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AG de l'association COLISEE. Table ronde sur "Les enjeux du projet de constitution européenne et l'avenir de l'Europe" (février 2004)
jeudi 12 février 2004
L'Assemblée générale du COLISEE s'est tenue à la Maison de l'Amérique Latine à Paris, le 19 décembre 2003, sur le thème "Les enjeux du projet de constitution européenne et l'avenir de l'Europe", devant une centaine de personnes, dont S.E. M Jan Tombinsky, Ambassadeur de Pologne, S.E. M A. Talvik, Ambassadeur d'Estonie, M. Ivan Petrov, Ministre plénipotentiaire de Bulgarie, M. Sandor Csernus, Directeur de l'Institut hongrois... Avec tous nos remerciements à la direction de la Maison de l'Amérique Latine.
Rémy Degoul : promouvoir et associer la démocratie participative à la création d'un vrai projet de société européenne
Rémy Degoul, président du COLISEE, ouvre la séance.
"Permettez - moi d'abord de vous remercier au nom du Conseil d'administration du Colisee, pour avoir répondu à notre invitation à notre AG, qui prend cette année une dimension particulière avec le premier ministre M. Michel Rocard à nos côtés, ce dont je veux le remercier du fond du cœur. Nous sommes, non seulement très honorés de sa présence, mais aussi très impatients de l'entendre, eu égard à sa grande expérience, à son courage politique et intellectuel, qualités qui ne sont guère plus répandues aujourd'hui dans le paysage politique. J'aurais, il est vrai, souhaité vous accueillir sous de meilleures auspices, je veux dire sous de meilleures auspices européennes, car le premier conseil de l'Europe élargie s'est hélas achevé sur les regrettables résultats que nous connaissons. Les 25 n'ont pas su ou pas voulu, c'est selon, s'entendre sur les règles d'une vie partagée dans notre maison commune. Pour autant, faut il désespérer de l'Europe ? De cette Europe fondée à l'origine sur la réconciliation et la solidarité ? Y aurait t-il une quelconque fatalité qui s'emploierait à nous faire accepter la dissolution progressive des valeurs fondatrices qui ont fait sa force et sa raison d'être ? Au vu des récents événements et des querelles d'épiciers qui ont jalonné les successives et différentes négociations, force est de constater que les gouvernements européens ont privilégié l'esprit de boutique à l'esprit communautaire. Ce premier conseil de l'Europe élargie a non seulement consacré la victoire des égoïsmes nationaux, mais il a aussi confirmé aux opinions publiques de nos pays que l'idée européenne, comme l'intérêt général de l'Europe, ne prévalaient pas cette fois-ci. L'Europe subreptice est moribonde, l'Europe des spécialistes a atteint ses limites, elle est désormais obsolète. À cet égard, je voudrais une fois encore rappeler que nos gouvernements seraient bien inspirés de mieux associer les citoyens à la construction européenne. Si l'Europe jusqu'ici s'est faite en grande partie sans nos concitoyens européens, l'approfondissement de l'Europe et la réussite de l'intégration ne sauraient aujourd'hui se réaliser sans le concours et la participation effective des sociétés civiles et des citoyens. Il s'agit bien ici de notre vie quotidienne et de l'avenir de nos enfants et petits enfants qui sont en jeu. Certains commentateurs aiment à souligner que l'inventivité et la proposition politiques sont en berne, qu'une grande partie de la classe politique est à bout de souffle, se trouve décalée et en deça des propositions et des attentes de la société civile. Nous savons pourtant qu'il existe , partout en Europe, des citoyens et des politiques qui par leur engagement et leur combat ne nous font désespérer ni de l'Europe, ni de la politique. L'Europe politique ne naîtra ou renaîtra de ses cendres que lorsque la démocratie représentative, suffisamment renouvelée, saura effectivement promouvoir et mieux associer la démocratie participative à la création d'un vrai projet de société européenne. Cela vaut à l'ouest comme à l'est de l'Europe. Ne pas entendre cela, ou pire, feindre de ne pas l'entendre et de ne pas le prendre en compte dans l'exercice d'une responsabilité ou d'un mandat politique, nous conduit aux pires déconvenues : l'approfondissement du sentiment de rejet, la montée de l'indifférence d'une partie de nos concitoyens, et le ressentiment grandissant qui habite les plus fragiles dans nos sociétés - dont les plus cyniques font leur miel, au nom, comme il se doit, des meilleures intentions et au gré de leurs petits ou grands calculs politiciens. "Le plus difficile est toujours le plus beau" et l'Europe, notre Europe, mérite mieux que ce théâtre d'ombres et d'égoïsmes. Notre défi à tous, c'est bien d'associer les peuples et particulièrement les jeunes générations à ce formidable chantier de la construction d'une Europe politique et confraternelle à laquelle chacun d'entre nous sera fier d'appartenir et d'apporter sa contribution. Oui, nous avons adhéré avec vous, M. le Premier ministre, aux propos de Louise Weiss - que vous citez dans votre récent article du Monde - lorsqu'elle déclarait, lors de son discours inaugural de la première session du Parlement européen, que "l'Europe est une question d'âme". Et puisque vous avez intitulé votre article "Du bon usage d'une Europe sans âme", je souhaiterais renouveler ici même notre témoignage de solidarité, de respect et d'amitié à nos amis d'Europe centrale et orientale qui, riches de leur histoire, de leur expérience et de leurs cultures, nous apportent ce supplément d'âme dont l'Europe a cruellement besoin".
Michel Rocard : "L'Europe est morte, vive l'Europe"
Résumé de l'intervention de M. Michel Rocard, ancien Premier ministre, président de la Commission de la Culture du Parlement Européen :
"Il faut se rendre à l'évidence : l'Europe politique, chère aux pères fondateurs, est morte. Il faut en faire notre deuil. Elle a été cassée à Maastricht et assassinée à Nice. Cette mort résulte d'une combinaison de plusieurs éléments :
L'absence dans les nouveaux pays européens d'élites politiques élevées dans l'esprit européen tel que le concevait Jean Monnet
Le fait que l'intégration européenne s'est toujours construite par création progressive d'interdépendances techniques (CECA, Eura-tom, tarifs douaniers, etc). Aujourd'hui, les gros chantiers touchent des aspects de plus en plus sensibles, tels que : la fiscalité et le droit social, l'armée et la défense, la politique étrangère. Il est normal, par ailleurs, que les pays de l'Union (notamment les quatre pays neutres) et surtout les nouveaux adhérents (qui ont développé des liens forts avec les Etats-Unis depuis la chute du bloc communiste) hésitent à se dessaisir de ces domaines, qui touchent directement à leur souveraineté.
Le projet européen ne soulève plus guère d'enthousiasme chez les jeunes, qui cherchent à s'engager davantage dans les ONG que dans les partis politiques.
Les autres Etats-membres refusent la vision française d'un Etat central fort. Mais ne soyons pas pessimistes pour autant : ce "machin" n'a pas peut-être pas encore la définition constitutionnelle qu'il mérite, mais il a une présence internationale connue et reconnue. Il est plus qu'une zone de libre échange. Les nations européennes ont su créer un espace mettant en valeur les Droits de l'Homme et un droit original régissant la production et les échanges. L'Union européenne a même dépassé les problèmes strictement économiques en s'attaquant aux questions de service public et de solidarité sociale. Elle a su s'imposer dans le domaine de la lutte contre les positions dominantes et contre la fraude. Elle a osé s'opposer à la fusion de Boeing et de Douglas. Elle a bloqué les projets de Microsoft. Elle essaie de résoudre actuellement le difficile problème de la brevetabilité du savoir humain. C'est grâce à l'Europe qu'on arrivera peut-être à régler la question du réchauffement de la terre. La paix n'est nulle part plus assurée qu'en Europe. Cette région du monde a réussi l'incroyable réconciliation franco-allemande. Imaginez la réconciliation des Tutsis et des Hutus… Seule l'Europe peut faire pièce aux ravages de l'empire militaro-financier américain, cruel pour le Tiers-Monde et créateur d'inégalités. Et par la seule arme qui vaille : celle du droit. La crise irakienne a mis le projecteur sur une réalité longtemps occultée dans nos vieilles démocraties occidentales, à savoir le problème de la sécurité nationale. Les États d'Europe centrale qui se préparent à entrer dans l'U.E sont obsédés, à juste titre, par ces problèmes de défense. Ils ont trouvé dans les Etats-Unis un parapluie protecteur, à leurs yeux plus efficaces que les systèmes européens. Cette affaire a permis à l'administration Bush de conforter son offensive contre la "vieille Europe". Car, il ne faut pas se leurrer : l'affaiblissement de l'Union Européenne est un objectif publiquement affiché par l'administration américaine. C'est pourquoi, s'il nous faut renoncer au rêve de l'Europe politique, il faut saluer et conforter la performance historique de cette "formidable mécanique à faire la paix" qu'est l'Union européenne."
André Erdös : tenir compte de la période de transition démocratique
M. André Erdos, ambassadeur de la République de Hongrie, relativise l'échec de la dernière CIG en soulignant l'importance politique de l'Europe pour les nouveaux entrants. Il insiste notamment sur la méconnaissance par l'Ouest de la complexité de la période de transition que les pays de l'ex-bloc soviétique ont connue et des sacrifices qui ont dû être accomplis :
Passage d'un système politique de parti unique à un système parlementaire multipartite
Passage d'un système économique centralisé (avec un grand marché soviétique) à une économie de marché (marqué par l'effondrement du marché de l'ex-URSS)
Disparition du Pacte de Varsovie et intégration de la Hongrie dans l'OTAN. En une dizaine d'années a été accompli ce qui a pris des décennies, voire des siècles, pour l'Europe de l'Ouest. Les "retrouvailles historiques" de l'intégration de la Hongrie au sein de l'UE sont une garantie politique contre les dérapages nationalistes et populistes qui menacent encore les pays est-européens (leçon amère de la guerre balkanique).
Jean-Marie Vanlerenberghe : une Europe à plusieurs vitesses, pourquoi pas ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur-maire d'Arras et ancien président du Fonds Européen pour la liberté d'expression, ne peut se résoudre, pour sa part, à enterrer l'Europe politique, même s'il reconnaît qu'elle a été mise à mal à Maastricht et encore plus avec l'affaire irakienne. "Les peuples meurent quand ils n'ont plus de rêves" : il est indispensable de poursuivre l'invention de l'Europe, sur d'autres bases sans doute que celles mises en œuvre par Jean Monnet. La méthode des coopérations renforcées ? Pourquoi pas… Le fonctionnement "à plusieurs vitesses" existe déjà dans l'U.E : tous les pays ne sont pas membres de la zone euro, ni de l'espace Schengen. L'enjeu aujourd'hui est bien politique : sauvegarder et enrichir la civilisation européenne pour pouvoir résister à celle venant du continent américain ou encore de la Chine. Les aspects sur lesquels bute aujourd'hui l'Europe (défense, droit fiscal, social, gouvernance européenne) sont des défis à relever pour construire une Europe politique.
Deux pays aux portes de l'Europe : la Croatie et l'Albanie
Les ambassadeurs de la Croatie et d'Albanie ont, à leur tour, souligné l'attrait politique que présentait l'Union Européenne.
M. Bozidar Gagro, ambassadeur de la République de Croatie, rappelle la longue tradition d'insertion de son pays dans l'histoire et la culture européennes. A ses yeux, il n'existe aucune alternative possible au projet européen, tel qu'il est présenté par l'Union européenne. C'est pourquoi la Croatie a déposé sa candidature d'adhésion en vue de l'échéance 2007. Mais elle ne considère pas l'Union européenne comme une sorte de loterie gagnante où les pays émergents n'auraient qu'à venir chercher leurs lots : l'Europe est à construire en permanence, en prenant en compte les resssources économiques et les valeurs culturelles des pays qui l'intègrent.
M. Ferit Hoxha, ambassadeur d'Albanie, souligne les énormes progrès constatables dans son pays depuis 14 ans, et surtout depuis 1999. L'Albanie a tiré les leçons du passé. L'appui financier et méthodologique de l'Union Européenne a été déterminante à cet égard. Mais, comme pour M. Gagro, l'Union Européenne ne saurait être un tiroir-caisse : c'est un combat permanent à mener pour renforcer la solidarité entre les pays qui la composent. L'Albanie a le réel désir d'adhérer à l'Union Européenne, même si M. Hoxha est conscient qu'il faut attendre que les difficultés posées par l'adoption de la Constitution européenne et par la première vague d'élargissement soient résolues. "Le problème n'est pas de savoir si l'Albanie intègrera l'U.E, mais plutôt quand elle le fera. Je suis, moi aussi, pessimiste sur les chances de revoir une Europe politique telle que nous l'avons rêvée. Mais quelle que soit cette Europe, faisons-là avec lucidité et détermination".
D'après les notes de Mme Ludmila Egorova, secrétaire générale du Cercle Kondratieff et de Victoria Mitut, étudiante en relations internationales.
La réunion se poursuit par l'Assemblée générale du COLISEE .
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