvoir dépendra de la capacité du pouvoir en place d'entreprendre des changements fondamentaux du système politique et du processus électoral. La domination d'un groupe restreint concentré autour du président compromet les institutions politiques et dévalue son niveau.

-  Deuxièmement, c'est l'opposition. L'opposition radicale n'ayant plus confiance dans le système politique actuel a profité du mécontentement populaire pour exiger la démission du Président de la République. La démission volontaire du président étant peu probable, la suite d'une telle stratégie ne pourrait qu'être l'escalade de confrontations. Seule la volonté sincère de trouver un compromis de la part du pouvoir en place, les vrais efforts pour changer le système politique et la garantie d'organiser en 2005 des élections présidentielles libres permettra une certaine manière d'affaiblir le radicalisme de l'opposition.

-  Troisièmement, ce sont les forces de l'ordre et de la sécurité publique. Dans cette confrontation " pouvoir-opposition " ils joueront un rôle neutre en assurant l'ordre public ou se distingueront comme une force politique indépendante. Les grèves récentes des policiers du Sud du pays témoignent d'une nécessité urgente d'une réforme du système policier.

-  Quatrièmement, c'est le mécontentement populaire suscité par la monté de l'autoritarisme dans la gestion du pays sur fond d'une profonde crise socio-économique et d'une insuffisance de représentation politique. Ce mécontentement demeurera malgré divers consensus politique tant que les problèmes vitaux ne seront pas résolus.

-  Cinquièmement, c'est la montée de la concurrence géo-politique. La présence militaire des Etats Unis, les tentatives de la Russie de regagner ses positions dans la région, les craintes de l'Ouzbékistan, du Kazakhstan et de la Chine que toute agitation puisse déstabiliser la région, mettent la politique intérieure du Kirghizstan sous pression. Les Etats ayant leurs intérêts au Kirghizstan peuvent soit profiter de la situation pour améliorer leurs positions au détriment de celles des autres soit coopérer pour renforcer la stabilité du pays.

Ces cinq facteurs contribueront soit au règlement constitutionnel de la crise politique, soit à l'aggravation de la situation et comme suite au conflit d'envergure. La communauté internationale a intérêt à ce que cette situation ne dégénère pas car cela mettrait en question la stabilité régionale.

La force capable réellement désamorcer la situation est la volonté de l'élite politique d'arriver à un consensus dans le partage du pouvoir politique et économique. A son tour la communauté internationale pourrait jouer un rôle non-négligeable en tant que médiateur et conseiller. Elle devrait prendre une part active dans la réalisation des réformes politiques, sinon son aide économique ne sera qu'un gaspillage et ne contribuera qu'à l'agrandissement du fossé qui existe entre les gouvernants et le peuple kirghize. La position commune des pays occidentaux et des organisations internationales pourra pousser le gouvernement kirghize à faire des pas réels vers les réformes politiques. Il en va de la stabilité de la région de l'Asie Centrale en entier.

 

RECOMMANDATIONS


 

Au gouvernement du Kirghizstan


-  1) Pour redonner la confiance au système électoral il faudra prendre des mesures suivantes :

a) introduire des changements à la Loi sur les partis politiques et les élections qui garantiraient que les partis politique ou les candidats aux élections ne soient pas écartés de la compagne électoral sous prétextes purement formels ;

b) réaliser une réforme de la Commission centrale pour les élections et référendums afin de garantir la participation dans son travail des partis politiques. Cela sera rendu possible par la suppression du droit de nommer les membres des commissions électorales par le Président de la Commission électorale centrale et la limitation de son mandat, ainsi que par l'élargissement de la participation des groupes d'opposition dans ces commissions ;

c) créer une base juridique solide des ONG et des organisations internationales quant à leur participation au processus électoral ;

d) en s'appuyant sur tous ces acquis, diriger les efforts de façon à ce que les partis politiques respectent les principes électoraux dans leur lutte pour le pouvoir.

-  2) effectuer des réformes constitutionnelles limitant le pouvoir présidentiel et valorisant celui du gouvernement et du parlement. Cette réforme est appelée à garantir :

a) la neutralité du président lors des litiges politiques ;

b) la capacité du parlement d'approuver tous les décrets présidentiels et les arrêtés gouvernementaux ;

c) la limitation des nominations à des postes importantes par le président ; l'approbation des nominations des juges par le parlement ;

d) la décentralisation du pouvoir au maximum en le cédant progressivement aux organes territoriaux.

-  3) effectuer la réforme du système policier afin de lui redonner la confiance de la population. Cela comprend la mise en place d'une base financière et éducative plus forte.

-  4) abandonner les tentatives inutiles d'élaborer une Loi sur l'extrémisme politique et de créer des organismes inutiles comme Conseil de sécurité démocratique.

-  5) adopter un éventail des lois permettant une meilleure passation de pouvoir ce qui nécessite le suivant :

a) amnistie des crimes économiques et financiers (machinations financières et corruption), ce qui permettrait la libération de Koulov et assurerait la protection de la famille présidentielle ;

b) adoption de la Loi sur le Premier Président de la République Kirghize, garantissant au président l'immunité juridique et la sécurité après sa démission.

 

A l'opposition kirghize


-  6) élaborer les stratégies réelles et à long terme du développement politique et économique du pays au lieu de se contenter des petites victoires politiques à court terme ;

-  7) se réunir au tour des positions communes pour assurer les élections justes et libres, unique moyen pacifique de passation de pouvoir. Dans ce but élaborer les lois en coopération avec le gouvernement et parlement.

-  8) créer les partis politiques fiables grâce aux leader politiques unit par les idées et programmes communs. Ils seront les moteurs des changements contrairement à des personnalités isolées et diverses organisations de protections du droit de l'homme.

-  9) soutenir les nouvelles lois garantissant la passation pacifique du pouvoir, telles que l'amnistie des crimes économiques et financiers et l'immunité de la famille présidentielle.

 

A la communauté internationale


-  10) diriger les efforts d'élaboration des positions communes entre les Etats Unis, l'Union Européenne et l'OSCE dans le but de promouvoir les réformes, qui doivent être basées sur les principes suivants :

a) volonté de tous les partis politiques s'organiser des élections libres ;

b) réforme du système policier ;

c) réforme constitutionnelle prévoyant la transmission de certains pouvoirs présidentiels dans les mains d'autres institutions d'Etat ;

d) réforme du système juridique dans le soucis d'assurer son indépendance ;

-  11) apporter une aide financière et technique pour soutenir toutes ces réformes à condition qu'elles soient suivit d'une sincère volonté politique.

-  12) apporter un soutien : * aux mass-médias toute en assurant leur diversité tant au niveau de leur nombre qu'au niveau de leurs fondateurs ; * aux réformes des mass-médias officielles qui leur permettrait d'acquérir des notions d'interprétation plus indépendante des actualités ; * à la formation des journalistes des mass-médias tant indépendants qu'officiels.

-  13) mettre comme condition d'obtention de l'aide financière la réalisation des réformes politiques sans lesquelles serait impossible le développement économique du pays.

 

A l'OSCE


-  14) élargir les programmes dans le domaine des réformes économiques et politiques en augmentant l'apport consultatif.

Och-Bruxelles, juillet 2002.

* ICG (International Crisis Group) est une organisation non-gouvernementale crée dans le but de renforcer les capacités de la communauté internationale de pronostiquer, comprendre et agir pour prévenir et retenir les conflits. Elle a été crée en 1995 par un groupe d'experts internationaux connus spécialisés dans la politique extérieure et bouleversé par l'incapacité de la communauté mondiale de résoudre les crises politiques dans divers pays et notamment au Somalie, Bosnie et Rwanda.

** BEKNAZAROV est un député de l'Assemblée législative du Parlement kirghize qui s'est distingué par son opposition à l'adoption de l'Accord sino-kirghize sur les frontières communes. Soutenu par certains députés, il a voulu lancer une procédure de censure du Président de la République. La réaction du pouvoir fut quasi immédiate : BEKNAZAROV a été incarcéré pour abus de pouvoir et condamné à 7 ans de réclusion criminelle.



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