Lituanie : Klapeida sous administration française (1920 - 1923)
dimanche 29 février 2004, par Gilles Dutertre
Une partie de ce texte est largement inspirée d'un article de Julien Gueslin , agrégé d'histoire , « Entre illusion et aveuglement : la France face à la question lituanienne (1920-1923) » paru dans les Cahiers lituaniens n° 2 , Strasbourg , automne 2001 .
On consultera egalement avec interet le livre d'Isabelle Chandavoine "Les Francais a Klaipeda et apres (1920-1932)" aus editions Zara, Vilnius, 2003 (en vente a la Librairie Francaise, au re-de-chaussee de l'Ambassade de France a Vilnius)
Memel sous "protection" et administration française(1920-1923)
Memel (dont le nom actuel lituanien est Klaipéda ) est LE port lituanien sur la mer Baltique . Le site était a priori déjà occupé dès le 1er siècle avant Jésus Christ .
L'histoire de la ville et du territoire (Memelland , Memelgebiet) est étroitement liée à celle du flux et du reflux du germanisme dans les pays baltes . Fondée en 1252 par les chevaliers Porte-Glaive sous le nom de Neu-Dortmund , érigée en ville en 1254 , Memel devient possession de l'évêque de Courlande ; en 1328 , elle passe à l'Ordre Teutonique . Devenue de ce fait prussienne , elle le restera jusqu'au 10 Janvier 1920 .
Au cours des guerres du XVII° et du XVIII° siècle , occupée par les Suédois (1629-1635) et par les Russes (1757-1762) , elle devient , après la bataille d'Iéna , refuge de la cour et de la famille royale de Prusse (1807-1808) . Un des principaux ports d'exportation de mâts pour la marine britannique , active place de contrebande anglaise à l'époque du blocus continental , elle n'atteignit jamais la taille d'une grande agglomération (moins de 50 000 habitants en 1939 , dont 92 % d'Allemands) avant la seconde guerre mondiale .
Le territoire de Memel (2 746,7 km2) est une création de l'article 99 du Traité de Versailles (10 Janvier 1920) qui obligeait l'Empire Allemand à renoncer , au profit de l'Entente , à la partie nord-est de la province de Prusse orientale (celle située au-delà du Niemen) , malgré l'opinion exprimée par la partie allemande de la population . Un grand nombre de paysans lituaniens avaient , en effet , été installés par les Chevaliers Teutoniques au XV° et au début du XVI° siècle , mais , surtout grâce à la politique de « colonisation » systématique pratiquée par les souverains prussiens du XVIII° siècle , ils s'étaient en partie germanisés , tout en conservant , fréquemment , la langue lituanienne et leur forme d'habitat originale .
Après le cessez-le-feu du 11 Novembre 1918 , des milliers d'officiers et soldats français continuent leur action dans une grande partie de l'Europe . Ils sont en première ligne pour construire une nouvelle architecture politique et militaire européenne , que les gouvernants et diplomates élaborent à Versailles , Neuilly , Sèvres et Trianon , en substitution des empires allemand , austro-hongrois , russe et ottoman défunts .
Au nord de l'Europe , les militaires français participent à la Commission interalliée de contrôle dans les Pays Baltes , dirigée par l'un d'entre eux , le Général Niessel .
Le contexte régional
Avant de voir ce qui s'est passé sur le territoire de Memel , il convient de rappeler quelle était la politique française dans cette partie de l'Europe , empreinte principalement de la primauté des relations entre la France et la Pologne .
A l'époque de l'existence d'une grande Pologne du XV° au XVIII° siècle , les relations franco-polonaises furent intenses et fructueuses . Outre les affinités entre les deux peuples existaient des analogies d'ordre historique et dynastique ; mais l'intérêt géostratégique primait déjà à l'heure où les techniques de guerre prenaient une allure moderne .
Le dépeçage de la Pologne à la fin du XVIII° siècle la fit passer aux oubliettes de l'histoire et , au moment du déclenchement de la Grande Guerre , Paris ne gardait qu'un vague souvenir de son idylle avec la Pologne , remplacée par celle avec la Russie .
La guerre de 1914-1918 fut un formidable accélérateur , salutaire aux Polonais qui retrouvèrent leur patrie . L'action de la France fut déterminante dans cette reconstitution dans la mesure où son intérêt coïncidait avec celui des Polonais : d'abord simple arme contre l'Allemagne , la Pologne est apparue , après l'écroulement de la Russie , comme un élément allié indispensable à la sécurité de la France .
Nulle surprise alors , après la signature du traité de Brest-Litovsk (3 Mars 1918), de lire dans un mémorandum du Quai d'Orsay que la France préconise un retour de la Pologne dans ses frontières de 1772 , c'est-à-dire englobant la Lituanie , une partie de la Lettonie , toute la Biélorussie actuelle et une grosse partie de l'Ukraine occidentale . Le but était de former une solide barrière entre la Russie bolchevique et l'Allemagne .
En outre , le Quai d'Orsay pense qu'une nouvelle union polono-lituanienne est possible du plein gré de ces deux peuples . Cette union permettrait de régler le problème de l'accès polonais à la mer , inscrit dans le traité de Versailles , et de prolonger vers le nord la barrière permettant d'encercler les régions germaniques de Königsberg et Memel .
Une Lituanie indépendante était redoutée par Paris qui considérait les Baltes comme des germanophiles ; ce n'est que sous la pression du Président américain Wilson que Clemenceau se résigna à reconnaître ces indépendances qui formaient une « poussière d'Etats » aux frontières de l'Allemagne . Paris n'avait aucun sentiment lituanophile et considérait que la Lituanie n'était pas un état historique , mais une nation sans frontières ethniques clairement établies .
Mais revenons à la mise sous tutelle du territoire de Memel .
Le 15 Février 1920 , c'est le Général français Odry qui prend en main l'administration du territoire de Memel , secondé par un haut-commissaire civil M. Petisne , aidé par une petite force armée (dont le 21ème Bataillon de Chasseurs à Pied).
Le 9 Janvier 1923 , profitant de la crise internationale provoquée par l'occupation de la Ruhr , et en dépit des avertissements des services de renseignement français , une troupe de 1500 paramilitaires lituaniens pénètrent dans le territoire sans grande résistance , ni de la police locale , ni de la population allemande et appuie la formation d'un Comité de secours à la Petite Lituanie à Heydekrug . Le gouvernement lituanien affirme ne rien connaître de ce mouvement d'insurrection , mais il soutient officieusement celui-ci en le laissant agir et en lui fournissant , avec l'aide des Lituaniens d'Amérique , argent , armes et munitions .
Le 15 Janvier 1923 , Memel est investie et le nouveau pouvoir contrôle l'ensemble du territoire .
Face à ces événements , la protestation française fut d'abord violente .
Poincaré exigea que le gouvernement lituanien fasse réintégrer le territoire lituanien à tous ses ressortissants . Outre l'envoi de navires , une commission extraordinaire , dirigée par le diplomate français Clinchant , fut envoyée pour rétablir l'ordre . Mais , en fait , le gouvernement français se retrouva impuissant à remettre en cause le « fait établi » ; en outre , Clinchant informa Poincaré qu'il faudrait des renforts considérables pour reprendre Memel par la force . Or , le gouvernement français n'avait pas envie de se lancer dans une nouvelle expédition en pleine opération de la Ruhr , et les gouvernements alliés se refusaient à prêter leur concours . Poincaré changea alors de tactique et annonça que les Puissances étaient prêtes à satisfaire aux aspirations lituaniennes , à condition d'accorder une autonomie au territoire , de favoriser le transit et d'organiser le transfert dans l'ordre et le calme .
Le gouvernement lituanien se montrant conciliant , les gouvernements alliés décidèrent de transférer à la Lituanie la souveraineté de Memel le 16 Février 1923 .
Un statut signé le même jour , ratifié par la Société des Nations et par le gouvernement lituanien , fait du territoire une entité autonome membre de l'Etat lituanien . Le gouverneur est nommé par le gouvernement lituanien sous l'autorité duquel restent en outre placés les transports , les douanes et les postes . Le régime de cette entité est parlementaire : Landtag élu au suffrage universel devant lequel le gouvernement (Directoire) est responsable . A toutes les élections , les députés allemands furent élus en majorité . Les conflits furent aigus entre les Landtage successifs et les gouverneurs accusés par les députés allemands , non sans raison , de persécuter l'élément germanique .
Or , si le gouvernement lituanien avait vu ses revendications satisfaites , la Pologne , elle , se sentait trahie par la France . Vu l'attachement de l'opinion polonaise à la question de Vilnius , Poincaré accepta de donner une compensation à la Pologne , n'ayant plus à ménager le gouvernement de Kaunas .
Le 15 Mars 1923 , s'appuyant sur l'article 87 du traité de Versailles (droit des Alliés de déterminer les frontières polonaises) , la possession de Vilnius était reconnue en droit aux Polonais . A l'annonce de la nouvelle en Lituanie , l'indignation gagna l'ensemble de l'opinion publique ; le gouvernement lituanien décida de couper toutes ses relations et communications avec la Pologne . cet état de chose allait durer 15 ans et être finalement le signe concret de l'échec complet de la politique française .
Epilogue .
Après l'admission du Reich allemand à la Société des Nations , la délégation allemande à Genève se fit souvent l'écho des récriminations de la population germanique du territoire autonome de Memel . En 1932 , sur la plainte du gouvernement allemand lui-même , la Cour Internationale de La Haye condamna le gouvernement lituanien . Tous les partis politiques « allemands » se rallièrent à la position du chef nazi Neumann qui demandait le rattachement au Reich . Dans la nuit du 21 Mars 1939 , le gouvernement lituanien s'inclina devant un ultimatum de Berlin .
La ville fut reprise par les Soviétiques en Octobre 1944 et rattachée à la RSS de Lituanie ; elle prit alors le nom de Klaipéda .
Gilles DUTERTRE
Membre du COLISEE
Membre de la Coordination France - Lituanie
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