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Crise majeure entre la Géorgie et l'Adjarie (2004)
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lundi 15 mars 2004, par Hervé Collet

Alors que la Géorgie se prépare à élire un nouveau Parlement le dimanche 28 mars, une grave crise s'est déclenchée dimanche 14 mars avec l'Adjarie, province autonome du pays, au moment où le président Mikhaïl Saakachivili, accompagné de personnalités géorgiennes, s'apprêtait à entrer dans le territoire de la république autonome pour y faire campagne. Le convoi du président a été arrêté par les troupes adjares à un point de contrôle marquant la « frontière » de la république autonome. La chaîne de télévision nationale géorgienne Roustavi-2 a montré des images de soldats bloquant le cortège. On peut même entendre un coup de semonce.

"Impossible. Nous n'avons pas le droit de vous laisser entrer", a déclaré un soldat au procureur général de Géorgie, Irakly Okrouachvili, et au ministre de l'Intérieur Georgy Baramidze, alors qu'ils approchaient, à pied, du barrage.

Samedi, Saakachvili avait reproché à Abachidze d'avoir brièvement interpellé le ministre géorgien des Finances au cours d'une visite en Adjarie. Le ton a monté depuis lors, et, après le refoulement du convoi présidentiel, le président du parlement d'Adjarie, Joseph Tsintskaladze, a assuré que Batoumi ne ferait pas marche arrière. "Nous ne ferons pas marche arrière. Qu'est-ce que cela veut dire, quand le président veut lancer une invasion (...) Lorsqu'il veut voyager à travers le pays, il peut le faire, mais pas de la sorte".

Tbilissi a aussitôt placé en état d'alerte son armée. Le président géorgien a adressé un ultimatum expirant lundi soir au président adjar. Il exige qu'il lui offre la libre circulation sur son territoire. En cas de refus de ce dernier, il proposera un blocus économique du territoire au conseil des ministres extraordinaire, aujourd'hui lundi. À Batoumi, "capitale" de l'Adjarie, les autorités locales ont disposé des camions en travers de la piste de l'aérodrome, afin de la rendre inutilisable, rapporte la station de radio Imedi

Dans une allocution à la radio d'Adjarie, le dirigeant de cette république autonome, Aslan Abachidze, qui se trouvait à Moscou, a lancé à ses partisans : "Soyez vigilants, restez fermes, je serai à vos côtés tout prochainement". On ignore dans quelle mesure il pourra regagner par avion l'Adjarie, si l'espace aérien géorgien a bel et bien été fermé. Zourab Chankotadze, directeur de l'Aviation civile, a déclaré que des hommes du ministère de l'Intérieur avaient pris le contrôle de ses bureaux à Tbilissi et qu'il n'a pas pu y entrer. "Je ne sais pas véritablement si l'espace aérien géorgien est fermé", a-t-il dit à l'agence Reuters. George Abachidze, fils du leader d'Adjarie et maire de Batoumi, a parlé d'une situation très tendue.

Vers un conflit armé ?

La crise est donc grave. Le Conseil de l'Europe s'est dit « alarmé » par cette escalade. À Moscou, le ministère russe des Affaires Étrangères a déclaré que les forces armées géorgiennes se préparaient peut-être à envahir l'Adjarie et a mis en garde Tbilissi contre tout déploiement militaire dans cette région, rapporte l'agence russe Interfax. "Il y a des raisons de penser que Tbilissi se prépare à recourir à la force. S'il y a crise, toute la responsabilité retombera sur les dirigeants géorgiens", a déclaré le ministère russe des Affaires Étrangères. Rappelons que les Russes disposent d'une base militaire importante à proximité de Batoumi.

Le président adjar, Aslan Abashidzé, s'est placé de longue date sous la protection de Moscou, qui voyait en lui un allié contre l'encombrant président géorgien Chevardnadze, et qui le considère plus que jamais comme un partenaire pour contrer son successeur, Mikhaïl Saakashvili, accusé d'être favorable à l'occident, en particulier aux Américains. L'opposition du président adjar à Tbilissi ne date pas d'hier. Le « Lion du Caucase » s'est taillé un fief à sa mesure, et résiste bec et ongle à toute tentative de subordination au pouvoir central. Lors de la « Révolution des Roses », en décembre dernier, il avait dépêché des partisans pour soutenir son adversaire de toujours, Édouard Chevardnazé. Ce soutien inattendu avait pour objet de sauvegarder le « gentleman agreement » qui existait entre les deux hommes : à chacun son territoire. La montée en puissance de Mikhaïl Saakashvili, devenu entretemps président de Géorgie, a déjoué ses plans et depuis, le maître de Batoumi s'est retranché sur ses terres, en décrétant l'état d'urgence. En voulant entrer le 14 mars sur ce territoire, comme la constitution l'y autorise - à l'égal de tout citoyen - le président géorgien a voulu tester le degré de résistance d'Aslan Abashizé. Ce dernier n'a pas faibli et la Géorgie se trouve désormais face à une partie de bras de fer qui, faute de médiation internationale, peut dégénérer en conflit armé, car dans le Caucase, il est interdit à un leader politique de « perdre la face ».

Hervé Collet, d'après des dépêches d'AFP et de Reuters


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