Les leçons du modèle « Révolution de velours », N°43
lundi 15 décembre 2003
Les derniers événements de Géorgie ont révélé la persistance d'un modèle de changement de personnel politique, né au lendemain de la chute du mur de Berlin et qui a pris forme au mois de novembre 1989 en République tchèque sous le nom de « révolution de velours ». On le retrouve en octobre 2000 à Belgrade, à l'occasion du renversement de Milosevic et, tout récemment à Tbilissi, avec la démission du président Chevardnadze. Au-delà des circonstances spécifiques, on peut observer des tendances communes qui sont riches d'enseignement sur un aspect possible de la modification du paysage politique dans les systèmes « autoritaires ». À la base, on trouve le mythe du soulèvement populaire spontané. On aurait garde de négliger ce phénomène, car aucune révolution ne peut se produire sans un large mouvement de foules et sans un consensus de la majorité silencieuse - celle qui, bien que ne manifestant pas dans les rues, a « ras-le-bol » du système en place. Mais l'analyse historique des « révolutions de velours » montre que les événements qui se sont déroulés ont été soigneusement préparés depuis longue date, même si la part d'inconnue reste grande : parfois « l'Histoire bégaie… ». Le propre, par ailleurs, de la révolution de « velours », est qu'elle se passe sans effusion de sang. Ce n'est pas, là non plus, le fait du hasard. À Belgrade, en octobre 2000, la « passivité » des forces de police ou de l'armée a fait l'objet de négociations secrètes entre Djindjic et les plus hauts responsables des forces de sécurité - ce qui a d'ailleurs valu à ces derniers une certaine longévité politique. Pour Tbilissi, il conviendra de vérifier si Chevardnaze avait vraiment donné ou non l'ordre de tirer, mais il est certain que la troupe n'avait pas envie de le faire. Les journalistes et les historiens ne tarderont pas à livrer les secrets des tractations qui ont abouti à une « fraternisation » des forces de sécurité, en particulier, de la garde nationale, qui était normalement la garde rapprochée du président.
Nous ne pouvons que nous réjouir de ces heureux dénouements, mais il convient de relativiser les leçons à tirer de ces « révolutions de velours ». Elles indiquent tout d'abord que les régimes autoritaires - ou tout simplement usés, comme c'était le cas en Géorgie - ne peuvent pas durer indéfiniment sans légitimité populaire. Le tort de Chevardnaze - qui a été en son temps populaire, ne l'oublions pas - est sans doute de ne pas avoir senti à temps le « vent de la révolte ». C'est un avertissement supplémentaire adressé à tous les gouvernements qui ne sont pas à l'écoute des besoins et des frustrations de leurs concitoyens. Mais ces révolutions ne sont pas transposables à n'importe quelle situation politique : certains régimes autoritaires ont enfermé leur population dans un maillage serré d'institutions contraignantes qui canalisent « l'opinion publique » et, en cas de « débordements », les autorités n'hésitent pas à tirer sur la foule. Il faut vraiment un raz-de-marée pour provoquer la chute du régime, et l'absence d'effusion de sang n'est pas acquise. Reste que le « modèle » de la révolution de velours, revigoré par l'expérience de Belgrade et de Tbilissi, fera rêver plus d'un défenseur des droits de l'Homme, en Europe continentale comme ailleurs dans le monde. Elle fera sans doute réfléchir les gouvernants autoritaires ou « usés » qui, dans le meilleur des cas, essaieront de « lâcher du lest » pour éviter d'être balayés, ou dans la pire des situations, durciront leur répression, pour rappeler que toute insurrection n'est pas forcément « de velours ».
Hervé Collet et Rémy Degoul.
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